Mother India

DR KHALIL ELAHEE

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Selon la télévision nationale et même des principaux médias à Maurice, il ne se passe rien de grave en Inde. Black-out complet sur la situation à Delhi, comme tel est le cas pour le Cachemire. Bien sûr, il y a la visite du Président Trump en Inde, signe pour certains que tout va pour le mieux ; suivie tout de suite par celle du Président du Myanmar à New Delhi. Autre indication que, sans doute, comme pour les Rohingya de ce pays, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Ces chefs d’État ne se rendent pas dans des pays qui sont à feu et à sang et, s’ils le font, ils ne manqueront pas d’aborder le sujet des droits humains. Aucune remarque aussi de nos gouvernants locaux, même de l’opposition, sur ce qui arrive en Inde. Donc, tout est normal.
Peut-être, ils mentent, tous ceux qui disent qu’il y a eu au moins 43 tués lors des désordres à Delhi durant la semaine écoulée. Comme la situation au Cachemire doit être au beau fixe, nous devons songer à y passer des vacances prochainement… Certaines chaînes d’information de la Grande Péninsule comme la NDTV, Amnesty International et la presse internationale du New York Times à CNN en passant par The Guardian font-elles du ‘fake-news’ en montrant du doigt le sort des musulmans en Inde ?

« Sare jahan se atcha »

Beaucoup parmi nous sont descendants d’immigrés indiens, particulièrement ceux du Bihâr et du Gujerat pour ce qui est des musulmans. Plusieurs générations sont passées, mais nous demeurons attachés à la terre de nos ancêtres. Notre appartenance à l’islam comme foi ou notre appartenance à la nation mauricienne n’est pas en contradiction avec notre identité culturelle, linguistique et traditionnelle comme descendants d’Indiens. Beaucoup parmi nous préservent la mémoire de nos aînés, certains se sont même rendus, les larmes aux yeux, dans les villages de départ du Bihâr et du Gujerat.
De la nourriture que nous consommons à notre style vestimentaire en passant par nos expressions artistiques, il y a quelque chose d’indien en nous. Nous sommes autant fiers du savant Muhammad Iqbal et de l’écrivain Rabindranath Tagore que nous admirons le Mahatma Gandhi et le Président Abdul Kalam. Notre cœur bat pour cette grande Inde que nous aimons dans toute sa diversité indescriptible, si riche et si tolérante. La liberté et la démocratie, acquises dans la Grande Péninsule après haute lutte contre le British Raj, ont été au prix du sang des martyrs de toutes les communautés.
Immense est notre souffrance lorsque nous voyons l’Inde se déchirer alors que certains prétendent que tout va bien. Ce n’est pas en prétendant et en cachant la vérité que nous sauverons notre mère à toutes et à tous, Mother India. Les musulmans de l’Inde et de sa diaspora ne personnifient pas Bharat Ma comme une déesse nationale, mais ils sont attachés aux principes qu’incarne la Constitution qui fait de l’Inde un État souverain, séculier et démocratique qui assure à tous ses citoyens la liberté, l’égalité et la justice, et qui promeut la fraternité.

Que faire ?

D’abord, il faut souligner de manière nette qu’en Inde comme à Maurice, la quasi-totalité des gens de toutes les communautés aspirent à un vivre-ensemble harmonieux et paisible. Nous le témoignons au quotidien ici, mais lors des désordres en Inde de nombreux hindous se sont interposés pour protéger leurs voisins musulmans contre leurs coreligionnaires. Ces derniers sont souvent des nationalistes proches du pouvoir qui agissent loin des régions où ils habitent, en toute impunité sous les yeux des policiers. Et lorsqu’un juge réputé de Delhi dénonce l’inaction des forces de police, il est transféré immédiatement.
Il est impératif que les discours incendiaires des politiciens soient condamnés et qu’ils soient sanctionnés. Les leaders politiques ont un devoir d’exemplarité et ne doivent cautionner aucun dérapage. La situation en Inde se détériore largement à cause du silence complice des dirigeants politiques. Quant à nous à Maurice, n’ayons pas peur de partager avec nos concitoyens notre préoccupation lorsque nous voyons nos frères et sœurs d’ailleurs s’entredéchirer. Afin d’amorcer ce dialogue, il faut entretenir de bonnes relations avec tous nos voisins, comme avec nos collègues au travail et ceux que nous côtoyons dans la rue. L’école doit être un lieu de formation du vivre-ensemble où le respect mutuel doit être inculqué. Dans le respect de la diversité, le dialogue inter-religieux et le travail associatif au service de tous sont primordiaux.
Finalement, les médias ont un rôle vital. Dissimuler l’information peut être une stratégie prudente afin de ne pas attiser des tensions. Mais à l’heure des chaînes satellitaires et des réseaux sociaux, ne pas communiquer constructivement peut laisser libre le champ aux têtes-brulées de tous les côtés. À un moment, avec tact et sagesse, il faut faire confiance à l’intelligence et la maturité des gens. Il faut transmettre l’information sans manipulation ou distorsion. Mais ce qu’il faut aussi faire c’est interpeller les consciences face aux leaders socioreligieux et politiques qui démissionnent face à leurs responsabilités. Avec raison, le Mahatma Gandhi avait défini sept péchés capitaux, l’ultime, selon lui, étant ‘Politics without Principles’…

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