Mémoires De Traverse – « Échappées Littéraires » Lettre Ouverte à Michèle Malivel, l’auteure de ces souvenirs

GEORGES-ANDRÉ KOENIG

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Chère Madame,

À peine la lecture de vos souvenirs commencée, la chose qui me frappa, et confirma ce que j’imaginais déjà, fut votre maîtrise de l’écriture, dont la richesse du vocabulaire et le style sont les composantes essentielles. Et c’est le style, nous le savons, qui d’abord et avant tout capte notre attention.

C’est donc avec enthousiasme que je suis allé à la pêche de la crème de ces « Échappées Littéraires » (Il est impossible de les évoquer tous dans le cadre d’un article de presse), sachant que ceux que j’allais trouver au fond de vos filets remettraient les miens sous les feux de la rampe.

À Bambouville

Certaines des images que vous nous présentez de Curepipe, rebaptisée du charmant nom de « Bambouville », sont aussi celles qui me sont aussi revenues à l’esprit.

J’ai aimé ces haies de bambous qui abritaient nos maisons coloniales des regards indiscrets.

Ce « Trou Aux Cerfs » qui fut un certain temps mon « gymnase ». Descendre au fond de ce cratère et remonter après en essayant de courir, me fortifiaient davantage les jambes que n’importe quel équipement de gymnastique classique n’aurait su le faire.

Cette tour Eiffel, située au fond du jardin où vécut ma marraine, Aline Espitalier-Noël, sœur de mon père, me rapprochait de Paris lorsque j’allais lui rendre visite. De cette capitale du pays d’origine de la plupart de mes aïeux, et ma première patrie, sans aucun doute, sur le plan culturel.

Ce bal du Dodo Club qui était la soirée de l’année où les hommes et femmes se paraient de leurs plus beaux atours, et qui pour beaucoup de jeunes amoureux était un prélude à l’engagement qu’ils allaient prendre pour la vie.

Une journée ordinaire

Comme vous, Jean d’Ormesson croyait dans le bonheur de ne rien faire. Et vous le démontrez magistralement dans ce chapitre. Ne rien faire, c’est aussi s’ouvrir à la beauté qui nous entoure, celle de la nature en particulier, qui peut sublimer notre joie de vivre, et parfois même nous aider à supporter le chagrin qui nous accable.

Il m’a rappelé, entre autres choses, ce moment quand, assis sur la plage face au soleil couchant, quelque temps après que l’amour de ma vie m’a abandonné, la nature vint à mon secours. Mon chagrin se métamorphosa en poème, ce qui me permit de l’extérioriser en écrivant les quatre vers qui suivent et qui étaient, pour moi, les symboles même de la tristesse :

Le soleil éclabousse le ciel de son sang,

La mer se retire laissant les algues en pleurs,

L’hirondelle s’enfuit au bruit de l’océan,

Et la vie s’arrête avec le vent qui meurt.

Je n’en sortis pas guéri, mais quelque peu apaisé.

L’eau à la bouche

Vos expériences gastronomiques familiales, amicales, ainsi que celles que vous avez faites à l’époque où vous sillonniez avec votre époux la planète Terre, ont fait revivre les miennes, et m’ont toutes fait venir l’eau à la bouche. J’espère donc que la prochaine ne sera pas trop lointaine.

En revanche, elles ont aussi suscité chez moi une certaine nostalgie, en me rappelant la chipolata, le pain perdu et les scones anglais, avec la confiture et le « Earl Grey » mauricien, le thé Corson en l’occurrence, dont nous nous régalions au temps de notre jeunesse. Hélas, on ne les retrouve plus, depuis longtemps, dans les assiettes mauriciennes.

Même si j’ai très peu voyagé par rapport à vous, j’eus la chance de séjourner chez Béatrice, descendante d’une des branches des rois de France, où nous mangions des ortolans. Chez les parents de Françoise, dont le père fut le créateur de l’Aérospatial, et qui possédait dans son manoir de Normandie une des caves à vin les mieux achalandées de France. Et c’est dans ce cadre enchanteur que j’eus la chance de déguster un Domaine de la Romanée-Conti La Tâche Grand Cru Monopole de 1957. Même si je ne suis pas connaisseur, comme vous l’êtes, en matière de vin, je m’en délecte encore en pensée. Aussi cela ne m’étonna nullement lorsque j’appris, récemment, qu’une bouteille de cet élixir coûtait la modique somme de 7000 euros…

Et enfin, je n’oublierai jamais les fruits de mer de La Closerie des Lilas où Christine, présentatrice vedette du Journal de 20 heures à Antenne 2 à cette époque-là, m’avait un jour invité.

Souvenances

Merci de me rappeler que le mot souvenance existe. Je ne l’utilise jamais et, pourtant, il est phonétiquement harmonieux.

Ici, c’est de Port Louis dont il s’agit. Un lot de bonheur enfoui dans votre mémoire, et qui remonte aujourd’hui à la surface.

Ces calèches, tirées par des chevaux, qui faisaient la joie des grands comme des petits. Elles étaient les reines des routes, car les rares voitures qui existaient alors, s’arrêtaient pour les laisser passer.

Ce quartier chinois, où l’on jouait au mah-jong dans une salle au parfum de bouillon de crabes.

Ces belles maisons coloniales, avec leurs toits noirs en bardeaux, et leurs varangues rafraichissantes, qui rendaient cette ville plus belle encore.

Ce Champ-de-Mars, qui était une de nos plus grandes fiertés, parce qu’il abritait le premier hippodrome de l’hémisphère sud et le troisième du monde, avec sa piste, en forme d’anneau, comme déposée un jour par un dieu dans le cirque de montagnes de Port Louis,

Et enfin, nos églises, nos temples, nos mosquées et nos pagodes qui, avec des célébrations de toute sorte, jetaient un pont entre les différentes communautés de l’île, et contribuaient ainsi à intensifier les liens qui les unissaient.

Je partage tout à fait ce lot de bonheur. Un exemple, quelque peu farfelu, suffira à le démontrer. Il s’agit du Champ-de-Mars. Mes familles paternelles et maternelles ont été étroitement mêlées aux courses hippiques depuis la création du Mauritius Turf Club en 1812 par Sir Robert Farquhar, Gouverneur anglais de la colonie en ce temps-là.

Mon grand-oncle, Philippe Antelme, fut un des premiers membres et propriétaires de chevaux de course de ce Club.

Dans la famille, on parlait beaucoup des frasques de l’oncle Philippe qui, heureusement, n’étaient jamais violentes. Car il venait d’une famille honorable, et était poète opiomane, ce qui apaisait d’autant plus son comportement. Mais cela ne l’empêcha pas, par exemple, de demander au palefrenier d’un de ses chevaux, qui avait un jour remporté la « Maiden Cup », d’emmener l’étalon, couronne autour du cou, sous la varangue de sa maison coloniale de Port Louis, et d’enlever son licol, alors que se déroulait une somptueuse réception qu’il avait organisée pour célébrer l’évènement.

Le cheval, effrayé par le bruit et les cris de panique de certaines dames, s’enfuit au galop, et c’est sur le port que le palefrenier et quelques autres employés de maison finirent par lui mettre la main dessus. Heureusement qu’en ce temps-là les véhicules étaient, comme évoqué précédemment, essentiellement des calèches tirées par des chevaux, et qu’à l’heure de l’incident, celles-ci étaient rangées et les chevaux dormaient sagement, debout, dans leurs écuries.

Ce n’est que pour seuls quelques fêtards de la même veine que mon grand-oncle, que la nuit allait être longue ce jour-là à devenir le lendemain.

La dame du cimetière

Les cimetières de l’ouest, de Moka, de Pamplemousses, entre autres, sont des pages du Grand Livre d’Histoire de notre pays. Remercions donc, chaleureusement, tous les membres de l’association que vous aviez créée avec certains de vos proches, afin de restaurer celui de l’ouest, lieu de votre récit. Sans oublier Claileen, la secrétaire et Sténio, le gardien en chef.

Ce n’est non sans émotion que j’ai lu ce récit, car il est empreint d’une pureté absolue, celle de l’enfance.

Il s’agit, en effet, d’une petite fille qui est morte et qui ne peut reposer en paix, car on n’a pu l’enterrer avec ce chapelet qui fut son meilleur compagnon de route lorsqu’elle était sur Terre.

Et l’occasion lui fut donnée un jour de confier son désarroi à Madame Marie, célèbre voyante de Quatre Bornes, Sophie Levant de son vrai nom.

La voyante fut si touchée par l’affliction de cette petite fille, qu’elle se donna pour tâche principale de retrouver ce chapelet. En attendant, elle alla régulièrement fleurir la tombe de la petite fille et prier, allongée, pour tenter d’apaiser le chagrin de l’enfant.

Quand vint le jour J, elle se rendit au cimetière, fouilla un trou dans la tombe, et y glissa le chapelet retrouvé avant de le reboucher. Après quoi, elle quitta le cimetière pour ne jamais y revenir. La petite fille, depuis, repose en paix, et pour l’éternité.

Ce dont je suis sûr, Madame, c’est qu’un jour, ailleurs, elles seront face à face.

La certitude de l’aube

Dans ce dernier chapitre vous nous parlez des inconvénients de la vieillesse, qui vont du nouveau regard que les autres, les jeunes en particulier, portent sur nous, à la Maison de retraite qui pointe à l’horizon, en passant par la perte d’un certain nombre de nos proches et de nos amis.

Aussi, je vous invite à suivre les conseils ô combien optimistes de Bernard Pivot qui, à 85 ans, avait écrit un livre très évocateur intitulé «… et la vie continue ». Et voici ce qu’il préconisait :

« Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni à la sexualité, ni au rêve. »

Voilà, Madame, ce que je souhaitais vous dire, sincèrement et amicalement, au sujet de vos échappées littéraires, en terminant sur une note gaie, d’autant plus que nous avons, vous et moi, la chance de pouvoir suivre encore certains, sinon tous ces conseils-là.

J’espère que, bientôt, vous déroulerez pour nous quelques autres bobines de vos souvenirs qui sont, pour dire le moins, captivants.

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