Non à l’intégration des Chagos dans une circonscription existante !

– Il leur faut une à part entière ainsi qu’une autre pour Agaléga et St-Brandon

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SHAFICK OSMAN

Docteur en géopolitique (Paris-Sorbonne)
Chercheur associé, Florida International University (Miami)

Quand on réside à l’étranger et qu’on suit l’actualité mauricienne de façon irrégulière, il y a des nouvelles comme cela qui vous font vraiment plaisir et, celle-là, soit la décision du conseil des ministres de la République de Maurice, qui, lors de sa réunion du 14 juin dernier, décide d’intégrer – enfin ! – les Chagos au processus électoral mauricien, en est une !

Il n’est jamais trop tard pour bien faire, nous dit-on, mais il faut reconnaître que Pravind Jugnauth va vite en besogne après la triple victoire onusienne de ces dernières années sur la question des Chagos. On pense à la dotation budgétaire de Rs 50 M pour les frais du retour éventuel des Chagossiens sur leur archipel, entre autres.

Mais là où le conseil des ministres s’est mal inspiré, c’est la modalité d’intégration des Chagos dans le système électoral mauricien. Il ne faut surtout pas répéter l’erreur commise, à la fin des années 90, quand le premier gouvernement de Navin Ramgoolam, sous l’impulsion de feu James Burty David, vaillant défenseur des Agaléens (c’est lui qui avait fait bannir le terme « Agaliciens » pour dénommer les résidents et natifs d’Agaléga, parmi d’autres choses qu’il avait entreprises pour ces deux îles), avait décidé d’intégrer Agaléga au système électoral mauricien, offrant, pour la première fois, en 2000, aux Agaléens, de voter ! Encore une fois, il n’était pas trop tard pour bien faire.

La décision progressiste du PTr-PMXD tourna en ridicule quand Agaléga fut intégrée à la circonscription No 3 de Port-Louis Est – Port Louis Maritime, soit une circonscription composée majoritairement de Plaine-Verte et de Roche-Bois, qui n’a aucune connexion avec Agaléga sinon que les Agaléens débarquent dans cette circonscription quand ils viennent à Maurice, par bateau ! On se demande même si les candidats à la députation, au No 3, fassent campagne, à Agaléga, avant les différentes élections générales… La raison évoquée pour cette annexion : Port Louis Est – Port Louis Maritime étant, à l’époque, la circonscription la moins peuplée de la République ! Une explication banale, voire insultante à l’égard des quelque 300 habitants d’Agaléga.

Agaléga-Saint Brandon

Nous étions les premiers à réclamer dans le quotidien l’express, un député, à part entière, pour Agaléga, en 2009, soit au moment de la rédaction du rapport de l’Electoral Boundaries Commission. Le 12 mars 2014, à l’université des Mascareignes, où Radio Plus organisait sa traditionnelle émission le jour de l’indépendance et de la République, le président de l’Ong Les Amis d’Agaléga, Laval Soopramanien, abondait dans le même sens et on a pu aussi lire récemment, sur les réseaux sociaux, une telle demande venant d’autres Agaléens.

Et parce que Saint Brandon est parmi les plus démunis de la République où aucun résident – il existe des résidents permanents contrairement au discursif des autorités mauriciennes – n’y a jamais voté, il serait judicieux que cette nouvelle circonscription d’Agaléga soit annexée à St Brandon pour fonder une nouvelle circonscription qui pourrait s’appeler Agaléga-Saint Brandon. Pour rappel, la Commission Banwell de 1966, père de notre système électoral actuel, avait recommandé que la nouvelle circonscription de Rodrigues d’alors soit une circonscription à part entière avec deux membres élus « with the inhabitants of St Brandon and Agalega perhaps being represented by the members for Rodrigues ». On invente donc rien et Banwell avait déjà pensé, en 1966, à la représentation de St Brandon mais de façon différente.

Et on pense là aux résidents de Rodrigues qui ont eu le droit de vote seulement, aux élections de 1967, après une pétition du membre actif du PMSD Clément Roussety, alors que les résidents de l’île Maurice pouvaient, eux, voter, selon le suffrage universel, depuis les élections de 1959, soit huit ans auparavant ! Clément Roussety avait même demandé l’invalidation des résultats des élections mauriciennes de 1959 et de 1963 car les habitants de Rodrigues n’y avaient pas participé mais un Order in Council de la Reine, émis à la dernière heure, n’avait pas donné de suite à la pétition du membre du PMSD.

La nécessité d’un(e) député(e) des Chagos

Ce serait absolument ridicule d’intégrer les Chagos au sein d’une circonscription existante de la République, il faut aux Chagossiens un(e) député(e) à part entière et dans une circonscription à part entière, comme on avait fait part officiellement, à la primature, en 2014, suite au fameux White Paper de Navin Ramgoolam, Premier ministre d’alors, sur les réformes électorales qui devaient être la carotte du leader des Rouges au leader des Mauves en vue des législatives de la même année.

Le 12 mars 2014, toujours au cours de l’émission spéciale de Radio Plus, à l’université des Mascareignes, on fit part publiquement de la nécessité d’avoir un député pour les Chagos. « Et nous sommes heureux qu’Olivier Bancoult, président du Groupe Réfugiés Chagos, ait dit publiquement qu’un député pour les Chagos est “long overdue”, suite à notre proposition du 12 mars dernier […] », écrivions-nous dans l’express du 6 avril 2014. Il est évident que tant que le Royaume-Uni ne quitte pas l’archipel des Chagos ou tant qu’un « arrangement » ne soit trouvé avec les Britanniques (en accord avec les États-Unis), ce ou cette député(e) restera un(e) membre de l’assemblée nationale « en exil ».

Par contre, le communiqué du conseil des ministres du 14 juin 2019 ne dit rien sur les électeurs chagossiens qui seraient éligibles pour voter dans cette « circonscription » des Chagos. L’exercice risque d’être périlleux car la communauté chagossienne est répartie entre l’île Maurice (où ils sont déjà des électeurs selon leur lieu d’habitation), Agaléga (où ils doivent aussi être des électeurs du no. 3), les Seychelles et la Grande-Bretagne, essentiellement. La commission électorale va-t-elle enregistrer des électeurs chagossiens aux Seychelles et en Grande-Bretagne, par exemple ? Ou alors, la commission se concentrera-t-elle sur les Chagossiens de l’île Maurice et d’Agaléga seulement ?

En tout cas, un nouveau chapitre sur les Chagos s’ouvre depuis le vendredi 14 juin 2019 et l’exercice promet des avancées considérables et avoir un(e) député(e) des Chagos, issu(e) d’une circonscription à part entière, à l’assemblée nationale de la République de Maurice, ne manquera pas d’impact tant au niveau national qu’international mais si les Chagos devaient être rattachés à une circonscription existante, cela risque de n’avoir aucun effet et surtout, de ne pas avoir un Chagossien ou une Chagossienne représentant la circonscription des Chagos tout comme il n’y a jamais eu d’Agaléen(e) qui ait représenté Agaléga au sein de la circonscription de Port Louis Est – Port Louis Maritime !

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