PATRIMOINE : BRIC, l’engagisme et ses immigrants

Plus qu’à lire, le centre d’interprétation Beekrumsingh Ramlallah (BRIC) donne à voir tout ce qui manque visuellement dans les vestiges architecturaux sur centre de dépôt et d’immigration qui a été récemment rafraîchi à côté : les immigrants en situation, les formalités par lesquelles on les faisait passer, les lois auxquelles ils devaient se soumettre et celles qui les protégeaient, leurs modes de vie, leur rôle à Maurice, etc. La mise en scène de l’information permet une incursion progressive dans ce monde qu’en tant que citoyens mauriciens, nous croyons familier, mais qui a dans les faits peu à voir avec nos réalités du XXIe siècle.
Le centre d’interprétation Beekrumsingh Ramlallah rassemble des supports d’information d’autant plus parlants qu’ils sont le plus souvent visuels, éveillant l’émotion en même temps que la curiosité intellectuelle. Photographies d’époque, lithographies, cartes, vestiges archéologiques, artefacts, reconstitutions d’habitats ou d’objets, maquettes etc. : ces objets muséaux se présentent sous les formes les plus variées. Le parti pris d’éviter d’afficher de longs textes explicatifs à lire en faisant le pied de grue n’empêche pas le visiteur curieux d’en savoir plus puisque onze bornes interactives, souvent à écrans tactiles, dispensent beaucoup d’informations et permettent de consulter des documents que l’on feuillette virtuellement.
Sur certaines d’entre elles, il est même possible d’envoyer ces informations à l’adresse email de son choix… Plus basses, certaines de ces bornes sont réservées aux enfants qui y retrouveront Rajah le très astucieux petit personnage de bande dessinée, descendant de travailleur engagé, qui les amènera à s’instruire de manière ludique grâce à des questions/réponses imagées. Un espace jeu est également aménagé au coeur de l’espace d’exposition pour les petits que la visite risque de lasser.
Une photographie de Fiebig de 1853 étale sur tout un pan mural dans la première salle, une scène dans un camp sucrier des Plaines-Wilhems, colorisée par le photographe lui-même, où les femmes sont habillées très simplement dans des vêtements en toile unie. Dans cette première salle, nous apprendrons ce qu’est l’engagisme, les lois et règlements qui régissent ce système d’importation de main-d’oeuvre, les raisons qui ont présidé à sa mise en place, avec aussi quelques repères mondiaux qui permettent de comprendre que Maurice a servi de base pilote et expérimentale avant que la démarche ne soit étendue à travers le monde.
Documents et vestiges
Les blue books, des livres de lois originaux sont exposés sous vitrine et surtout, ils peuvent être feuilletés virtuellement sur la borne interactive à côté, page par page, de même que les comptes rendus de la commission royale qui recommandait déjà en 1909 la fin de l’engagisme… presque vingt ans avant qu’il ne s’arrête effectivement de lui-même. Après ces photos et documents, la deuxième salle expose ce qui fait le caractère unique de ce lieu, à savoir les vestiges archéologiques que recelait son sous-sol jusqu’à ce que les fouilles préventives les mettent au jour, avant d’être interprétés puis présentés avec un souci de vulgarisation et d’esthétique sous la direction de l’archéologue Diego Calaon.
Le premier d’entre eux, le plus ancien, est le quai au petit escalier submersible construit par Tromelin à la période française. De l’eau affleure au fond du mini-bassin muséal attenant, par-dessus les galets qui ont été disposés ici par simple souci esthétique, ce malgré le fait que ce chantier ait tout de même comporté un volet important d’étanchéification.
À quelques mètres de là, le sous-sol mis au jour grâce à la science des archéologues montre les traces du dispositif de halage de l’ancienne cale britannique, auxquelles on a ajouté des outils permettant d’imaginer les activités qui s’y produisaient (calfatage, etc.), ainsi qu’une partie du flanc de la coque d’un navire reproduit à échelle de 1/5e par rapport aux immenses bâtiments d’époque, avec, s’élevant contre elle, un échafaudage de carénage.
Puis nous entrons dans le ventre de la frégate, directement dans l’entrepont où les muséologues ont placé à même le bois, des couchettes individuelles en simple goni des migrants voguant sur le kalapani avec quelques modestes ustensiles en fer-blanc. Quand le temps était clément, ceux-ci pouvaient se dégourdir les jambes sur le pont. Sinon, ils devaient patienter sur ces couches serrées les unes contre les autres, alignées en rang d’oignon, où l’hygiène pouvait rapidement se détériorer au cours de la traversée, si l’on n’y prenait pas garde.
Nous marchons alors sur une vitre, épaisse mais néanmoins transparente, qui laisse apparaître une cale remplie de marchandises (du moins de leur emballage pour les denrées périssables) venues rappeler ici la vocation commerciale de ces bateaux. S’y alignent les bouteilles de vin, la vaisselle chinoise, les céramiques, riz et grains de toutes sortes, des assiettes devenues aujourd’hui de collection réservées aux officiers et à la noblesse, et même des matériaux de construction tels que les solides tuiles Gilardi fabriquées à Marseille que l’on importe à Maurice jusqu’en 1850.
96 % de la main-d’oeuvre agricole
Une borne explique pourquoi Trou-Fanfaron a été le lieu tout désigné pour installer au fil du temps un quai de débarquement, puis une cale de halage et le dépôt d’immigration avant de construire un entrepôt, dont on voit le sol en briques, réservé au futur or brun de Maurice, le sucre de canne. De petites vitrines murales montrent des pièces de monnaie, des becs de chicha et de fines pipes en argile blanche telle que les fumaient Celtes et Britanniques. À côté, plutôt qu’une légende sur cartel, un petit écran s’allume à la demande pour montrer des tableaux d’époque et restituer le contexte dans lequel ces objets pouvaient être utilisés.
La place manque ici pour détailler l’ensemble de la visite. Relevons quelques points parmi d’autres où il est instructif de s’attarder. Des cartes en surimpression sur une vue aérienne de l’ensemble du site tel qu’il est actuellement, rendent ses transformations physiques à travers le temps plus faciles à appréhender, par leur caractère synthétique et les repères temporels qu’elles donnent. Ainsi voit-on par exemple l’île aux Tonneliers et le Fort Georges qui la surplombait disparaître suite aux comblements divers. Véhicule très courant à l’époque, une charrette à boeufs est exposée plus loin, ainsi que le studio tout en bois du photographe qui faisait le portrait de chacun des arrivants sous contrat. Des schémas et statistiques permettent de réaliser l’ampleur du phénomène dans l’évolution du pays.
De 1900 à 1904, la main-d’oeuvre sous contrat représentait 69,70 % de la population mauricienne, 96 % de la main-d’oeuvre agricole et 86 % de la population active ! Les conditions de vie, des plaintes et commissions d’enquête qui ont permis de les améliorer, la diversité culturelle de ces populations venues de contrées très différentes de la Grande Péninsule (avec une prédominance du Bihar et des États du sud) et d’autres pays, les objets de la vie quotidienne sur les plantations, précèdent l’écoute et le visionnage des nombreux témoignages d’anciens rendus possibles grâce à un vaste programme de collecte d’histoire orale.

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