NAUFRAGE : J’ai vu mon yacht couler en mer, a déclaré Pierre

Le navigateur français, Bernard Luc Pierre, 32 ans, et basé à l’île de la Réunion, est déchiré en son for intérieur entre deux sentiments. Il doit s’estimer chanceux d’avoir croisé le cargo True Patriot, battant pavillon du Liberia, et se dirigeant vers Singapour, à peine huit heures après avoir fait naufrage à bord de son yacht, Atlantis, à quelque 155 milles nautiques à l’Est de Maurice. Mais sa longue histoire d’amour avec son bateau de plaisance Atlantis a pris fin dans des conditions tragiques. Depuis 1 heure, dimanche matin, son yacht gît au fond de l’océan Indien, victime des houles rugissantes du Sud. Depuis ce matin, il a regagné la terre ferme à Rodrigues car le True Patriot, après avoir récupéré le rescapé en mer après une délicate opération dans la matinée d’hier, l’a déposé à Port-Mathurin, sous la protection des membres de la National Coast Guard. Mais cette aventure a déjà marqué cet habitué de la mer car il a pris la décision que « plus jamais, il naviguera en solitaire ».
En débarquant, très tôt ce matin, du True Patriot au large de Port-Mathurin, le navigateur Bernard Luc Pierre prend la mesure de la chance de sa vie. Aussitôt à bord de l’embarcation de la National Coast Guard, qui le ramène à terre, il se met dans un coin comme pour méditer de là où il est sorti. Il avait quitté ce même Port-Mathurin à la mi-journée samedi pour retourner à son port d’attache à l’île de la Réunion. Il a fallu de peu qu’il ne revoie les membres de sa famille, qui n’étaient pas encore informés personnellement de sa mésaventure.
« En quittant Rodrigues, samedi, pour rentrer à la Réunion, les conditions en mer n’étaient pas idéales. Mais il me fallait repartir car cela faisait un mois que j’étais parti. Mais à aucun moment, je me doutais que j’allais vivre des moments aussi intenses de ma carrière de navigateur », déclare le rescapé au Mauricien, qui l’a rencontré en mer au large de Port-Mathurin. Cette épreuve qu’il a traversée lui a donné une belle leçon de vie : il ne faut jamais baisser les bras et surtout il faut toujours garder son sang-froid face à n’importe quelle circonstance.
Jusqu’aux petites heures du matin de lundi, la traversée entre Rodrigues et la Réunion se déroule dans des conditions extrêmement difficiles. « La mer était démontée. Tant bien que mal, l’Atlantis, ballottée par les houles, tenait bon. Mais, dans la nuit de dimanche à lundi, l’avant du bateau était malmené par les énormes vagues qui déferlaient de front. Régulièrement, cela faisait pak ! pak! », raconte-t-il en faisant la démonstration avec des sons sortant de sa bouche et des mouvements de ses mains pour mieux traduire les sensations fortes qu’il ressentait à ce moment précis.
« Un trou d’au moins 40 centimètres »
Toutefois, la situation allait virer au pire vers 1 heure ce lundi matin. « Un coup, un silence a régné à bord. Puis j’ai entendu les bruits sinistres de l’eau qui pénétrait dans mon yacht », poursuit l’homme de la mer, aguerri aux tournées en solitaire des îles des Mascareignes. Un premier moment de panique devait céder la place à l’action pour la survie. « Je me suis rendu compte de la situation. J’ai constaté que l’avant de l’Atlantis s’était disloqué. La soudure était partie. Il y avait un trou d’au moins 40 centimètres et je savais pertinemment bien que je n’avais aucune chance de réparer cette fuite ou encore d’empêcher l’eau d’y pénétrer. Je me suis dit : ‘tu n’as pas le choix et tu dois garder ton calme, mon gars’ », dit-il.
En cet instant crucial, la décision était de placer tout son espoir dans le canot de sauvetage. « J’ai cherché le canot de sauvetage et je l’ai placé sur le pont, le temps de m’organiser. J’ai mis toutes mes bouteilles, soit un stock de trois jours dans le canot. J’ai récupéré ma radio de bord, un des seuls moyens de contact avec le monde extérieur, mon passeport et les 70 euros qui me restaient. Entre-temps, l’Atlantis continuait à prendre l’eau », se rappelle-t-il encore en jetant un coup d’oeil furtif sur les vagues, qui secouent le bateau de la National Coast Guard le ramenant à terre à Port-Mathurin, ce matin.
« Puis, j’ai mis le canot de sauvetage à l’eau et je me suis jeté dedans. Je dois dire que Dame Nature a été très clémente envers moi. Avec la pleine lune en haute mer, je n’ai pas eu de grosses difficultés pour ces manoeuvres de transfert de mon yacht au canot de sauvetage. Une fois installé à bord du canot, j’ai tiré les premières fusées de détresse dans une tentative d’alerter des navires se trouvant dans la région. Cette partie de l’océan Indien est une des voies maritimes empruntées par des navires de la marine marchande entre l’Afrique du Sud et l’Extrême-Orient, ou encore Singapour », soutient Bernard Luc Pierre.
De son canot de sauvetage, le matin français verra les derniers mouvements de son yacht, avec lequel il a partagé tant de joie depuis 1975. « J’étais assis dans le canot de sauvetage, je pouvais voir mon Atlantis descendre sous la mer, et abattu par les énormes vagues. Au bout de quelques instants, le yacht avait disparu. Oui ! L’Atlantis, c’est fini », laisse-t-il échapper, un brin de nostalgie empreint d’amertume à la gorge, sachant que le plus dur allait venir vu que le temps n’allait pas être plus clément dans les heures qui allaient suivre.
Ensuite, le rescapé allumera sa radio en vue d’essayer de capter des échanges avec des cargos croisant dans la région. Mais ce fut en vain, silence radio en plus. De son canot de sauvetage et malgré la nuit, il sera « On the Look-Out » à chaque vingt minutes et cela, dans l’espoir de voir pointer à l’horizon les lumières d’un bateau. « Cela ne m’a nullement découragé. J’étais convaincu que tôt ou tard, je devais apercevoir un bateau dans les parages; j’avais un stock stratégique pour survivre pendant un minimum de trois jours et le canot de sauvetage était fiable », devait-il s’appesantir.
Puis, le coup de chance allait intervenir vers les 5 heures du matin. En essayant de nouveau sa radio, il devait recevoir des signaux émis d’un autre bateau. « Cela grésillait beaucoup. Je ne pouvais pas établir la communication. J’ai regardé autour de moi dans la mer et j’ai vu les feux d’un bateau au loin. J’ai tiré des fusées de détresse pour attirer l’attention de l’équipage. J’étais décidé à ne pas laisser échapper cette première chance de sauvetage », ajoute-t-il.

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