Narendranath Gopee (FCSOU) : « La réforme électorale, un moyen de survie politique »

Narendranath Gopee, président de la Federation of Civil Service and Other Union (FCSOU), prend position contre la réforme électorale. Selon lui, ce n’est pas la priorité du jour. Il est d’avis que le gouvernement devrait avant tout s’atteler à respecter ses engagements envers l’électorat en ce qui concerne les amendements aux lois du travail et l’introduction d’une Freedom of Information Act. Il ajoute que la réforme électorale est dans l’intérêt des politiciens et un moyen d’assurer la survie des partis politiques. Pas question non plus, dit-il, de puiser des fonds publics pour financer les partis politiques. En ce qui concerne le prochain rapport du Pay Research Bureau (PRB), Narendranath Gopee déplore que les consultations n’aient pas démarré à 18 mois de la date prévue pour la publication. Il se dit également surpris que le Premier ministre ne soit pas au courant de la démission du directeur du PRB.

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Êtes-vous satisfait de la compensation salariale à Rs 400 ?

Je ne suis pas totalement satisfait. Le gouvernement a fait un effort, certes, mais il aurait pu en faire plus. Je ne suis pas convaincu quand les représentants du gouvernement viennent dire qu’il n’y a pas d’argent. Personnellement, je pense qu’il aurait pu aller jusqu’à Rs 700. Peut-être que c’est à cause du secteur privé qu’on s’est limité à Rs 400. Car comme on le sait, le secteur privé vient toujours dire que la compensation salariale aura un impact sur ses finances. Pourtant, à chaque budget, ce même secteur privé vient chercher l’aide du gouvernement et il la reçoit. Cependant, ces bénéfices sont investis ailleurs.

Prenons le cas de l’industrie sucrière, devenue l’industrie cannière aujourd’hui, avec une diversification extraordinaire. Pourtant, lors des négociations tripartites, la représentante du secteur est venue plaider le fait que le prix du sucre a baissé sur le marché mondial et qu’on produit moins de sucre. Mais il faut aussi comprendre que si la production a baissé, c’est parce qu’on a utilisé des arpents de terres agricoles pour faire d’autres projets comme les IRS, les Smart Cities. Ces projets sont des alternatives à l’industrie cannière. Et si l’on comprend bien, ces projets doivent contribuer dans les caisses du secteur privé.

Donc, quand on vient dire que le secteur privé n’a pas d’argent, cela ne tient pas la route. Chaque année, c’est le même cinéma. Ce qui est malheureux, c’est que s’il n’y avait pas le syndicat pour défendre les travailleurs, il n’y aurait pas eu de compensation. Car dans la première réunion, le secteur privé avait fait comprendre qu’il n’allait pas payer la compensation. Par la suite, il est revenu à la deuxième réunion avec une proposition de Rs 268. C’est suffisant pour démontrer qu’il y a beaucoup d’informations que le secteur privé tente de cacher quand il vient dans des forums pareils.

Les travailleurs attendent également une décision sur les réajustements des salaires, suivant l’application du salaire minimum. Quelle est votre position à ce sujet ?

Je tiens d’abord à préciser que le salaire minimum est venu corriger une injustice, surtout pour les travailleurs du secteur privé. Pendant longtemps, on a capitalisé sur le “cheap labour”. Là aussi on avait dit qu’il y aurait beaucoup d’entreprises qui allaient fermer dans certains secteurs. Mais tel n’a pas été le cas à ce jour. La réalité, c’est qu’ils doivent retirer plus d’argent de leurs poches et, forcément, cela ne fait pas plaisir. Moi je dis qu’en réalité, on aurait dû définir un salaire maximal pour les employeurs du secteur privé. Il y a une opacité totale concernant leurs salaires et conditions de travail. Ce n’est possible que ce soit toujours les travailleurs qui doivent payer les pots cassés.

En ce qui concerne le secteur public, il y a eu des ajustements pour les “general workers”. Le principe même du salaire minimum est que les employés au bas de l’échelle en profitent. À la fédération, nous avons toujours été pour la réduction de l’écart entre ceux d’en haut et ceux d’en bas. Si on vient dire aujourd’hui qu’il faut revoir la grille salariale dans son ensemble pour garder la relativité, à quoi aura alors servi le salaire minimum ? La philosophie n’est pas de compenser ceux qui gagnent plus, mais bien ceux qui gagnent moins. Comme je l’ai dit, dans le secteur public, seuls les “general workers” sont concernés. Est-ce qu’on va devoir ajuster le salaire d’un Permanent Secretary parce que le “general worker” a eu quelques roupies en plus ? Et sur quel quantum va-t-on calculer cela ?

Toujours est-il que la loi prévoit un réajustement pour corriger les distorsions…

La National Wage Consultative Council Act fait provision pour que le PRB réajuste les salaires suivant la mise en pratique du salaire minimum. Ce sera au PRB de décider quels sont les employés du secteur public qui méritent un réajustement de salaire. Comme je l’ai dit, il faut se rappeler pourquoi on a eu le salaire minimum. Il y avait trop d’exploitations, particulièrement dans le privé. On a vu des Cleaners qui ne touchaient que Rs 1 500 par mois… Le gouvernement est parvenu à reconnaître cela. Ce sont ces personnes qui nécessitaient un réajustement salarial.

En parlant du privé, quel est votre avis sur le Portable Gratuity Retirement Fund proposé par le gouvernement ?

Il était grand temps que le gouvernement vienne de l’avant avec une proposition de cette dimension. D’après, d’après ce que j’ai entendu de mes collègues du secteur privé, il y a certaines choses à revoir. Mais toujours est-il qu’il y a un pas dans cette direction car il y avait une exploitation à outrance dans le secteur privé. Je crois que c’est une décision valable, qui permettra aux travailleurs du secteur privé de toucher une pension à la retraite, qu’il ait eu un seul employeur, plusieurs ou qu’il était contractuel. Car la loi telle qu’elle est aujourd’hui ne permet pas cela. L’article 49 de l’Employment Rights Act (ERiA) dit qu’il faut être en « continuous employment » avec le même employeur.

Jusqu’ici, la pension des travailleurs était déterminée par le nombre d’années de service avec son dernier employeur. Ce qui est injuste car quelqu’un qui a travaillé pendant 45 ans de sa vie ne peut se retrouver avec une pension de deux ans. La nouvelle législation représente ainsi une amélioration fondamentale. L’employeur devra contribuer à hauteur de 4,8% du salaire mensuel de l’employé dans un fonds que la MRA va gérer. L’intention de créer un tel fonds représente une protection pour les travailleurs. Bien sûr, il y a encore des points à améliorer, à éclaircir. On ne sait pas, par exemple, comment ça se passera avec les anciens employeurs, pour ceux qui ont changé d’emploi. Dans l’idéal, j’aurais préféré que la pension des travailleurs du secteur privé soit identique à ceux du secteur public. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Comment abordez-vous le prochain rapport du PRB ?

J’ai été surpris d’entendre à l’Assemblée nationale, la semaine dernière, que le Premier ministre n’était pas au courant que le Pay Research Bureau n’avait pas de directeur. Pourtant, c’est un département placé sous le PMO… Ceci dit, je dois avouer que nous avons eu un directeur du PRB qui a « dormi » pendant trois ans. Il n’a même pas appelé les fédérations pour des consultations, ni même donner des directives à ses officiers pour qu’ils fassent des “field visits” pour mieux comprendre la nature du travail des différents grades de la fonction publique. Je me demande quels “deliverables” il a laissé pour qu’il y ait continuité dans le travail. Il y a actuellement un Acting Director au PRB et j’ai l’impression qu’il est complètement perdu puisqu’à chaque fois que je lui ai parlé concernant les consultations, il me répond que ce sera pour bientôt. Et cela fait déjà un mois. J’ai eu l’occasion de parler à quelques employés du PRB et je dois dire qu’ils sont aussi “wild” car ils savent que si le rapport ne fait pas l’unanimité, le blâme retombera sur eux. Je félicite ces quelques employés du PRB qui veulent commencer le travail. Malheureusement, ils doivent attendre le feu vert. Au Parlement, le Premier ministre a, lui, dit qu’il a déjà donné le feu vert. Où se situe le problème alors ? Il n’y a que 18 mois avant le prochain rapport.

Au niveau de la fédération, nous avons fait une proposition pour que le rapport soit publié en juin 2020, ce qui donnerait aux syndicats le temps de l’étudier et de faire des propositions pour le comité “Errors and Omissions”. Le PRB prendrait deux à trois mois pour travailler dessus et corriger les anomalies. Ainsi, le rapport final serait prêt en décembre 2020 et appliqué en janvier 2021. Cette proposition avait pour but d’éviter les mêmes expériences qu’avec chaque rapport PRB, où il faut par la suite attendre un rapport de l’Errors and Omissions Committee. D’autant que les fonctionnaires doivent signer un contrat, à travers l’Option Form, sur les conditions de service. Ce qui se passe, c’est qu’après, avec le rapport de l’Errors and Omissions, les conditions changent. Rappelons que selon l’Employment Relations Act, les fonctionnaires ne peuvent contester le rapport du PRB en cour. Ils sont coincés par la loi. C’est pour cela que nous demandons au PRB de commencer les consultations au plus vite.

Comment les fonctionnaires se préparent-ils en vue des prochaines élections ?

Comme vous le savez, les fonctionnaires sont supposés être neutres en ce qui concerne la politique, car ils sont appelés à travailler avec le gouvernement du jour. Mais derrière toute élection, il y a une masse silencieuse qui pèse lourd dans la balance. Les fonctionnaires font partie de cette masse silencieuse. On peut voir les banderoles, les oriflammes et les meetings qui font croire que tel ou tel parti est en force, mais ce sont les travailleurs qui décident. Il y a un dossier majeur qui pèsera dans la balance pour les prochaines élections. Ce sont les amendements aux lois du travail. Il y a un silence à ce sujet. Je rappelle que c’est un des items qui ont mené à la victoire de l’Alliance Lepep. Les consultations à ce sujet ont démarré en 2016, au ministère du Travail. La NTUC a soumis ses recommandations, tout comme les autres fédérations. Nous avons mis un accent particulier sur l’article 38 de l’ERiA concernant la “Termination of Employment”. Aujourd’hui, les travailleurs du secteur privé, surtout, sont aigris avec le retard du gouvernement à venir avec la nouvelle loi. À chaque fois qu’on demande des nouvelles, on nous dit que la loi est toujours au comité ministériel. C’est grave et incompréhensible, d’autant que le comité est présidé par un Very Senior Minister en la personne du Premier ministre adjoint, Ivan Collendavelloo, qui est anti-travailleur. Nous avons aussi appris qu’il y a un fort lobby du secteur privé contre ces amendements. Avec les élections qui arrivent, c’est dans l’intérêt du gouvernement de venir de l’avant avec ces amendements. Que chaque fédération ait une copie du projet de loi pour faire ses commentaires. Pour l’heure, le Happiness Index des travailleurs du public et du privé est au plus bas. Il y a une frustration qui va jouer contre les intérêts du gouvernement. En tant que fédération syndicale, nous sommes bien placés pour le savoir. Il y a plusieurs institutions qui ne fonctionnent pas, surtout dans le parapublic, où il y a une ingérence politique. On l’a vu chez Air Mauritius et également à la Mauritius Post. Le gouvernement a failli dans la nomination des Board Members. Aujourd’hui, il y a des “koler lafis” sur les boards qui n’arrivent pas à prendre des décisions. Nous réitérons notre demande pour une Parastatal  Service Commission. Le gouvernement doit comprendre que le développement qu’il préconise ne lui apportera pas de crédits aux élections. C’est le respect de ses engagements pris avec la population en 2014 qui comptera. Le gouvernement doit faire de gros efforts, contre vents et marées, s’il veut revenir au pouvoir en 2020.

Que pensez-vous du projet de réforme électorale ?

Une réforme électorale ne se fait pas dans l’intérêt de la population, mais dans l’intérêt des politiciens. C’est un exercice de “zako protez so montagn”. La réforme est pour le bien des politiciens et le coût, c’est l’État qui va l’assumer. À mon avis, il y a des choses plus importantes à faire dans l’intérêt de la population.

Pour nous, la réforme électorale n’est pas la priorité du jour. Il y a des mesures antidémocratiques et anticonstitutionnelles. Je fais référence aux articles 1 et 2 de la Constitution, où il est dit que la population a la liberté d’élire ses représentants. Avec la réforme proposée, il y aura la Party List, où les leaders politiques pourront faire leurs propres choix. La liberté de choisir de la population est donc menacée. Est-ce qu’on peut continuer à se considérer comme un État souverain dans un tel contexte ?

Pour nous, la réforme électorale est un moyen pour les partis politiques de survivre. Ils veulent juste s’assurer qu’ils auront la majorité au Parlement. De même, quand j’entends dire qu’il faut augmenter le nombre de députés à 82, cela me révolte. N’est-ce pas là un moyen de dilapider les fonds publics ? Une fois que le député entre au Parlement, tous ses bénéfices et privilèges sont garantis. Nous sommes contre le fait d’accorder la pension à un député après deux mandats. Dans certains cas, ces deux mandats peuvent ne durer que deux ans. Dans un contexte économique difficile, notre fédération ne pense pas que ce soit une priorité d’augmenter le nombre de députés.

Il y a aussi une proposition pour financer les partis politiques des fonds publics…

Faire de la politique est un choix personnel. Donc, toute personne qui opte pour la politique doit s’assurer qu’il a le financement nécessaire pour cela. Quitte à ce qu’il aille chercher son propre sponsor. Or, on voit à l’article 3 (c) de la proposition du gouvernement que les noms des donneurs ne seront pas révélés. Qu’y a-t-il donc à cacher ? Surtout quand on sait que cet argent provient du secteur privé, qui se plaint toujours de ne pas avoir assez d’argent pour payer la compensation salariale !

Nous sommes pour la transparence. Tout ce qui concerne le financement politique doit être transparent. Pour ce qui est du financement des fonds publics, je me demande pourquoi, moi, contribuable, je devrais contribuer dans un fonds pour les partis politiques. D’autant que cela peut concerner un parti que je ne soutiens pas. D’ailleurs, le système électoral, tel qu’il est, ne permet pas à un parti politique de faire un contrat avec la population concernant son manifeste électoral. Ce qui nous aurait permis d’engager des poursuites en cas de non-respect. Pour l’heure, il n’y a qu’un engagement informel.

Si le gouvernement insiste pour puiser des fonds publics, nous allons aussi insister pour qu’il y ait un contrat avec la population. Car il s’agit de l’argent du peuple. On ne peut permettre le gaspillage des fonds publics pour satisfaire les désirs personnels des politiciens. Moi, je dis que ceux qui sont intéressés à faire de la politique doivent chercher leurs propres sponsors. D’autant que lorsque l’on regarde certains qui sont à l’Assemblée aujourd’hui, on se demande si on peut toujours les considérer comme « honorables ». Il y a des politiciens qui ont fait perdre confiance dans la politique. Pour nous, c’est catégorique : pas question de toucher aux fonds publics ou au Consolidated Fund.

Y a-t-il un autre dossier qui mérite attention avant les élections selon vous ?

L’Alliance Lepep avait promis une Freedom of Information Act, mais on n’a rien entendu à ce jour. Le droit à l’information est quelque chose de très important dans une démocratie. Cela permet aux journalistes d’avoir accès à l’information pour pouvoir ensuite éclairer la population. On ne peut se considérer comme un État démocratique quand l’accès à l’information est si difficile, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela ne concerne pas uniquement les journalistes. Même nous, en tant que fédération syndicale, n’avons pas accès à l’information. Dans les réunions, quand nous voulons avoir des informations, nous avons toujours la même réponse : « C’est confidentiel. » La loi ne fait pas provision pour des méthodes légales pouvant être utilisées pour avoir accès à l’information. L’article 41 de l’Employment Relations Act fait provision pour qu’un syndicat obtienne des informations seulement quand il y a une négociation collective. C’est une lacune qu’une loi comme la Freedom of Information Act pourrait corriger. Le gouvernement doit trouver un Fast Track pour venir de l’avant avec une telle loi.

Propos recueillis par Géraldine Legrand

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