Dans un entretien accordé à Le-Mauricien cette semaine – peu après le face-à-face entre les membres du Groupe Réfugies Chagos (GRC) et ceux de la BOT Citizens Platform – Olivier Bancoult remet les pendules à l’heure. Il souligne que Maurice a le droit de souveraineté sur les Chagos comme l’ont déclaré plusieurs instances internationales. De plus, les Chagossiens soutiennent le gouvernement mauricien dans son entreprise. Il insiste sur le fait que les Chagossiens sont des citoyens mauriciens même s’ils sont détenteurs d’un passeport britannique. Il souhaite aussi que les Chagossiens soient partie prenante des discussions entre la Grande-Bretagne et Maurice.
Depuis mardi, des membres de la BOT Citizens Platform organisent des manifestations contre la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Que se passe-t-il ?
La BOT Citizens Platform est un groupe qui soutient le gouvernement britannique. Ils sont contre la souveraineté de Maurice sur les Chagos. La majorité des BOT Citizens sont nés à Maurice. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas en exil. Ils ont une connexion avec les Chagos à travers leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. La majorité a des grands-parents qui sont originaires des Chagos. Tout cela s’est produit parce que le gouvernement britannique a octroyé la nationalité britannique aux descendants chagossiens.
Subitement, ils considèrent que la République de Maurice, où beaucoup ont grandi, est devenue un enfer. Je reconnais leur droit de vouloir s’installer en Grande-Bretagne tout comme certaines personnes choisissent de s’établir au Canada, en Australie ou ailleurs. Ils n’ont pas le droit toutefois d’obliger les natifs d’aller vivre en Grande-Bretagne. Certains s’y sont rendus, ne se sont pas sentis à l’aise et ont préféré retourner à Maurice. Il faut respecter leur choix.
Ils veulent maintenant que tous les natifs des Chagos refusent de soutenir le gouvernement mauricien et disent que la souveraineté sur les Chagos n’appartient pas à Maurice. C’est une erreur. Le droit de Maurice d’exercer sa souveraineté sur les Chagos n’a pas été décidé par les Mauriciens. Il l’a été par les plus hautes instances du monde dont l’Assemblée générale des Nations unies et la Cour internationale de justice. Ceux qui veulent protester doivent le faire à travers ces deux instances internationales. De toutes les façons, nous ne pouvons pas défoncer une porte ouverte.
Notre priorité consiste à trouver une solution à toutes les démarches que nous avons entreprises pendant des années. Nous ne sommes pas intéressés à nous installer en Grande-Bretagne et nous réclamons le droit de retourner dans nos îles natales. Nous demandons la réparation. Il se trouve que dans l’accord conclu entre Maurice et la Grande-Bretagne, il est prévu que le gouvernement britannique accepte de créer, en collaboration avec Maurice, les conditions nécessaires pour reloger ceux qui veulent s’installer sur les îles Peros et Salomon. C’est une requête qui a été bafouée pendant longtemps, et aujourd’hui le gouvernement britannique a accepté d’apporter sa contribution pour la réaliser.
Ils réclament également votre tête…
Les BOT Citizens veulent que nous cessions de soutenir Maurice. L’histoire veut que même sous la colonisation britannique, les Chagos aient été une dépendance de Maurice. Personne ne peut nier cela. D’ailleurs, cela est mentionné sur les actes de naissance ou les certificats de mariage. Ces personnes, par le truchement de Misley Mandarin qui vit en Angleterre, disent qu’ils ne sont pas des Mauriciens parce qu’ils sont nés en exil dans l’île. Ce n’est pas vrai. Il n’y a jamais eu de naissance en exil. Vous êtes nés à Maurice, un point c’est tout. Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez renoncer à votre nationalité mauricienne.
Mardi, Misley Mandarin qui intervenait depuis l’Angleterre dans une émission radiophonique m’a lancé un défi pour démontrer que je représente les natifs. C’est ainsi que mercredi nous avons réuni tous les natifs au centre social Lisette Talate. Ils sont arrivés avec seulement trois natifs. Ils ont vu que tous les natifs étaient avec nous. C’est alors que les manifestants ont cherché d’autres points de désaccord pour essayer de nous démobiliser. Ils ont prétendu que le Chagossian Welfare Fund a été mal géré. Or les finances de ce fonds sont dûment auditées tous les ans et le rapport est déposé au Parlement. S’il y avait une maldonne, tout le monde l’aurait su. Or, ils sont en campagne électorale et utilisent le slogan BLD à mon encontre. Ils nous associent à Pravind Jugnauth et veulent me voir partir. Et la lutte des Chagossiens est apolitique.
Nous travaillons avec le gouvernement en place. Je n’ai jamais donné d’instruction aux Chagossiens pour quel parti voter. Pas plus tard que lundi, j’ai rencontré Paul Bérenger et je rencontrerai Navin Ramgoolam dans un proche avenir. Je vois mal Navin Ramgoolam et Paul Bérenger discuter avec un groupe qui se dit “British” et qui est contre la souveraineté de Maurice sur les Chagos.
Ce sont des Chagossiens de troisième et de quatrième générations qui veulent effrayer les natifs. Ils sont venus au centre avec un esprit provocateur. Heureusement qu’il y avait une forte présence policière. Ce n’est pas une façon de faire. Nous n’avons pas le droit d’entraîner ces personnes âgées dans une confrontation. Certainement pas ! Tout ce qu’elles cherchent, c’est de vivre en paix et voir leurs îles avant de mourir.
Est-ce que vous êtes soutenu par la majorité des Chagossiens ?
Je suis certain d’être soutenu par la majorité des Chagossiens. Les sept représentants du Chagos Welfare Fund sont membres du Groupe Réfugiés Chagos. Je suis le président du Chagos Welfare Fund à moins que le Premier ministre décide de me remplacer. Tel n’est pas le cas. Je ne crois pas que le Premier ministre me remplacera par une personne qui soutient le gouvernement britannique.
Lors des différentes manifestations, les membres de la BOT Citizens Platform réclament le droit à l’autodétermination et un référendum. Qu’en pensez-vous ?
Ils parlent de choses qu’ils ne maîtrisent pas. La question de référendum ne se pose pas. Ils ont effectivement eu une réunion avec un ministre britannique et ont soulevé cette question. Ils ne connaissent même pas la signification de Self Determination. Il y a deux formes d’autodétermination : la première veut dire l’autonomie interne et le seconde l’indépendance.
Dans le cas de l’autonomie, nous devons travailler avec le gouvernement central. Pour notre part, nous disons que nous ne pouvons pas contredire le gouvernement mauricien. Il nous faut en premier lieu être reconnaissants envers lui. Nous n’aurions jamais pu aller devant la Cour internationale de Justice par nous-mêmes. Nous ne pouvons pas le faire en tant qu’individu ou groupe.
Il faut être un État. C’est à travers l’État mauricien que nous nous sommes rendus devant la Cour internationale de Justice. Nous ne pouvions mettre de côté Maurice parce que nous étions leurs partenaires. La décision de la Cour internationale de Justice n’a pas été prise par Olivier Bancoult ou le peuple chagossien. Elle a été prise par 14 juges sur la base de critères précis. Nous ne pouvons remettre en doute leur jugement. La question d’indépendance comme évoquée par la BOT Citizens Platform ne se pose donc pas.
Ce que nous voulons, c’est avoir une autonomie à partir du moment où les Chagossiens retournent aux Chagos. La question de référendum ne se pose pas non plus parce qu’il n’y a uniquement l’Advisory Opinion de la CIJ. Il y a aussi un jugement qui a été rendu par Tribunal international pour les droits de la mer qui affirme que c’est Maurice qui a le droit de souveraineté sur les Chagos. Il faut ajouter à cela la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. De quel référendum parle-t-on ?
Nous ne pouvons pas ignorer le fait que nous sommes des citoyens mauriciens. Nous sommes détenteurs de cartes d’identité mauricienne. Les Chagos appartiennent à Maurice. Je suis né aux Chagos mais je suis Mauricien, même si je suis détenteur d’un passeport britannique. De toutes les façons, s’il devait y avoir un référendum c’est la République de Maurice dans son ensemble qui devrait voter et pas uniquement les Chagossiens qui ont les nationalités mauricienne et britannique et qui se présentent comme des British.
Revenons sur l’accord qui a été conclu entre Maurice et la Grande-Bretagne en attendant la conclusion d’un traité…
Cet accord contient des éléments positifs pour les Chagossiens. En premier lieu, la Grande-Bretagne reconnaît que Maurice, pays auquel nous appartenons intégralement, a le droit de souveraineté sur les Chagos. Il se peut qu’il y ait des points que nous considérons comme insuffisants qui méritent d’être améliorés. Nous reconnaissons que dans un accord nous ne pouvons obtenir 100% ce que nous souhaitons. Nous continuerons à exprimer nos points de vue afin de voir jusqu’où on pourra aller.
Nous savions que par rapport à Peros et Salomon, il serait plus difficile de retourner à Diego-Garcia en raison de la présence de la base militaire américaine. Cependant, nous voudrions souligner que dans tous les pays où il y a une base militaire américaine, il y a aussi la présence des locaux qui cohabitent avec les Américains et d’autres travailleurs. Par exemple, c’est le cas à Guantanamo Bay, à Cuba. Cela devrait s’appliquer pour les Chagossiens. Nous comprenons qu’il faudrait prendre en compte la sécurité, mais nous, tout ce que nous voulons c’est Live and Let’s Live. Je suis convaincu que des jeunes peuvent trouver un emploi.
Nous ne voulons pas falsifier l’histoire, nous ne voulons pas que le monde nous critique. À Maurice où nous vivons, il y a l’histoire de l’esclavage, il y a l’histoire des travailleurs engagés. Nous ne pouvons pas ignorer le drame chagossien qui s’est produit il y a 50 ans. On ne peut pas me demander, aujourd’hui, de m’installer en Angleterre et d’oublier ma culture, mes racines et mon identité. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la fierté du peuple chagossien réside non seulement dans le fait que c’est le groupe qui a revendiqué son droit par des campagnes de sensibilisation à travers le monde, mais il a aussi promu la culture chagossienne en permettant à l’Unesco de reconnaître le séga chagossien comme un patrimoine culturel immatériel mondial depuis 2019.
Vous ne pouvez venir dire aujourd’hui que Bancoult n’a rien fait. Cela veut dire que vous n’avez rien vu. Moi qui vous parle aujourd’hui, je suis fier que dans la loi britannique sur les Droits de l’homme, le nom Bancoult soit cité à au moins à six reprises comme des exemples qui sont utilisés dans les autres pays. Personnellement, j’ai été impliqué dans la lutte des Chagossiens pendant 42 ans. J’ai participé à la lutte à côté de Charlésia, Orélie, Lisette alors que j’étais encore jeune. Aujourd’hui, lorsque je parle de Chagos, je sais de quoi je parle.
Est-ce une bonne chose d’accorder le passeport britannique à tous les descendants chagossiens ?
En tous les cas, les BOT Citizens font le jeu britannique. Actuellement, il y a un traité qui fait l’objet de discussions entre deux Premiers ministres. Navin Ramgoolam a demandé de lui donner le temps pour comprendre les détails de l’accord conclu. Comment pouvons-nous avoir le toupet de demander au gouvernement britannique d’arrêter les négociations avec le gouvernement mauricien ? Si vous vivez en Angleterre, il y a des Chagossiens qui vivent à Maurice. Est-ce que vous ne savez pas que vous avez des grands-parents ici qui veulent respirer. Vous ne pensez qu’à vos intérêts.
Ensuite, il ne faut pas croire que la vie est meilleure en Angleterre. Beaucoup de Chagossiens sont partis et rencontrent beaucoup de difficultés. Je peux vous dire que dans les jours à venir, beaucoup de Chagossiens retourneront à Maurice parce que leurs démarches n’ont pas abouti. C’est bon pour les jeunes. Je ne dis pas le contraire, mais il y a des problèmes qu’ils doivent surmonter.
Et puis, le Groupe Réfugiés Chagos n’est pas seul. Il y a le Comité social des Chagossiens des Seychelles, il y a les Chagos Islanders, mouvement basé en Angleterre. Il y a le Diego Garcia Island Council. Il y a une branche du GRC en Grande-Bretagne. Nous avons aussi un groupe de Chagossiens en France. Nous avons démontré cette semaine que la majorité des natifs chagossiens sont de notre côté.
À quoi vous vous attendez comme compensation ?
Nous parlons de compensation pour les souffrances que nous avons subies : la déportation, le déracinement forcé. Il y a aussi les autres aspects sociaux comme la santé, l’éducation, les conditions de vie.
Est-ce que vous suivez les discussions qui sont en cours ?
Nous aurions souhaité être impliqués dans les discussions. Nous ne voulons pas une répétition de 1965 et voulons être partie prenante. C’est l’appel que nous avons lancé au Premier ministre à travers le Premier ministre adjoint. Nous voulons être On Board.
Quel message avez-vous pour les BOT Citizens ?
Nous leur demandons de respecter les droits de leurs amis, les droits des natifs puisqu’ils parlent de droits humains. Nous respectons le droit de ceux qui ont choisi de s’installer en Angleterre. Respectez nos droits également ! Nous déciderons si nous voulons rester à Maurice ou aller à Peros et Salomon.
Aux natifs qui sont à Maurice, nous leur disons : Restez rassurés, nous sommes des citoyens mauriciens et continuerons à soutenir l’État mauricien parce qu’il est clair qu’il dispose de la souveraineté sur les Chagos. Il y a eu une violation des Chartes des Nations unies qui stipulent qu’on ne peut pas démembrer un territoire avant son indépendance.
Quand pensez-vous vous rendre aux Chagos ?
Normalement, il aurait dû y avoir une évaluation afin de voir comment faire pour réaménager Peros et Salomon. D’ici au début de l’année prochaine, nous verrons plus clair puisqu’il y a des gens qui veulent s’y rendre. Il y a également les tombes de nos familles qui sont enterrées aux Chagos qu’il ne faut pas oublier.
Si vous voulez promouvoir la justice, il n’est pas possible qu’on puisse bien entretenir un cimetière où sont enterrés les chiens militaires à Diego alors que les cimetières où nos familles sont enterrées sont à l’abandon. Peu importe notre foi, nous avons toujours un respect pour nos parents qui ne sont plus de ce monde. Nous voulons que la chapelle où nous avons été soit en État de grâce.
Êtes-vous prêt à tout quitter à Maurice pour vous installer aux Chagos ?
Bien sûr, c’est cela mon combat. Je suis moi aussi détenteur d’un passeport britannique. J’aurais pu m’installer en Grande-Bretagne. J’ai une responsabilité envers la communauté chagossienne à laquelle j’appartiens par ma mère et tous ceux qui ont participé à la lutte et qui ne sont plus de ce monde. Je suis bien entouré des natifs et de toute la communauté chagossienne.
Vous êtes donc optimiste de pouvoir terminer votre vie aux Chagos ?
Oui.
Jean Marc Poché
« Le droit de Maurice d’exercer sa souveraineté sur les Chagos n’a pas été décidé par les Mauriciens. Il l’a été par les plus hautes instances du monde dont l’Assemblée générale des Nations unies et la Cour internationale de justice. Ceux qui veulent protester, ils doivent le faire à travers ces deux instances internationales »
« Nous respectons le droit de ceux qui ont choisi de s’installer en Angleterre. Respectez nos droits également ! Nous déciderons si nous voulons rester à Maurice ou aller à Peros et Salomon »
« Il n’est pas possible qu’on puisse bien entretenir un cimetière où sont enterrés les chiens militaires à Diego alors que les cimetières où nos familles sont enterrées sont à l’abandon. Peu importe notre foi, nous avons toujours un respect pour nos parents qui ne sont plus de ce monde »