NAUFRAGE DU MV WAKASHIO — Désastre écologique : Nwar, nwar, nwar… Get Marenwar !

Les gens de la mer de la côte sud-est dans l’incertitude face à l’avenir

Cela fait exactement trois semaines que le MV Wakashio s’est drossé sur les brisants de Pointe-d’Esny. Une semaine que le cauchemar de la marée noire est vécu dans toute son intensité. Et les gens de la mer de la côte sud-est ne savent plus comment sont conjugués le présent et l’avenir sauf que c’est « nwar, nwar, nwar … Get Marenwar! » L’incertitude est totale. Ils ne savent pas pendant combien de temps ils ne pourront pas pêcher et, surtout, sont inquiets du fait qu’on leur demande de nettoyer le lagon sans savoir quelles pourraient être les répercussions sur leur santé. Ceux qui ne possèdent pas de carte de pêcheur sont d’autant plus mal lotis qu’ils n’auront droit à aucune aide. Certains se disent ainsi psychologiquement affectés, non seulement parce qu’ils doivent nourrir leur famille, mais aussi parce que la mer est « une partie d’eux ». Être interdit d’y aller, c’est un peu comme être en prison, estiment-ils.

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Au débarcadère de Rémy Ollier, à Mahébourg, l’animation est encore de mise ce vendredi matin. Des éléments de la National Coast Guard sont engagés dans des échanges avec les pêcheurs sur place. La tâche du jour : aller poser des bouées artisanales en mer. Pour cela, ils auront droit à une allocation de Rs 800. C’est la formule que le ministère de la Pêche a trouvée pour le moment en vue de venir en aide aux pêcheurs. L’argent vient de l’assureur, et non du gouvernement, qui viendra, lui, avec un autre plan d’aide.
Depuis le début de la semaine, bottes, gants et combinaisons sont ainsi distribués pour le nettoyage de la plage. Mais les pêcheurs sont encore réticents.
Christian Hang Hong fait partie de ceux-là. Il a assisté à une réunion que la Federation of Sea Fishermen Associations a eue avec le ministre de la Pêche, Sudheer Maudhoo. Il explique : « Notre représentant, Atma Shanto, a demandé au ministre quelles étaient les garanties qu’on n’allait pas tomber malade en manipulant ces hydrocarbures. Mais il n’avait pas de réponse à nous donner. C’est pour cela que beaucoup d’entre nous hésitent à s’engager dans le nettoyage des plages, comme on nous l’a demandé. Car il faut aussi penser à notre santé. »
Ce qui inquiète le plus la communauté des pêcheurs, c’est que personne ne sait pas quand la situation reviendra à la normale. « Le mal est déjà fait », regrette Christian Hang Hong, qui attend une évaluation des experts à ce sujet. Il ajoute que les pêcheurs sont dans l’incertitude et ne savent comment faire pour assumer leurs responsabilités familiales. « Nous, pêcheurs, sommes en première ligne. La mer est notre gagne-pain. Déjà qu’on vient d’être frappé par la COVID-19 et qu’on n’a pu pêcher pendant presque trois mois. Des pêcheurs ont leurs casiers qui ont été bloqués en mer. »
Justement, certains tentent de convaincre les officiers de la National Coast Guard de les laisser aller en mer pour retirer les casiers. Mais pas question de prendre des risques. Il faudra attendre la levée des interdictions et, surtout, la fin des opérations. « Déjà, nous n’avons rien reçu jusqu’ici pour les casiers perdus pendant le confinement. L’histoire se répète. Comment allons-nous faire quand il faudra recommencer la pêche ? Il faudra penser à des solutions au plus vite », ne cesse-t-on de répéter.
Mahen Gungoo se demande quand il pourra aller retirer ses casiers. Il estime que les autorités auraient pu leur donner la permission d’aller les retirer pour qu’ils ne se perdent pas. Cela fait 35 ans qu’il gagne sa vie de la mer et il se demande comment il fera pour réinventer son quotidien. « On ne sait combien de temps cela va durer. Comment allons-nous faire pendant tout ce temps ? » se demande-t-il.

Rembourser les dettes

Les pêcheurs rappellent que certains ont des prêts à rembourser auprès des banques. « On ne sait encore comment on fera pour rembourser ou si le gouvernement trouvera des solutions. À mon avis, il faudra Write Off les loans, car on ne sait pendant combien de temps nous allons subir les effets de cette pollution. » Christian Hang Hong est d’avis que le ministère de la Pêche doit préparer un plan pour voir comment on réorganisera la vie des pêcheurs face à la situation.
Louis Thelva était parmi les premiers volontaires à prêter main-forte le jour de la catastrophe. Il a notamment aidé à évacuer plantes et animaux de l’Ile-aux-Aigrettes. Aujourd’hui, il en paie les frais et se retrouve à utiliser une pompe pour asthmatique alors qu’il n’a jamais eu de problèmes de bronches. « Jeudi, pendant la nuit, j’ai eu des problèmes pour respirer. Je me suis rendu à l’hôpital de Mahébourg et on m’a envoyé d’urgence à l’hôpital de Rose-Belle. On m’a fait un X-Ray des poumons et j’ai encore des tests à faire. Depuis, je suis obligé d’utiliser la pompe. Les médecins ont été très gentils et m’ont expliqué qu’il faut faire très attention avec les hydrocarbures, qui sont toxiques, » ajoute-t-il.
Pour cette raison, il est réticent à retourner en mer. Il est également très inquiet pour son village et se demande comment les gens vivront s’ils n’ont plus de travail. « Ici, il y a des pêcheurs, mais aussi beaucoup de personnes qui vivent du tourisme, dont des plaisanciers et ceux qui travaillent dans les hôtels. Mais si demain on rouvre les frontières, est-ce que les touristes reviendront à Mahébourg ? Que va-t-on faire de toutes ces personnes ? » se demande-t-il.
Au-delà du travail, c’est la vie même des Mahébourgeois qui est chamboulée. Louis Thelva se demande ainsi si ses petits-enfants pourront toujours aller nager dans le lagon près de chez eux, ou s’il faudra aller jusqu’à Flic-en-Flac. Christian Hang Hong se dit, lui, nostalgique de devoir rester à terre: « la mer fait partie de moi. Ne pas pouvoir aller en mer m’affecte psychologiquement. On est comme prisonnier. »

Pêcheurs sans carte

À Rivière-des-Créoles, zone sinistrée de la marée noire, les masses d’huiles ont été enlevées du rivage et de la mer, mais les éléments de la Special Mobile Force, de la police et les volontaires sont toujours à pied d’œuvre. Il faudra encore du temps pour réhabiliter complètement cette plage. Devanand Gunputh contemple l’horizon et se demande quand sa vie reprendra normalement. Il montre les pirogues qui ont baigné dans l’huile pendant une semaine et qui sont devenues noires. Les pêcheurs n’ont pas eu le temps de mettre leurs embarcations à l’abri. L’huile est arrivée jusque-là très rapidement et de manière inattendue. Ensuite, on ne pouvait plus aller en mer pour les tirer à terre.
Mais Devanand Gunputh est préoccupé par autre chose : « Je pêche depuis 1972, mais je n’ai jamais eu de carte de pêcheur. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. À chaque fois, j’ai soumis des demandes, mais je n’ai jamais eu de carte. Pour l’heure, je n’aurai aucune aide du gouvernement. Je ne suis pas éligible pour l’allocation de Rs 800 par jour, ni pour une éventuelle compensation. »
Ce pêcheur déplore cette situation et fait ressortir que même s’il n’a pas de carte, les officiers des Fisheries le connaissent et ont enregistré ses prises pendant toutes ces années. « Je suis né ici. La mer est mon gagne-pain. Je ne sais comment je vais faire. »
Devanand Gunputh n’est pas le seul dans cette situation. Un de ses amis, qui préfère garder l’anonymat, affirme que le village de Rivière-des-Créoles est délaissé « comparativement à Mahébourg, où on a toutes les facilités ». Il est d’avis que les autorités auraient dû investir dans trois bateaux de pêche pour aller hors du lagon et donner la possibilité aux pêcheurs de la région d’y travailler.
À Bois-des-Amourettes, Vieux-Grand-Port ou Bambous-Virieux, les mêmes craintes hantent les pêcheurs. Toute cette partie de la côte sud-est a perdu son éclat d’azur pour se voir une marée noire à la vue et à l’odeur envahissante. Et pour combien de temps encore…

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