Notre printemps à nous…

SANJAY HEERALALL BHUGALOO

2020 est déjà derrière nous. Une année riche en évènements sur le plan sanitaire avec la pandémie de Covid-19 et ses retombées sur notre vie à tous. L’année a aussi été mouvementée s’agissant du social et de la politique, avec un gouvernement fraîchement au pouvoir mais déjà en mauvaise posture. Et ce, dû aux multiples scandales de corruption, népotisme, passe-droits, et j’en passe.

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Force est de constater qu’on se retrouve aussi avec une opposition parlementaire incapable de trouver ses marques et de brasser au-delà de leurs inconditionnels ; aucune alternative crédible ou encore un réel projet de société proposé.

La résistance face aux dérives totalitaires du pouvoir est venue principalement de la société civile et aussi, dans une certaine mesure, des hommes et des femmes de formations politiques extraparlementaires.

Mais le plus inquiétant, c’est ce sentiment général de frayeur et de peur de représailles qui s’est emparé de la grosse majorité de la population depuis un certain temps. Peur de s’exprimer ouvertement sur bon nombre de sujets touchant à notre vie quotidienne et les fondements même de notre démocratie.

À la suite de mes divers articles de presse et mes nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, certains de mes proches et amis m’ont carrément suggéré de cesser d’écrire, évoquant les risques que j’encours en m’exprimant trop ouvertement. Quand on a été au contact du monde politique depuis son enfance et témoin des grands évènements par l’entremise d’un père qui s’est toujours engagé dans des combats contre les injustices – jusqu’à se faire jeter en prison pour ses convictions –, je peux vous dire que le sentiment de peur m’est étranger.

Quand notre actuel PM était en train de chauffer les bancs de l’université et que le leader rouge, alors étudiant lui aussi, écumait bars et discothèques dans la Perfide Albion, je suivais déjà mon père dans ses meetings en solo à travers l’île à défendre ses idées et convictions et contester le pouvoir bleu-blanc-rouge en place composé du MSM, PTR et du PMSD. Les plus jeunes ne savent peut-être pas que les slogans des campagnes électorales de l’époque étaient entre autres: « Sak zako protez so montagn », « lera blan », « moralite pa ranpli vant » ou encore « pa tous nou bann ».

Malheureusement, il n’y avait pas de réseaux sociaux à l’époque. Les nombreux meetings de mon père à travers l’île étaient très peu répercutés dans une grosse section de la presse écrite, plus occupée à être la caisse de résonance de certains politiciens de l’époque et de nous vendre les différents ‘hommes paravents’ hindous que le leader du MMM voulait nous faire avaler.

Une petite équipe d’inconditionnels le suivait partout dans ses réunions à travers l’île et dont je suis vraiment fier d’avoir fait partie. Je voudrais ici mentionner, Bobo, Amode, feu Gah et mon frère Sanjiv et aussi rendre hommage à ma mère qui a été toujours aux côtés de mon père dans tous ses combats. Et ce, sans ‘bouncers’ ou des ‘gros bras’ comme on les appelait à l’époque et qui sont légion aujourd’hui. Quel fut mon étonnement de prendre connaissance dans un quotidien récemment d’un incident impliquant l’ex-PM Navin Ramgoolam où un élu de son propre parti fut agressé par ses ‘bouncers’ lors de la marche organisée à Moka pour soutenir la veuve de feu Monsieur Kistnen. Lui qui parle maintenant de rupture avec le système après en avoir bien profité pendant des années, devrait commencer par pratiquer ce qu’il prêche et de procéder avant tout par une rupture avec ses propres pratiques dépassées.

Comment oublier ce fameux meeting à Stanley/Rose-Hill à la fin des années 80 où à la tombée de la nuit, après que mon père eut tenu le crachoir seul pendant plus de deux heures, des éléments de la SMF débarquèrent pour disperser la foule à coups de bâtons et de gaz lacrymogène sous prétexte qu’il avait débordé sur l’horaire pour clore le meeting. Nul besoin de vous rappeler, selon la formule consacrée, ‘ki lord inn vinn depi lao’. Il fut emmené manu militari au poste de police de Rose-Hill et y passa la nuit en cellule avant d’être libéré le lendemain. Je dois ici rendre hommage à feu Sir Satcam Boolell, qui fut le seul politicien à venir rendre visite à mon père au poste de police ce soir-là. Certains, qui se proclamaient à l’époque grands défenseurs des libertés, étaient sûrement déjà bien pris à négocier en coulisse la prochaine alliance MSM/MMM de 1991!

Et des représailles, vous n’en doutez pas, il y a eu tant au niveau familial que personnel. La plus marquante fut pour moi sans doute l’expérience vécue lors d’une entrevue pour l’obtention d’une bourse d’état à la fin de mon cycle secondaire. Quelle ne fut ma surprise et étonnement d’avoir eu à subir toutes sortes de remarques désobligeantes lors de l’entrevue de la part de ceux et celles qui, bien sûr, n’étaient que là de par leur proximité avec les tout-puissants du jour. Et comme vous pouvez le deviner, je fus privé d’une bourse que je méritais sans doute.

C’est ce genre d’expérience qui, j’en suis sûr, renforce notre volonté de continuer à nous battre contre les injustices sous toutes ses formes. En fin de compte, de quoi devrions-nous avoir peur quand on est à la recherche de la vérité et de vouloir que du bien pour notre pays et nos enfants ? Cela me fait penser à la réflexion du Swami Dayanand au sujet de la peur : « Why are people afraid? The answer is that they have made themselves helpless and dependent on others. We are so lazy, we do not want to do anything by ourselves. We want a personal god, a savior or a prophet to do everything for us. »

Et malheureusement pour une majorité de nos citoyens aujourd’hui leurs sauveurs sont encore nos politiciens et plus particulièrement ceux qui sont au pouvoir. Pas de surprises si certains sont comparés à un prophète connu et dans un passé plus lointain « ene tigit pli tipti ki Bon Dieu » ou encore à travers des slogans comme « Navin to mem nou lerwa to mem nou Rajah ».

Et comment passer sous silence le sale rôle joué par certains dirigeants d’associations dites socioculturels, qui se mettent à plat devant les tout-puissants du jour quels qu’ils soient. Quand on voit un PM refuser de répondre au parlement, le temple de la démocratie, en se réfugiant derrière toutes sortes d’excuses bancales pour aller ensuite tenter de se défendre lors d’un évènement religieux organisé par une de ses associations, avec des commentaires à peine voilés du genre, qu’on est en train de l’attaquer parce qu’il est un hindou comme son père – et le Dr Navinchandra Ramgoolam dans le passé – quand ils étaient au pouvoir. En entendant ce genre d’argumentaire en 2020, on ne peut qu’être révolté à moins d’être un « roder bout ».

Toutefois, il est réconfortant de noter ces derniers temps, que de plus en plus de citoyens se sentent concernés par ce qui se passe et descendent dans la rue pour manifester.

Mes vœux les plus sincères pour cette année 2021; que toute la lumière soit faite sur les différents scandales : St-Louis, contrats alloués à des petits copains, Angus Road, affaire Kistnen, emploi fictif etc.. et que le peuple se réveille enfin pour faire partir le plus tôt possible toute cette classe de politiciens, tous partis mainstream confondus, qui nous chantent la même rengaine tous les 5 ans depuis plus de 40 ans avec des ‘packagings’ différents. Les familles Ramgoolam, Jugnauth et Bérenger n’ont pas seules le monopole de l’intelligence et de la capacité de diriger ce pays. Et que notre beau pays puisse enfin respirer…

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