Patrimoine qui pleure au nez et à la barbe de l’UNESCO

Pour ceux qui l’auraient raté, le pays a accueilli cette semaine les délégations de plusieurs pays pour la « Conférence régionale de l’UNESCO pour renforcer les synergies sur la protection du patrimoine culturel en Afrique de l’Est ».
Selon ce qu’il a été rapporté dans la presse, la ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, aurait dit lors de l’ouverture des travaux qu’à Maurice « nous n’avons pas connu de conflit armé » et que « notre patrimoine n’est pas en danger ».
À mon humble avis, dire une telle chose à l’heure même où le gouvernement démolit la School, qui fut le plus vieux bâtiment en bois du pays et un vestige essentiel de l’histoire architecturale de l’océan Indien, cela ne peut être interprété que de trois façons. Ou bien, c’est de la provocation, ou bien c’est de l’inconscience naïve, ou bien c’est de l’hypocrisie.
L’inconvénient est que, compte tenu des nombreuses réactions que j’ai reçues de la part de dignitaires étrangers travaillant à Maurice, précisément suite à la démolition de la School, il est évident que plus personne n’est dupe des beaux discours qu’on nous sert aux jours des grandes fonctions. Et bien que ministres et hauts fonctionnaires excellent à présenter les choses sous leurs meilleurs jours, il est important en même temps de savoir que les institutions internationales sollicitent souvent des ONG pour savoir « par-derrière » ce qui se passe « réellement ».
Aussi, il est peut-être temps d’arrêter de se mentir et de regarder les faits tels qu’ils sont ; en tout cas, c’est ainsi que je les présenterai pour ma part à l’UNESCO.
Au cours des 12 derniers mois, quatre bâtiments classés sur la liste des monuments protégés ont reçu des dégradations majeures, le plus souvent perpétrées par les personnes et autorités responsables de leur conservation. Depuis 2 ans, le Moulin à Poudre, patrimoine qui appartient au pays et placé sous la responsabilité du ministère de la Santé, est régulièrement pillé par des voleurs. Ses premiers vestiges remontent aux années 1740. Il aura été la seule usine de poudre à canon française située hors de l’Hexagone. C’est à cet endroit que fonctionnèrent les Forges de Mon Désir, qui furent une incroyable épopée métallurgique un siècle avant la révolution industrielle avec l’une des plus fortes concentrations d’esclaves qu’on aurait pu trouver dans toute la région à cette époque. Malgré les lettres régulières envoyées au ministère de la Santé et les plaintes déposées aux postes de police de l’endroit, le pillage se poursuit dans l’indifférence générale ; alors que ce site est déjà appelé à une renommée archéologique et scientifique internationale.
Le trafic des pierres volées ne s’est jamais aussi bien porté, des pierres qui viennent souvent de bâtiments et trottoirs publics, propriétés des Mauriciens. Ces fameux trésors, qui pour nos gouvernants n’ont guère de valeur, sont à la base d’un commerce illégal qui génère des millions, en dehors de toute taxation et de tout contrôle de la MRA.
Car au-delà du coût, le patrimoine a de la valeur et il ne se limite pas uniquement à la liste des monuments classés par la NHF Act comme on voudrait nous le faire croire ad nauseam. Nous parlons bien de l’ensemble des richesses et trésors culturels qui permettent à une nation de se reconnaître, d’être unie, de pouvoir réfléchir sur elle-même et de pouvoir grandir et se développer. Ça vaut combien ça ? Combien sommes-nous prêts à investir pour ça ? Et le National Heritage Fund n’a pas pour mission de ne protéger qu’une liste de monuments classés par la loi. Sa mission porte sur toute chose vivante dans la mémoire et qui a de la valeur pour la culture, pour la science et pour les générations futures.
Depuis deux ans, le National Heritage Fund – où travaille une douzaine de fonctionnaires – est toujours sans directeur. Le board du NHF, qui se réunit habituellement une fois par mois, n’a plus été convoqué depuis plus de huit mois. L’Officer in Charge, davantage formé à la comptabilité et à l’administration et à qui il a été demandé d’assurer les opérations courantes, s’évertue à la tâche à ses dépens, même s’il n’a pas les compétences en matière de valorisation du patrimoine.
Pas plus tard que mercredi dernier, le Parlement, dans le cadre du Finance Bill, a voté pour des amendements à la NHF Act qui mentionne que :
« (2) The Minister may, after consultation with the Board, by regulations, cancel the designation of a national heritage where – (…)
(b) it would no longer serve the public interest that the national heritage remains so designated; or
(c) the national heritage needs major repairs and the cost of such repairs would be onerous, subject to the Board having considered all possible means of preservation with relevant stakeholders »
Il va sans dire que cette modification est une énorme brèche qui menace d’écrouler définitivement le cadre légal pour la protection des patrimoines classés. Mais le plus étonnant est que cela est en totale contradiction avec les annonces faites par le gouvernement depuis deux ans de vouloir faire passer une nouvelle loi pour renforcer la protection du patrimoine. Il y a quelques mois encore la rédaction de ce projet de loi était quasiment achevée. Pourquoi a-t-il maintenant disparu pour être remplacé par une telle atteinte à la NHF Act ?
L’autre faiblesse de cette modification est qu’elle n’évalue l’opportunité de la restauration que par le biais des coûts, sans évaluer la valeur que le patrimoine apporte à la société et à l’économie. Cette façon qu’a le texte de loi de considérer le patrimoine n’est pas seulement démodée, elle est simplement erronée. Un patrimoine n’est jamais réductible à un coût, il est avant tout une garantie de richesse pour les générations futures et il peut aussi être l’opportunité d’un projet économique associé à un modèle de développement unique et différenciant – pour peu qu’on sache s’y prendre.
Mais la véritable menace qu’apporte ce texte de loi repose sur les compétences techniques qui devront évaluer s’il y a des possibilités de restauration ou pas. Disons-le clairement, l’administration n’a pas les compétences suffisantes pour déterminer ce qui serait « beyond repair ». C’est pourtant cette conclusion qui est le plus souvent choisie sur les vieux édifices, souvent de manière très opportune pour se débarrasser d’un patrimoine « encombrant ». Car « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ».
Si le gouvernement n’a pas les compétences pour assurer la conservation des trésors de la nation, peut-être peut-on au moins lui recommander de les transmettre au secteur privé qui saurait en faire quelque chose, plutôt que de les démolir de façon expéditive.
Et, toujours à propos des compétences, le gouvernement ne devrait pas déconsidérer la valeur et les capacités des artisans mauriciens car, pour conserver ces patrimoines, il faut mobiliser des savoir-faire rares et exceptionnels. Or, les métiers de l’artisanat sont reconnus comme un levier important de l’économie car ils ont un facteur multiplicateur d’emplois très élevés sur une économie locale. De plus, ces savoir-faire font partie du patrimoine immatériel et méritent d’être préservés et transmis. Là encore, rien n’est fait à ce jour par le ministère de l’Éducation pour instituer un statut protégé de « maître-artisan » et leur donner ainsi une vraie place dans l’économie mauricienne.
Des sociétés d’investissement étrangères sont prêtes à investir pour la conservation de ces bâtiments car elles en ont compris la valeur. J’ai d’ailleurs assisté personnellement à une scène où une société étrangère proposait à un ministre de s’installer à Maurice et de restaurer complètement un bâtiment historique classé pour y installer ses bureaux, moyennant des investissements importants de leur part. Mais le ministre n’a pas souhaité les encourager dans cette démarche et n’a pas souhaité non plus envisager de construire autour de cette proposition un win-win pourtant évident pour le pays.  
Je ne mentionne pas ici d’autres décisions déjà prises dans les officines du pouvoir, sans consultation avec qui que ce soit, et à nouveau pour la disparition d’autres patrimoines chers aux Mauriciens.
N’en déplaise à Mme Leela Devi Dookun-Luchoomun, les faits semblent contredire les beaux discours ; et non seulement le patrimoine mauricien est en danger, mais il connaît ses jours les plus sombres.
Au final, peut-on se demander si nous avons vraiment besoin d’un ministère de la Culture ? Il nous coûte cher et il ne sert à rien. Il aurait été préférable de mettre cet argent directement dans la conservation du patrimoine, au moins cela ferait travailler les artisans, augmenterait l’attractivité du territoire et donc la valeur des terrains, et attirerait les touristes.

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