Pamela Hinds : « Maurice peut être une étoile régionale en matière d’innovation »

Pamela Hinds, professeure à l’École de gestion et d’ingénieur de la Stanford University, était à Maurice récemment dans le cadre d’un programme de travail organisé durant le premier trimestre, sur le thème Innovative imperative : fostering education in the Mauritius Ecosystem. Dans un entretien qu’elle a accordé à cette occasion à Le-Mauricien, elle passe en revue la situation concernant l’innovation. Elle estime ainsi que Maurice peut être une étoile régionale dans le domaine de l’innovation. Il a aussi été question de l’émergence des technologies et de l’intelligence artificielle (IA) générative. Pamela Hinds se prononce pour une réglementation tout en assurant qu’on n’empêche pas l’innovation d’avancer avec l’IA.

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La Stanford University organise, en coopération avec la MCCI Business School, une session de formation destinée aux professionnels mauriciens. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est effectivement un programme éducationnel qui met l’accent sur l’innovation et l’entreprenariat. Nous essayons de transmettre les principes et les pratiques afin d’aider les participants de comprendre les changements en cours dans le domaine technologique pour qu’ils soient en mesure de consolider les affaires à Maurice.

Est-ce la première fois que ce type de coopération est organisé entre l’Université de Stanford en dehors des Etats-Unis ?
Non, nous le faisons régulièrement dans d’autres pays, mais c’est la première fois que nous le faisons à Maurice. Nous avons une empreinte mondiale assez importante. La Stanford University organise actuellement une session de formation destinée aux Mauriciens. Nous offrons notre coopération dans le domaine de l’éducation, aux entités gouvernementales et aux institutions éducationnelles à travers le monde. Nous apportons un esprit d’innovation.

Les différentes facettes ainsi que les leçons que nous avons apprises, nous les partageons avec les autres. Aujourd’hui, la technologie digitale a un impact sur tout le monde et tous les secteurs et tous les horizons de la vie, et crée tellement de changements qui interviennent très rapidement, au point où les gens peinent à s’adapter rapidement à ces changements.

Nous apportons donc une connaissance et un état d’esprit afin de donner confiance aux personnes concernées et qu’elles puissent se dire : « Même si je n’ai pas toutes les connaissances, je peux quand même comprendre. » Il est intéressant de noter que nous avons travaillé avec les Émirats arabes unis, la Thaïlande, la France, Hong Kong et d’autres pays.

Nous avons tendance à penser que le monde de la technologie est dominé par les hommes. Or, votre présence à Maurice semble démontrer le contraire. Quelle est la place de la femme dans le domaine technologique ?
Je dois reconnaître qu’aux Etats-Unis, le domaine technologique est dominé par les hommes. La technologie ou même l’ingénierie, voire même la formation dans ces domaines, n’attirent pas beaucoup de femmes. Je suis moi-même affectée à la School of Engineering, mais je ne suis pas ingénieure. J’ai surtout étudié l’impact que peut avoir la technologie sur le travail et la collaboration. Je peux comprendre comment les technologies émergentes sont déployées, la façon dont les personnes travaillent, les moyens qu’elles utilisent et comment elles collaborent. Nous nous attendons à ce que les femmes s’intéressent à l’étude de l’impact de la technologie sur les individus et sur la collaboration.

La lecture de votre CV nous donne l’impression que vous voulez réinventer le travail d’équipe à travers la technologie. Comment les choses se développent-elles, tenant en compte que la communication se transforme rapidement. La technologie rapproche-t-elle les gens ?
Il y a un grand potentiel pour que nous nous rapprochons de plus en plus. Dans une première étude que j’ai effectuée concernant la collaboration entre les Pays-Bas et les Etats-Unis, j’ai été choquée de découvrir qu’alors qu’ils collaboraient, il y avait plus de conflits entre eux. C’était très décevant, parce que j’avais l’impression que lorsque vous travaillez ensemble, vous apprenez plus sur les uns et les autres, et que les relations s’améliorent.

Nous sommes toutefois arrivés à la conclusion que nous pouvons collaborer ensemble à condition que les relations soient structurées de la bonne façon. Il faut mettre en place des systèmes d’incitations; il faut créer les occasions pour que les uns et les autres se familiarisent. Mais aussi s’assurer que les participants aient la possibilité de partager les différentes perspectives et utiliser ces opportunités pour rapprocher le monde.

L’innovation avance très vite, mais que comprenez-vous en vérité par innovation ?
Il faut reconnaître que les choses changent très vite. Toutefois, je ne suis pas certaine que l’innovation se fasse rapidement, alors qu’elle devrait l’être. De mon point de vue, l’innovation implique que nous comprenions le contexte dans lequel nous opérons, de même que nous comprenions les changements qui peuvent être apportés et quelles sont les possibilités qui existent pour faire quelque chose qui serait bénéfique à l’entreprise à la suite de ces changements.

Nous faisons beaucoup d’enseignement et suscitons beaucoup de réflexions sur ce que nous pouvons créer pour améliorer la vie des gens, sur ce que les gens ont vraiment besoin. Il est important de pouvoir faire cela. C’est ainsi que le marché fonctionne. Les gens cherchent toujours quelque chose qui rende leur vie meilleure. Le cœur de l’innovation, c’est d’être capable de comprendre ce qui est nécessaire pour les personnes visées et comment tirer parti des nouvelles technologies ou de la recherche pour répondre à leurs demandes et leurs besoins.

Maurice est une petite île, loin des grands marchés et des centres de recherches. Que pouvons nous faire pour nous maintenir dans le courant de l’innovation ? Ne risquons-nous pas d’être marginalisés ?
Vous avez raison. Il serait facile d’être marginalisés en raison des protections que vous avez. Mais il serait également facile d’émerger comme une étoile de l’innovation, parce que vous avez une population forte et saine, où les gens peuvent travailler ensemble et se concentrer sur les opportunités d’innovation. Vous pouvez émerger plus rapidement que certains pays de la région qui ne peuvent s’organiser aussi rapidement que vous.
Puisque vous êtes un petit pays, vous pouvez avancer plus facilement. Des institutions, comme la MCCI Business School, ont déjà abattu beaucoup de travail avec des partenariats internationaux, des institutions, des universités comme la Stanford University… You can provide a platform to bridge that connection with the broader world. J’ai appris que beaucoup d’étudiants consacrent une partie de leur temps pour travailler à l’étranger. Dans ce processus, ils contribuent à construire ce pont, voire cette connexion, qui rend l’innovation possible.

Une grande partie du succès rencontré dans la Silicon Valley par rapport aux autres régions provient de la collaboration, du réseau développé par les personnes pour s’entraider les uns, les autres, pour trouver de nouveaux clients, développer des idées nouvelles… Il est possible à Maurice d’innover en raison de votre réseau d’entraide. Il est vital que la région se renouvelle.

Est-il possible pour la Stanford University d’avoir une antenne à Maurice ?
Tout est possible. La Stanford University est une université décentralisée. Les choses se produisent lorsque la faculté décide qu’il faut faire avancer ces choses.

Lorsque Toriden Chellapermal, directeur de la MCCI Business School, vous a approchée pour venir organiser cette session de travail à Maurice, étiez-vous surprise ou connaissiez-vous déjà Maurice ?
Je connaissais un peu Maurice, mais j’ai été surprise parce que je n’avais pas une grande connaissance de l’île. Nous étions également surpris en raison de la distance qui sépare Maurice des Etats-Unis. Nous avons par conséquent conçu le programme de manière à mettre le maximum de contenus en matière de connaissances et en prenant en considération la distance, parce qu’une bonne partie des cours se fait par téléconférence. Même si avant la conférence, ni les étudiants mauriciens, ni les professeurs américains ne se connaissaient, nous leur avons donné la possibilité de discuter et de travailler ensemble.

Est-il possible pour la Stanford University de toucher les pays de la région à partir de Maurice ?
La Stanford University est une institution universitaire internationale. Notre but est d’améliorer notre impact pour l’amélioration de la société et de l’humanité. Nous avons l’ambition de partager nos connaissances avec la communauté internationale. C’est pourquoi notre collaboration avec la MCCI Business School peut être utilisée pour un plus grand engagement en Afrique.

Nous parlons de l’intelligence artificielle (IA) générative. Jusqu’où peut-on aller ? Nous avons constaté que, dans le cadre de votre travail, vous traitez des relations entre les humains et les robots. Que pensez-vous de tout cela ?
Je pense que le potentiel est incroyablement grand. Nous devons cependant être prudents. Je ne suis pas inquiète quant à la possibilité que l’IA puisse mettre en péril les emplois de tout le monde. Nous pouvons compter sur une IA générative pour faire une série de taches, comme l’amélioration de l’écriture, pour trouver des informations, pour analyser et pour concevoir des plans… Elle peut aussi créer des vidéos.
Toutefois, nous devons être prudents. Il faudrait savoir comment exploiter ce que l’IA peut apporter et, en même temps, exploiter la valeur que l’être humain peut apporter. Nous sommes toujours dans un monde où la technologie émerge si rapidement que nous ne pouvons pas répondre à ces questions.

Comme toutes les technologies, l’IA peut avoir un impact positif. Ma préoccupation en ce moment est que, vu que cela évolue rapidement, nous n’ayons pas le temps de prendre du recul et de réfléchir plus attentivement à la manière dont nous voulons qu’elle avance pour réglementer l’utilisation, ou encore comment nous assurer qu’elle soit équitable et impartiale. Je connais beaucoup de gens qui travaillent sur ces questions et j’espère que ce travail pourra suivre le rythme du déploiement des produits et des services.

Nous avons vu dans plusieurs pays, notamment en Inde ou en Europe, qu’il y a une tendance à réglementer l’utilisation de l’IA. Êtes-vous d’accord avec cette démarche ?
Oui, je suis d’accord. Beaucoup pensent qu’il y a énormément de pression quant à l’utilisation de l’IA car le marché est là et ils ne veulent pas rester en arrière. Dans une pareille situation, où les incitations sont débalancées, les réglementations sont très importantes. Bien entendu, il faut savoir comment introduire les réglementations afin de ne pas tomber dans les extrêmes et empêcher l’innovation. Il faut une régulation tout en assurant que nous n’empêchons pas l’innovation d’avancer avec l’IA.

Il faut reconnaître que c’est un outil fantastique. Il faut veiller qu’il n’y ait pas d’abus de réglementations parce qu’on risque d’endommager trop de potentiels. Dans certains cas, comme les Fake News, à travers les vidéos, etc., je serais plutôt pour une surréglementation qu’une sous-réglementation.

Comment pouvons-nous utiliser la technologie pour apporter la paix dans un monde où les guerres font rage sur pratiquement tous les continents ?
Je pense que les technologies peuvent faciliter les communications. Je connais un collaborateur qui travaille sur a platform for civic deliberations. Il cherche à faciliter les conversations de façon que les voix soient entendues. Le potentiel pour le faire est intéressant. En fin de compte, les gens doivent se rassembler et se comprendre.
Maurice est un très bel exemple de ce qui se passe dans le monde. Une grande partie de la politisation à laquelle nous assistons actuellement est le résultat de technologies utilisées intentionnellement de manière très conflictuelle. C’est le défi. Les technologies peuvent être utilisées de nombreuses manières constructives pour aider les gens à se connaître et à discuter. Beaucoup de gens y travaillent.

En même temps, concernant les forces intentionnellement destructrices, Stanford fait beaucoup de travail sur les technologies centrées sur l’humain, l’IA centrée sur l’humain dans la société.

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir ?
Je suis une optimiste naturelle. Je ne suis pas certaine qu’il n’y ait jamais eu un moment où je me suis sentie plus préoccupée par ce qui se passe dans le monde. Je crois et je vois des choses que les gens font et qui, à mon avis, sont utiles et constructives. J’enseigne depuis 26 ans maintenant à l’Université de Stanford. J’ai vu des étudiants de premier cycle passer tous les quatre ans; ils ont une culture et une attitude différentes, etc. À l’heure actuelle, je suis optimiste parce que les étudiants de premier cycle à qui j’enseigne se soucient de ce qui se passe dans le monde et essaient de comprendre comment ils peuvent arriver. Ils sont moins soucieux de gagner beaucoup d’argent. Le département des sciences politiques est désormais plus grand. Les étudiants de premier cycle semblent savoir combien il est important de comprendre le système politique et de pouvoir contribuer à son amélioration.

 

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