Mustupha Mosafeer : « Temps de revoir l’Income Tax Act à la lumière de l’évolution internationale »

Le Mauricien a rencontré cette semaine Mustupha Mosafeer, ancien commissaire de l’Income Tax, qui vient de publier un livre intitulé Income Tax in Mauritius. Comme le souligne le Solicitor General, Rajesh Ramloll, « the book of Mustupha Mosafeer is an essential primer for tax professionals, tax administrators, university students and members of the legal profession ». L’ouvrage couvre non seulement de manière exhaustive l’imposition des contribuables individuels, mais il contient également une analyse détaillée de l’imposition des sociétés et d’autres structures d’entreprise, telles que les trusts, les sociétés et les fondations. Pour Mustupha Mosafeer, « le temps est venu de revoir l’Income Tax Act à la lumière de l’évolution de la politique fiscale au niveau international, tout en préservant les clauses qui sont encore valables aujourd’hui ». L’auteur a été étroitement associé à la création de la Mauritius Revenue Authority et a été directeur due la Large Taxpayer Department and International Taxation Unit, en sus de Technical Advisor on International Taxation à la MRA et Tax Advisor à la Financial Services Commission. Il opère aujourd’hui en tant que consultant.

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Après votre ouvrage, intitulé « An insight into Mauritius Tax Conventions », publié en 2016, vous venez de publier « Income Tax in Mauritius ». Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Mon premier livre était une publication très technique et concernait tous les traités conclus par Maurice avec les organisations internationales et d’autres pays. Il était accessible surtout à ceux qui comprennent la politique fiscale. Le dernier livre est très simple et concerne tout le système d’impôt à Maurice en référence à la Mauritius Tax Act.
J’explicite le système d’impôt à Maurice, comment la loi est administrée par la Mauritius Revenue Authority (MRA). Je décris beaucoup de procédures. C’est un livre très basique dans un souci de partager mon expérience, mon savoir-faire et mon expertise concernant les impôts. J’ai plus de 50 ans de carrière au bureau de l’Income Tax. J’ai commencé en 1971, j’ai gravi tous les échelons.
En 2006, après la création de la MRA, je me suis joint à l’organisation comme un des directeurs. J’y ai consacré beaucoup de temps. J’ai eu l’occasion de participer à toutes les négociations concernant les traités conclus par le gouvernement mauricien. J’ai voulu mettre tout cela sur papier pour que tout le monde puisse en bénéficier.
Ensuite, j’ai remarqué que sur le marché local, il n’y a aucun livre consacré aux impôts. Beaucoup de jeunes étudiants travaillent actuellement sur ce sujet. Or ils ne disposent d’aucun livre sur Maurice pour approfondir leurs connaissances. J’ai voulu combler cette lacune. Ce livre est à la portée de tout le monde, c’est-à-dire le public en général, les étudiants, les professionnels et les investisseurs. Nous savons que les impôts constituent un des facteurs importants qui sont pris en compte avant qu’un investisseur ne décide d’investir à Maurice.

S’il fallait faire l’historique des impôts, que diriez-vous ?
Les impôts sont étroitement associés au monde civilisé et ont toujours été utilisés pour financer les dépenses publiques. Il a existé l’époque des empires égyptiens. Il y a eu des percepteurs d’impôts chez les Grecs et les Romains. Dans mon livre, je fais mention d’une citation parue and le UK Inland Revenue à l’occasion du bicentenaire des impôts en 1999 qui se lit comme suit : « taxation which is the means by which a civilised society performs the sometimes uncivilised task of taking money from one group in order to give it to another has been a part of life for a very long time. » Benjamin Franklin disait que « In this world, nothing is certain but death and taxes ».
En fin de compte, les impôts sont devenus un fait de vie. C’est l’un des moyens par lesquels le gouvernement représentant le peuple paie pour les services que le peuple demande, comme la sécurité, l’éducation, la santé et le soutien aux moins bien nantis. C’est aussi un instrument puissant entre les mains du gouvernement pour financer et stimuler le développement économique.
Les impôts ont été introduits à Maurice en 1932 à travers un règlement connu comme l’Income Tax Ordinance. Ils ne s’appliquaient alors que sur les revenus comme les profits provenant du commerce et de l’industrie, les revenus professionnels, les salaires et pensions, les dividendes et les intérêts, les revenus de location, royalties, d’indemnités et d’autres propriétés immobilières.
En 1934, l’Income Tax Ordinance a été remplacée par la Pole Taxe Ordinance. Cette taxe est restée en vigueur jusqu’en 1951 avec une nouvelle Income Tax Ordinance. En 1974, cette dernière est devenue la Tax Act. Vingt ans plus tard, cette législation est remplacée par l’Income Tax Act de 1995. Le Pay As You Earn (PAYE) a été introduit en 1993. Le budget de 2006-2007 a apporté des réformes en profondeur pour rendre le système d’Income Tax plus simple, transparent, facile à respecter tout en éliminant les discriminations.
La réforme avait pour but de « to reward effort, innovation and enrepreuneurship while granting tax incentives and concessions sparingly in a transparent manner ». À partir de 2009, le gouvernement a introduit une obligation pour les compagnies privées de participer aux activités sociales avec la création de la Corporate Social Responsibility. Une Solidarity Levy a été introduite par la même occasion. D’autres changements ont été introduits dans les budgets subséquents.

Quels sont les points forts que vous retenez de toutes ces années ?
Dans mon livre, le lecteur verra comment les impôts ont évolué durant ces 50 dernières années. Une chose importante à noter est que dans les années 1970 -1974 le taux d’imposition aussi bien pour les individus que pour les compagnies pouvait attendre jusqu’à 80-85%.
Ce taux pour les individus a été réduit à 70% en 1980. Ce n’était pas compétitif. Pour ce qui concerne les compagnies, le taux d’imposition était de 40% jusqu’en 1982 lorsque le taux est passé à 50% pour les compagnies privées et 60% pour les compagnies publiques. À cela, une surcharge de 10% était venue se greffer sur les deux catégories de compagnies. Ces taux devaient être portés à 15% en 2008. Beaucoup de pays nous ont enviés et ont demandé comment avec un taux aussi faible, nous avons pu générer des recettes fiscales pour notre économie.

La politique fiscale et la stratégie politique et économique sont donc étroitement liées ?
Bien entendu. Comme vous le savez, l’impôt sur le revenu est une source importante de recettes pour financer les activités gouvernementales. L’impôt sur les revenus représente 25% des revenus fiscaux du gouvernement, soit 18,5% du PIB. Six pour cent viennent des impôts sur les individus et 15% de la taxe sur les compagnies. La politique fiscale peut être utilisée pour inciter le développement dans des secteurs spécifiques. Cela a été le cas dans le passé pour le développement de la zone franche manufacturière.
La taxe avait été utilisée comme un outil très important pour attirer les investisseurs dans la zone franche. Il y avait alors une exonération totale pour les investisseurs. Ce qui a permis de créer de l’emploi et a permis de donner un Boost à l’exportation et à l’économie en général. Elle peut aussi être utilisée comme un outil au niveau de la politique monétaire. Et pour venir en aide aux plus démunis. C’est ainsi qu’on a introduit la Negative Income Tax.
Un facteur important est qu’un taux très élevé n’incite pas la production et décourage le travail. Il risque également de provoquer une évasion fiscale qui affecte le système et réduit potentiellement les revenus fiscaux du gouvernement. C’est la raison pour laquelle un taux normal est encouragé pour le bon fonctionnement de l’économie. Aujourd’hui, le système fiscal mauricien est un des plus simples qui existe dans le monde. Vous n’avez qu’à voir les pays européens.

Jusqu’à quand le pays peut-il soutenir cette politique fiscale ?
Les mesures fiscales ne sont pas statiques. Elles doivent être suivies de manière systématique et des réajustements doivent être faits lorsqu’il le faut. C’est la raison pour laquelle le ministre des Finances organise des consultations prébudgétaires avant la présentation du budget pour voir comment adapter sa politique fiscale à la demande du public et en fonction des moyens dont il dispose. Cela ne veut pas dire qu’il peut accepter tout ce que demandent les uns et les autres.

Dans votre livre, vous consacrez tout un chapitre aux revenus. Pouvez-vous bien expliquer quels sont ces revenus ?
Il faut savoir que le terme Income n’est pas clairement défini dans l’Income Tax Act. Par conséquent, ce n’est pas aussi simple que cela. Toutefois la législation donne une liste d’item, constituant les revenus et qui sont, par conséquent, imposables. Tout ce que je fais ne constitue pas un revenu. Si je vends une voiture et que je fais un bon profit, cela ne représente pas un revenu. C’est un Capital Gain. Or à Maurice, il n’y a pas de taxe sur le Capital Gain. Cependant pour une personne qui se lance dans des transactions immobilières ou un courtier dans la vente de voitures, le surplus qu’elle reçoit constitue des revenus parce qu’elle fait un business. Le profit réalisé sur une vente occasionnelle n’est pas taxable.
Les salaires constituent un revenu. Si vous avez une compagnie et vous réalisez des profits, les revenus sont imposables. Les locations aussi sont imposables. De même que les revenus découlant des leçons privées sont aussi imposables. C’est également le cas si vous exercez un métier à côté de votre travail principal en vendant des légumes ou des dholl puri. Je donne toute une liste des revenus imposables et donne plusieurs exemples des cas qui ont été référés à la Cour et qui font jurisprudence.

Est-ce qu’aujourd’hui la politique fiscale n’est pas de plus en plus décidée par les instances internationales, comme l’ODCE ?
Il faut reconnaître que nous vivons aujourd’hui à l’heure de la globalisation. Le mode entier est devenu aujourd’hui un village. Les accords de libre-échanges permettent, d’ailleurs, la libre circulation d’un certain nombre de biens et services. Dans un monde marqué par la libre circulation, il est normal qu’il y ait des tentatives de fraude, d’évasion fiscale. Les risques fiscaux sont là. L’évasion fiscale est un phénomène mondial.
Or, on ne peut pas lutter contre l’évasion fiscale séparément. L’OCDE est une organisation majeure dans ce domaine. Elle étudie le système fiscal à travers le monde et voit comment régler les problèmes. Comment une autorité fiscale comme la MRA peut combattre l’évasion fiscale ? Elle doit avoir des informations. Comment savoir le montant investi par un investisseur local à l’étranger ? Ce qui explique la signature des accords bilatéraux, multilatéraux sur les échanges d’informations. Ces accords ont force de loi.
C’est dans ce contexte que nous avons les modèles de l’OCDE et ceux des Nations unies. Or lorsque les pays se réunissent pour combattre l’évasion fiscale et tous les crimes fiscaux, nous ne pouvons rester à l’écart. Il nous faut nous associer à leurs actions. C’est la raison pour laquelle Maurice a pris des engagements auprès de l’OCDE afin d’appliquer les normes et standards qu’elle a définis.

Que se passe-t-il si Maurice refuse d’adopter le standard mondial ?
Lorsque nous ne le faisons pas, il n’y a pas de sanctions légales qui peuvent être prises contre nous. Toutefois lorsque nous n’adoptons pas les standards mondiaux, ceux qui l’ont fait peuvent nous regarder d’un mauvais œil et nous risquons de devenir un Black Sheep. Faute de sanctions légales, ils peuvent prendre des sanctions économiques ou supprimer l’aide bilatérale. En gros si nous n’adoptons pas les standards les conséquences peuvent être néfastes. Il est préférable de ne pas nager à contre-courant.
Nous avons vu ce qui s’est passé avec notre centre financier. Heureusement que les mesures correctives ont été prises rapidement. Aujourd’hui, nous sommes respectueux de toutes les normes définies par l’OCDE et l’Union européenne. Il est bon de constater que Maurice continue à faire les efforts et garde l’espoir d’être le premier pays de l’Afrique subsaharienne à avoir toutes les chances d’adhérer à l’OCDE dans un proche avenir. Nous apprenons que Maurice soumettra sa candidature au moment opportun.

Le fait de pratiquer une fiscalité légère nous permet d’attirer des investisseurs dans notre centre financier. La taxation n’est qu’un facteur, mais le succès du centre financier dépend aussi d’autres facteurs. Il faut aussi tenir en compte que Maurice est un Etat de droit et que notre système fiscal est basé sur la loi. Nous sommes bilingues et disposons d’un bon réseau de télécommunication. Il ne faut pas oublier que nous sommes bien placés en ce qui concerne la facilitation des affaires. C’est la raison pour laquelle les investisseurs ont confiance dans une juridiction de droit. Ils ont ainsi la garantie concernant la sécurité de leurs investissements. C’est la raison qu’en plus des accords de non-double imposition, nous avons également des accords concernant la promotion et la protection des investissements (IPPA) avec de nombreux pays.

Le centre financier célèbre ses 30 ans. Comment voyez-vous son évolution ?
Il faut se rendre à Ébène pour prendre conscience de l’importance du centre financier dans l’économie mauricienne. Aujourd’hui, ce centre emploie la plupart de nos gradués et a des débouchés intéressants. Il nous faut rester vigilants et ne rien faire pour mettre en péril nos acquis.

Qu’est-ce qui peut être amélioré dans notre système de taxation ?
J’ai fait quelques propositions. Notre système de taxation date de 1995 et a donc 27 ans. Il est temps à mon avis de réécrire l’Income Tax Act. Il faut la moderniser en consolidant les mesures existantes et celles qui portent leurs fruits. Je suis certain que cela viendra bientôt, parce qu’il y a beaucoup de changements qui s’annoncent dans le système de taxation international. Il nous faudra nous adapter aux standards internationaux.

La politique fiscale doit-elle prendre en considération le vieillissement de la population ?
Les impôts sur les revenus concernent les individus et les compagnies. Or, parmi ces individus, il y a aussi des retraités. Cela concerne la politique fiscale. Il est vrai que la loi prévoit des incitations pour les personnes ayant dépassé un certain âge. Elles disposent de déductions additionnelles.

Les retraités peuvent-ils être exemptés de l’impôt sur les revenus ?
Il faut reconnaître qu’une personne à revenu moyen qui reçoit une pension en plus de la pension vieillesse peut ne pas être taxable lorsqu’on regarde ses revenus moyens. Il est normal qu’une personne dont les pensions dépassent les Rs 75 000, par exemple, paie sa taxe normalement.

Propos recueillis par
Jean Marc Poché

ACCROCHES
« J’ai voulu mettre sur papier mon expérience dans le domaine fiscal pour que tout le monde puisse en bénéficier. Deuxièmement, j’ai remarqué que sur le marché local, il n’y a aucun livre consacré aux impôts. Beaucoup de jeunes étudiants travaillent actuellement sur ce sujet. Or, ils ne disposent d’aucun livre sur Maurice pour agrandir leurs connaissances. J’ai voulu combler cette lacune »

« Notre système de taxation date de 1995 et a donc 27 ans. Il est temps à mon avis de réécrire l’Income Tax Act. Il faut la moderniser en consolidant les mesures existantes et celles qui portent leurs fruits. Je suis certain que cela viendra bientôt, parce qu’il y a beaucoup de changements qui s’annoncent dans le système de taxation international. Il nous faudra nous adapter aux standards internationaux »

« Le fait de pratiquer une fiscalité légère nous permet d’attirer des investisseurs dans notre centre financier. Cependant, la taxation n’est qu’un facteur, mais le succès du centre financier dépend aussi d’autres facteurs. Il faut tenir en compte que Maurice est un Etat de droit et que notre système fiscal est basé sur la loi. Nous sommes bilingues et disposons d’un bon réseau de télécommunication »

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