Notre République s’est distinguée mais a du mal à se l’avouer…

Maurice n’est pas seulement une démocratie et une mosaïque de la race humaine : elle est aussi et surtout un microcosme de la planète entière. Notre République célèbre sa diversité sociale et culturelle dans toute son ampleur, ses splendeurs stupéfiantes et ses manifestations les plus variées. Tout cela sans heurts, conflits ou confrontations. Cependant, toutes les ethnies, toutes les complexions s’y retrouvent dans un creuset unique où la Providence nous a jeté pêle-mêle.
Comment est-ce qu’on a pu réaliser ce miracle ? Car miracle, c’en est un. Mais ce bon peuple de Maurice jette un voile de mystère sur cette réalité qu’elle vit chaque jour et que les grands de ce monde auraient intérêt à venir voir de plus près, pour tirer du vivre-ensemble mauricien, les profondes leçons de la coexistence harmonieuse, pacifique et riche en possibilités.
Les Mauriciens prennent pour acquis imprenable la paix sociale, l’acceptation de l’autre dans le respect des traditions souvent étrangères et font de leur mieux pour comprendre les cultures très éloignées de leur propres origines. Tout cela représente un patrimoine unique que nous avons hérité de notre histoire mouvementée mais que nous ne semblons pas apprécier à sa juste valeur.
Une concertation tacite
Cette cohésion remarquable est le fruit d’une tacite concertation de ne pas heurter les sentiments d’autrui, de tolérer les inconvénients passagers et de souscrire à ce qui nous unit, sans brusquer les pratiques traditionnelles que notre société a jugé bon d’intégrer. Nous nous imposons un devoir de réserve concernant le droit d’autrui de vivre leur vie selon leurs règles de conduite et leurs croyances ancestrales.
Ainsi on accepte volontiers le ralentissement du trafic routier lors de la procession du Maha Shivaratree, l’appel à la prière des mosquées qui quelque fois dérange, le mariage qui bloque une rue entière réservée aux invités assis sous un abri temporaire érigé sur la voie publique, le passage à la télé des programmes étrangers – qu’on pouvait trouver ésotériques ou incompréhensibles, des interventions religieuses qui monopolisent le temps à l’antenne.
La marche sur le feu, le yamse (Goon), la danse du Dragon chinois, le pèlerinage au tombeau du Père Laval attirent des foules. Les signes extérieurs d’un culte étranger ne font pas grincer les dents comme dans certains pays européens. Et le Sega, qui dégage une sensualité qui séduit et excite, reste une expression folklorique populaire qui attire citoyens et touristes.
Le Partage
Mieux : on partage. Lors des fêtes canoniques, des mets, gâteaux, friandises sont distribués à la ronde aux voisins et amis, et appréciés surtout par ceux d’une autre civilisation. Nous ne chantons pas nos propres louanges mais nous nous enrichissons mutuellement de nos arts et traditions respectifs, à telle enseigne que dès notre plus jeune âge nous pouvons distinguer une église d’une mosquée, un temple d’une pagode, une grotte consacrée à la Vierge d’un kovil.
Mais là où nos pratiques ancestrales se confondent c’est dans notre art culinaire commun. Nous dégustons tous avec délices le menu mauricien qui réunit la Chine, L’Inde, La France, les Îles sur la même table, avec ses appétissantes saveurs, son piquant épicé, ses douceurs ineffables que nous sommes fiers et ravis de présenter aux visiteurs.
Une histoire d’amour
Un autre lien commun qui nous unit est sans doute la langue française, avec laquelle notre pays a entamé une histoire d’amour longue de trois siècles et qui a droit de cité dans notre République. Une histoire qui s’est déroulée sans obstruction majeure, marquée par une abondante littérature locale non dénuée d’inspiration et de poésie, une tentative de rétrocession à la France, une plaidoirie qui a duré jusqu’à minuit en 1847, précédant l’entrée en vigueur d’un décret faisant obligation aux avocats de s’adresser en anglais au tribunal, un barreau qui fête cette année son 225e anniversaire.
Le français est le médium favori de la radio, la télévision, la presse écrite, la publicité. Les films étrangers, américains, européens, indiens en font usage pour plaire à un plus large public.
Et le créole continue de jouir d’une place privilégiée parce qu’il s’articule en utilisant la langue française principalement et il reste la lingua franca de prédilection de la population, même dans l’administration, jusqu’au Conseil des Ministres.
Aucun complexe
Notre pays n’a pas de complexe vis-à-vis de l’écharpe islamique, de la viande halal ou du minaret des mosquées. L’ère coloniale digérait mal le sari des médecins originaires de l’Inde, mais aujourd’hui non seulement le style vestimentaire ne fait l’objet d’aucun commentaire désobligeant, mais des infirmiers au front bariolé travaillent à l’hôpital. On raconte qu’en se réveillant aux soins intensifs un patient a cru sa derrière heure venue en regardant se pencher sur lui un visage ainsi transfiguré. Il a jeté un cri qui a ameuté toute la salle. Il a pris l’infirmier pour l’Ange de la mort, venu récupérer son âme. Heureusement que cet incident n’a pas eu de suite fâcheuse…
Un état laïc qui subventionne
Combien de petites nations insulaires diffusent en 15 langues à leur population de 1.3 million, couvrent dans leurs médias toutes les fêtes culturelles, subventionnent les institutions religieuses, leur fournit de l’eau gratuitement – tout en étant un état laïc ? Les 192 pays qui ont participé au sommet de Rio +20 n’ont pu se mettre d’accord sur un plan pour sauver notre planète, la seule qui nous nourrit, nous chauffe, nous éclaire et nous garantit un abri salutaire – mais pour combien de temps encore ? Occasion ratée. Un échec qui nous coûtera très cher. Si, au lieu de RIO cette immense assemblée s’était réunie à Maurice, les délégués auraient pu s’inspirer de l’exemple mauricien de l’accord consensuel dans l’intérêt général ; en ce cas de la race humaine.
Notre pays a pêché par un excès de discrétion en ce qui concerne ses réalisations dans le domaine des relations humaines. Il est peut-être temps de prendre conscience de notre succès avant qu’il ne soit érodé par les prédateurs, les imposteurs et les fauteurs de trouble. Le présent nous appartient, mais l’avenir dépend de notre capacité de survivre en tant que modèle de société et microcosme de l’humanité.
Prendre conscience de nos acquis et les protéger c’est sans doute amorcer un nouveau départ, le commencement d’une ère nouvelle où notre solidarité sociale, qui transcende notre vivre-ensemble, sera d’un atout majeur. Il faut la cultiver cette solidarité agissante et en faire un bouclier contre l’adversité toujours présente. Soyons vigilants!

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