PAUL BÉRENGER :« Je suis convaincu d’un raz-de-marée électoral »

Dans une interview accordée au Mauricien en marge des élections générales, Paul Bérenger se dit convaincu que l’alliance PTr-MMM s’achemine vers « un raz-de-marée électoral ». Il se veut également rassurant concernant la IIe République qui sera, dit-il, « un instrument d’unité pour la population ». Le leader du MMM rappelle également que le système parlementaire actuel, avec un Premier ministre disposant de tous les pouvoirs, n’a pas été exempt d’instabilité. Il évoque en outre la possibilité de participer à ses dernières élections générales. À moins que…
Vous participez à vos 10e élections générales. Quelle est la particularité de la campagne de cette année ?
C’est vrai que j’en suis à ma 10e campagne. La première à laquelle j’ai participé, c’était en 1976. Le MMM participait alors pour la première fois à des élections générales, soit après les élections législatives partielles de 1970, à Pamplemousses-Triolet. Anerood Jugnauth, qui avait participé aux élections générales de 1963, avait une avance sur moi, mais il n’a pas participé à celles de 1967. Ensuite, il n’a pas pris part à celles de 2005 et 2010. Ce qui veut dire que j’ai une élection d’avance sur lui.
Mais la campagne électorale a bien changé. Entre 2010 et cette année, le poids de la MBC a bien diminué avec l’arrivée des télévisions numériques sur l’internet, qui offre régulièrement des résumés de la campagne électorale. Cela me fait bien plaisir. Il y a aussi eu un changement d’habitude au niveau des meetings. Auparavant, les gens étaient debout devant l’estrade. Maintenant, on a de grandes salles couvertes avec beaucoup de femmes assises dans l’assistance. Les caméras ont joué un rôle. Jusqu’à maintenant, tout se déroule très bien. Le commissaire électoral et son personnel sont, comme toujours, superbes et font très bien leur travail.
Votre alliance avait annoncé une campagne moderne. En êtes-vous satisfait ?
Je n’ai jamais annoncé de campagnes modernes. Mais une campagne s’adapte toujours aux changements. Le fait que les deux plus grands partis du pays soient ensemble facilite le travail du point de vue de l’organisation.
Le PTr et le MMM ont conclu une alliance afin notamment de combattre les lobbies de toute sorte. Cela a-t-il été le cas ?
Je suis bien satisfait. En plus du rôle de la MBC, celui des lobbies a bien diminué, mais n’a pas été éliminé pour autant. Je ne suis pas en faveur de l’élimination des organisations socioculturelles. Certaines font du bon travail et d’autres non. C’est aussi le cas dans la politique et dans les médias. On ne peut mettre tout le monde dans le même panier. Pour parler de notre alliance, il faut refaire une chronologie. Le Remake 2000 s’est cassé avant le début des discussions entre le MMM et le PTr. J’avais conseillé au MMM de rompre le Remake sur la base de la constatation d’un certain nombre de choses, dont la perte de confiance en sir Anerood Jugnauth. Au nom de l’unité nationale, on était tombé d’accord sur le fait que Reza Uteem soit No 3 dans un éventuel gouvernement. Mais à un moment donné, SAJ a exigé que se soit Pravind Jugnauth qui occupe cette place. Cela a réveillé de mauvais souvenir de manque de respect vis-à-vis de telle ou telle communauté. De plus, nous avions insisté pour ne pas être sur la même plateforme que Pravind Jugnauth, qui a une affaire en Cour pour corruption dans le cadre de l’affaire Medpoint, à moins qu’il demande un « early trial ». Au lieu de cela, son avocat a sorti tous les artifices pour faire le contraire. De plus, j’étais parvenu à la conclusion qu’ils feraient la même chose qu’en 2000/2005 sur la démocratie et la réforme électorale. Ils auraient dit « oui » et auraient ensuite trouvé toutes sortes de prétextes pour mettre des bâtons dans les roues de la réforme électorale. En tenant compte de tout cela, on a finalement décidé de casser le Remake. Nous avons longuement discuté sur la possibilité de nous rendre seuls ou en alliance avec le PTr. On a finalement décidé de conclure une alliance avec les travaillistes.
Vous dites souvent que vous vouliez que le MMM reprenne le flambeau du travaillisme de 1936. Est-ce pour justifier l’alliance PTr-MMM ou par conviction ?
Il est facile de vérifier ce que j’ai écrit depuis 1969 sur le PTr. Un des premiers éditoriaux que j’ai écrit dans l’hebdomadaire du MMM à l’époque était consacré à ce sujet. Le titre était « Le combat qui recommence », que rappelait la lutte du PTr depuis 1936. On considérait qu’avec la disparition de Rozemont et de Seeneevassen, le PTr avait dévié de sa route. On voulait reprendre la lutte depuis 1969. Ce qui explique que, depuis 1971, il y a eu des contacts entre le PTr, surtout avec SSR, Ringadoo et Walter, et le MMM. En pleine crise de 1971, les contacts se poursuivaient. Nous avons passé une année de détention en 1972 et même pendant cette période, il y a eu des contacts. En 1973, après la cassure du PTr-PMSD, les contacts ont repris et ont duré jusqu’en 1976, soit à la veille des élections générales. À la réflexion, sir Anerood Jugnauth a joué un rôle négatif concernant n’importe quel rapprochement avec le PTr. Il y a eu des contacts jusqu’au raz-de-marée de 1982. J’ai par la suite été en contact avec Navin Ramgoolam longtemps avant qu’il ne s’engage dans la politique active.
Estimez-vous que le PTr a fait le nettoyage que vous souhaitiez ?
Vous devinez que je ne repondrais pas à cette question. Le PTr est notre partenaire et nous irons aux élections dans quelques jours. Il revient au public d’évaluer la situation et de prendre sa décision. Une alliance PTr-MMM fonctionne très bien et nous sommes convaincus que nous allons vers un raz-de-marée électoral.
On a parlé d’hémorragie au sein du MMM après la conclusion de l’alliance. Vos commentaires ?
C’est totalement faux. Il n’est pas difficile de voir les faits. Ivan Collendavelloo fait plus pitié qu’autre chose. Il n’a pas participé aux discussions des instances du parti sur la rupture avec le MSM. Lorsque le Remake s’est cassé, pour de bonnes raisons, et qu’il fallait prendre une décision concernant une éventuelle alliance avec le PTr, il était également absent. Peut-être que s’il avait été présent et qu’il avait sincèrement jeté de son poids, il aurait influencé notre décision. Finalement, on a décidé de se joindre au PTr. Collendavelloo prétend incarner le vrai MMM. Mais où est-il aujourd’hui ? À part Boissezon, aucun militant solide ne l’a suivi. Il n’y a donc aucune hémorragie. Après ce qui s’est passé en 2005 et 2010, il était normal que l’électorat du MMM ait boudé pendant un bon bout de temps. Depuis quelque temps, je constate que la mayonnaise a pris. Je suis tenté de dire merci à Dulthumun, qui a irrité nos militants ces temps-ci. Nos militants n’oublient pas ce qui s’est passé à Maurice depuis 2005, mais maintenant que nous avons fait un choix, nous fonçons.
Vous êtes soutenus par la majorité des militants ?
Pas la majorité, par « tou dimounn ». C’est évident. Toutes les instances du parti ont approuvé notre démarche. De plus, notre alliance est fondée sur un programme tenant compte de la démocratie, du combat contre la corruption, du développement économique dans la justice sociale, et de la récupération des Chagos et de Tromelin. Tout cela fait partie du programme du MMM, et le PTr est en accord avec ce programme. Depuis la conclusion d’une alliance formelle le 20 septembre, je constate qu’il n’y a pas un début de scandale, pas un abus. Maurice a déjà changé, ce qui est de bonne augure pour l’avenir.
L’Alliance Lepep représente-t-elle une forte opposition à l’alliance PTr-MMM ?
Ils ont fédéré tous les mécontentements vis-à-vis de Navin Ramgoolam. Cela ne mène pas loin. Objectivement, les choses ont démarré avec un certain retard au No 7. Nous avons eu deux bons colistiers. Franchement, même au No 7 j’anticipe un 3-0. Ce sera aussi le cas ailleurs. Il y a une ou deux personnalités qui tentent de se faire élire seuls, mais je ne vois pas cela arriver. Ce sera un tsunami électoral. On verra jusqu’à la fin de la campagne. On a eu quelques problèmes dans certaines circonscriptions mais tout problème a une solution.
Vos adversaires ont fait de la IIe République leur cheval de bataille… Qu’en pensez-vous ?
Le vrai changement, c’est nous. Nous sommes une alliance de changement, lequel se fera sur la base de notre programme. Lorsqu’on veut le changement, il est normal que les forces conservatrices se rejoignent et critiquent la réforme électorale ou la IIe république. Tout changement apporte certaines craintes. Les gens sont habitués avec le système électoral actuel et à voir les pouvoirs concentrés entre les mains du Premier ministre. Mais aujourd’hui, la réforme électorale a été acceptée par la population et ne fait plus débat. La IIe République est un grand pas en avant. Il est facile pour les conservateurs, comme sir Anerood Jugnauth et Xavier-Luc Duval d’effrayer les gens.
Dans notre accord électoral, disponible sur internet, les propositions concernant la IIe république sont détaillées. Le partage des pouvoirs entre le Président et le Premier ministre est explicité dans l’article 4 (a) « powers of the president ». Hier encore j’ai lu une absurdité dans un journal à l’effet que c’est le Président qui nommera le commissaire de Police. Il y a eu une certaine crise collective dans certains médias donnant l’impression que tous les pouvoirs seront transférés entre les mains du Président. La liste des pouvoirs additionnels concernant les nominations précise qu’aucun pouvoir n’est retiré de la PSC et de la Police and Judicial Service Commission. La seule différence, c’est qu’alors que le PSC et la PJSC devaient seulement consulter le Premier ministre, ces instances devront désormais aussi consulter le Président de la République. Elles consultent et, ensuite, décident. Le Président obtient des pouvoirs additionnels et le rôle du Premier ministre reste le même, comme précisé dans le paragraphe 4 (b) de l’accord. Tous les détails ont été donnés. Seuls ceux qui ont décidé de ne pas comprendre ne comprennent pas et entretiennent la polémique. Je suis convaincu que le thème de la IIe République évolue comme la réforme électorale. Je me fais un devoir de donner des explications dans chaque réunion publique. Des points de vue les plus contradictoires sont exprimés. Je dois reconnaître qu’au moins la moitié de déclaration de SAJ est vraie quand il affirme qu’il y aura un partage des pouvoirs, mais qu’il y aura une instabilité. Au moins, il a compris la moitié…
Pourquoi ce partage entraînerait-il en effet l’instabilité ? Avec le système actuel, combien de situations d’instabilité n’avons-nous pas connues, surtout sous sir Anerood Jugnauth ? Combien de crises gouvernementales n’avons-nous pas connues alors qu’il détenait tous les pouvoirs ? Aucun système présidentiel ne constitue une garantie. Mais je cite souvent le cas du Cap Vert où le partage des pouvoirs fonctionne à merveille. Et nous ne sommes pas moins évolués que nos frères et soeurs du Cap Vert. Dans le contexte mauricien, ce qui m’enchante, c’est que l’équilibre proposé n’est pas seulement un grand progrès en termes de démocratie : c’est aussi un grand pas en avant dans l’intérêt de Maurice, de son progrès et de sa stabilité. Un système disposant d’un partage de pouvoirs entre deux personnalités à la tête du pays est plus démocratique qu’un système où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une seule et même personne. Ce système représente un progrès pour l’unité nationale. Si à chaque élection générale il y a une tentative de réveiller le démon communal, c’est justement parce que tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du Premier ministre. Le jour où il y aura un Président élu au pouvoir universel par toute la population avec des pouvoirs accrus d’une part et un Premier ministre ayant tous ses pouvoirs dans le respect du Président de la République, la pression communale sera du coup plus diluée. De plus, on peut facilement imaginer qu’une femme devienne Premier ministre et un homme Président, ou vice-versa. Nous sommes satisfaits que le message concernant la IIe République ait bien été compris comme pour le cas de la réforme électorale.
Il était question que le texte de loi circule avant les élections…
Ce que dit l’accord électoral, c’est que nous travaillerons sur un texte de loi qui sera finalisé après les élections et sera présenté devant le Parlement aussitôt que possible après le scrutin. Il s’agit de tout transformer en langage légal. Ce n’est pas compliqué. Un bon travail a été fait par Satish Faugoo et Alan Ganoo ainsi qu’un comité. Il y a ce que la Constitution dit sur les élections générales, sur le Président et le Premier ministre. Il y a également la Representation of People Act, qui stipule comment élire les membres du Parlement. Il va falloir décider s’il faut apporter des amendements à ces deux textes de loi ou venir avec un texte séparé pour préciser comment élire le Président et le vice-Président. Le commissaire électoral a longuement travaillé sur cette question. S’agissant du texte sur l’équilibre des pouvoirs, notre accord est tellement détaillé que cela prendra quelques heures aux experts concernés pour rédiger un texte de loi.
Si vous obtenez une majorité de trois-quarts, on pourrait se retrouver avec une élection présidentielle dès 2015 alors ?
C’est l’idée, dès le début 2015. Nous savons tous qu’après des élections générales, il y a un état de grâce. Évidemment, il serait plus intéressant que les élections soient organisées durant cette période. Naturellement, un texte de loi sera présenté aussitôt que possible au Parlement.
Ce que nous préconisons, c’est que Navin Ramgoolam reste Premier ministre après les élections jusqu’à ce que la loi soit adoptée. C’est à ce moment seulement qu’il démissionnera. Je serai alors Premier ministre adjoint, sans aucune responsabilité. Tous les ministres resteront en poste, sauf un. D’après la Constitution, il y a le Premier ministre et 24 ministres. Je serai un de ces 24. Un ministre MMM sera en « stand by ». Lorsque Navin Ramgoolam démissionnera, tout le monde montera d’un rang. Le 24e prendra alors ses fonctions. Il y aura ensuite une présidentielle à un tour et une élection partielle au No 5. Il est clair qu’il est dans l’intérêt de tout le monde que cette double élection ait lieu le plus tôt possible après les élections générales.
Vous avez dit que les jeunes de 40 ans représentent l’avenir, précisant que c’est l’âge de votre fils. Quand entrera-t-il dans l’arène politique ?
Ce sont deux questions séparées. Lorsque je parle de la génération des 40 ans, je dis quelque chose dans laquelle je crois. La prochaine génération est la génération tournante en termes d’unité nationale. Ils vivent comme de vrais Mauriciens, c’est extraordinaire. Mon fils, lui, n’est pas candidat, mais il est passionné par la politique. Je suis avant tout un pédagogue et j’aime donc partager mes connaissances avec lui. Je ne parle pas de politique, mais de leur façon de vivre, leur vision de la vie et de la société. Quant à mon fils, je le respecte trop et je l’aime trop pour prendre une décision à sa place. Il prendra une décision avec sa famille. S’il entre dans l’arène politique, il aura tout mon encouragement, mais je ne ferai rien pour le forcer à le faire. Je n’ai d’ailleurs pas les moyens de le faire.
On présente les prochaines élections comme un tournant. Êtes-vous d’accord ?
Ce sont des élections importantes puisque nous proposons une IIe République. Les prochaines élections, dans cinq ans, verront l’accomplissement d’un autre grand pas pour les femmes et les jeunes. Ces élections sont importantes car elles préparent les prochaines élections, qui seront également importantes.
Serait-ce les dernières élections auxquelles vous participez ?
J’aurais souhaité que oui. L’année prochaine, j’aurai 70 ans. Je me sens intellectuellement plus jeune que jamais. Je serais Premier ministre pendant cinq ans pour mettre en oeuvre le programme électoral. Aux prochaines élections, j’aurais 75 ans. J’ai dit que ces élections risquent d’être mes dernières mais je n’en sais rien. Si mon parti et la population me réclament, alors je prendrai une décision.
Qu’est-ce que vous voudriez que l’histoire retienne de vous ?
Je ne fais rien pour entrer dans l’histoire. Je fais des choses que je considère être de mon devoir vis-à-vis de mon pays. Si ce faisant, j’entre dans l’histoire, tant mieux, mais ce n’est pas le but. Si demain nous réussissons à récupérer les Chagos et Tromelin, savez-vous ce que cela représentera ? J’ai toujours dit que notre indépendance ne sera pas complète aussi longtemps qu’on ne récupérera pas ces deux entités territoriales.
C’est votre rêve ?
Ce n’est pas mon rêve, c’est mon but !

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