PASSE-PORTES : Dans la touffeur du conformisme bourgeois…

La pièce suisse Il y a quelqu’un, qui a remporté le prix Passe-Portes 2013 dimanche soir au centre de conférences de Grand-Baie, se présente un peu comme une longue plongée en apnée, du moins la maquette de 45 minutes que nous avons vue la veille. Inspirée de l’unique essai autobiographique de Fritz Zorn, cette pièce a été écrite collectivement par la compagnie suisse Coyote Holes et mise en scène par Fanny Guichard et Magali Tomaso, l’une d’elle ayant aussi réalisé un film vidéo projeté en dernière partie. Les deux comédiens jouent leur rôle avec justesse, en crescendo pour le premier et dans un double jeu contrasté pour le second, qui interprète alternativement le rôle de la mère et celui d’un voisin un peu encombrant.
La maquette de 45 minutes de la pièce Il y a quelqu’un, présentée samedi soir peu avant le concert d’Artmengo, développe particulièrement le thème du garçon de bonne famille, ce chic type dont la vie semble lisse comme un long fleuve tranquille… Le comédien Cédric Leproust se présente sur scène dans la peau du trentenaire qui vient tout juste de s’installer dans son propre appartement, dans un des quartiers les plus cossus de Zurich. Dans son monologue à l’adresse du public, il nous apprend au passage que les cartons disposés ça et là renferment ses effets personnels, notamment une table Starck orange !
Une grande reproduction du fameux tableau de Malevitch, Carré blanc sur fond blanc, est avec le téléphone les seules choses qu’il ait sorti des emballages, et cette oeuvre, autant décriée qu’adulée dans le passé, apparaît comme le comble du snobisme mais finit par refléter la vacuité dérangeante qui s’installe peu à peu entre les personnages. Pourtant, cette pièce amuse et fait même parfois rire franchement, tant elle tutoie le réalisme en surlignant les aspects les plus absurdes de la vie sociale ou familiale.
L’aisance et la satisfaction sont là, mais le personnage ne paraît pas tout à fait à l’aise. Bizarrement, il n’ouvre pas ses cartons. Fines bretelles en cuir, petit noeud papillon noir sur chemise country, sa tenue à la fois décontractée et habillée laisse supposer un être soigneux, voire maniaque. L’essai de Fritz Zorn voulait dénoncer le culte de l’harmonie que pratique la bourgeoisie suisse. Ne pas faire de vague et éduquer ses enfants dans la mesure et la droiture : notre personnage serait le pur produit de cette éducation, s’il ne venait finalement briser le miroir et exposer le malaise qui le ronge intérieurement. Son monologue se fissure au gré des interférences, les incursions inattendues d’un voisin très curieux, ainsi que les coups de fil et visites de la mère qui symbolise cette éducation.
Personnages en contraste
Tomas Gonzalez incarne les deux personnages qui s’adressent à ce jeune homme. Le voisin est affable et même serviable, prêt à l’aider à déballer ses cartons… Son naturel et son côté sans gène contrastent avec la retenue de celui qu’il visite à l’improviste. Dans le rôle de la mère au téléphone qu’il assure également, Tomas Gonzalez reste sur scène derrière un bureau installé en retrait. Il lui suffit d’accentuer les aigus et le côté chantonnant de son accent suisse pour nous laisser imaginer quel genre de mère elle peut être, toute en mesure et autorité, affichant une distance ou une retenue assimilables à la froideur ou l’indifférence.
Cette pièce aborde un sujet grave – le désarroi d’un jeune homme en pleine remise en question – sans sombrer dans des lourdeurs dramaturgiques car elle sait, en jouant sur l’alternance des personnages et des situations, traiter cette histoire avec légèreté et ironie. Le voisin volubile et confondant de naturel et la mère forte de son assurance sans borne apportent les principaux ressorts humoristiques de la pièce, dans leurs échanges déconcertants, ils feront monter la pression du jeune plongeur en apnée, qui s’étouffera littéralement de rage à la fin.
« Nous avions prévu un élément de décor, raconte Tomas Gonzalez, que nous n’avons finalement pas pu faire venir. C’est un grand objet à double fonction qui symbolise les visions opposées, ou les deux revers d’une même chose. Une baignoire qui devient un très grand caquelon à fondue quand on la retourne… » Cet ustensile typiquement suisse apparaît aussi dans un film amateur qui présente un spectacle d’enfants, que la mère commente comme « le meilleur souvenir d’enfance avec sa maman » de son fiston. Ce spectacle dans le spectacle pour bouts de choux en apprentissage de sociabilité, devient dans la bouche de la mère un florilège de satire sociale.
Quand elle sera jouée dans son intégralité en 2015 lors de la prochaine édition de Passe-Portes, cette pièce apportera d’autres surprises, avec de nouveaux personnages et saynètes. Espérons simplement qu’elle préservera ses subtilités de jeu, son humour pince-sans-rire et propre comme un franc suisse qu’elle allie à un enchaînement dramatique efficace.

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