PAUL ET VIRGINIE, un patrimoine trop longtemps négligé

GEORGES-ANDRÉ KOENIG

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Lorsque nous pensons à « Paul et Virginie », roman de Bernardin de Saint Pierre, nous ne pouvons nous empêcher d’établir un parallèle entre cette idylle et celle de « Roméo et Juliette », pièce de William Shakespeare. Ce sont deux histoires amoureuses d’adolescents qui finissent tragiquement, la mort y mettant un point final.
L’autre similitude, contrairement à une idée assez répandue, est qu’elles sont toutes deux fictives. Roméo et Juliette – tout comme Paul et Virginie – n’ont jamais existé.

Les « Amants de Vérone » sont eux aussi le fruit d’un imaginaire étendu.
En revanche, les évolutions de ces romances amoureuses se sont faites de manières tout à fait différentes. À la fin du 13ème siècle, les Véronais, observant le développement fulgurant de leur ville, réalisèrent alors que cette histoire d’amour qui touchait tous les cœurs pouvait être exploitée commercialement, et s’empressèrent de le faire en accordant aux protagonistes une identité et une vie réelles. C’est ainsi que la maison de Juliette et son légendaire balcon, entre bien d’autres choses, sortirent miraculeusement de terre et devinrent le premier patrimoine de Vérone en quelque sorte.

Pour « Paul et Virginie », ce fut tout à fait différent. En 1735, l’Isle de France (aujourd’hui l’Ile Maurice), île vierge isolée du reste du monde, n’avait pour population qu’une poignée de colons (gens d’un rang social élevé venus là pour tenter de faire fortune), d’artisans et d’anciens bagnards. Aussi, personne de l’Administration de l’île en ce temps-là n’aurait imaginé exploiter ce succès littéraire à des fins commerciales.
Cela n’empêcha pas pour autant ce patrimoine de s’enrichir peu à peu au fil du temps (en France et à l’Ile Maurice principalement) dans les différents domaines de l’art, ainsi que dans la vie tout court. Voici quelques exemples des éléments de ce patrimoine existant aujourd’hui, qui suffiront, je pense, à démontrer sa richesse, trop peu connue et exploitée commercialement aujourd’hui.

On les trouve, tout d’abord, dans les sept domaines de l’art existant, nommément : l’Architecture, la Sculpture, l’Art Visuel (Peinture, Dessins, Estampes, Lithographies et Objets divers), la Musique, la Littérature, les Arts de la Scène et le Cinéma.
Ne pouvant les citer tous dans le cadre d’un article de presse, j’en ai choisi huit des plus célèbres, accompagnés de quelques photos.

“Paul et Virginie” – Gouache de Jan Maingard de la Ville-ès-Offrans

Le Château Mon Plaisir : Superbe maison coloniale, elle fut la demeure de Mahé de La Bourdonnais, Gouverneur de l’Isle de France, personnage important du roman.
« Paul et Virginie traversant un ruisseau » : Sculpture de Charles Adrien Prosper d’Epinay, elle est un chef-d’œuvre du classicisme du 19ème siècle que l’on peut contempler au Blue Penny Museum de Port-Louis. Elle fut achetée à Sotheby’s le 16 novembre 1997 pour la somme de 177,500 livres sterling.

« Bernardin de Saint Pierre » : Sculpture de Louis Holweck, on la trouve au Jardin des Plantes de Paris, avec adossée à son socle, une plus petite statue de Paul et Virginie.
« Paul et Virginie, enfants » : Cette sculpture de Guillaume Geefs fut achetée à l’Exposition Universelle de 1851 par le Prince Albert et offerte à la reine Victoria. Elle fait aujourd’hui partie du Royal Collection Trust.

« La mort de Virginie » : Peinture à l’huile, très probablement de Gustave Courbet, artiste prestigieux du 19ème siècle, admirateur de Géricault et Delacroix, qui s’est beaucoup inspiré du mouvement pictural romantique. Il appréciait ce qu’il appelait « L’Art Vivant », le naturel en fait. Ce qui explique ce magnifique tableau de Virginie nue, tenue, pour dire le moins, inhabituelle de l’héroïne de Bernardin de Saint Pierre. Il fut acheté par le Blue Penny Museum dans une salle de ventes à Cologne pour la somme de 2,000,000 de roupies.

« Paul et Virginie »: Une gouache de Jan Maingard de la Ville-ès-Offrans, fils de feu Amédée Maingard, figure éminente locale, visionnaire, sans l’aide de qui je n’aurai jamais pu faire tourner le téléfilm Paul et Virginie à Maurice en 1973, et en faire la nouvelle édition que je suis en train de terminer (nous en reparlerons plus loin).
Pendule en bronze : Ouvrage de Pierre-Philippe Thomire, cette pendule provenant, selon toute probabilité, du Palais des Tuileries, fut vendue chez Sotheby’s pour la somme de 48,000 euros.

Editions rares du roman « Paul et Virginie » : Ce roman, outre l’émouvante histoire d’amour qu’il raconte, est pétri d’humanisme (M. de Saint Pierre ayant combattu sa vie durant pour l’égalité entre les hommes quelles que soient leur race et leur religion), et ne cesse aussi de prôner les avantages de la nature, si chère à son auteur que certains spécialistes n’hésitent pas à le comparer à Jean-Jacques Rousseau. Deux raisons qui portent cet ouvrage encore plus haut dans le firmament de notre patrimoine culturel, d’où les éditions luxueuses qui ont été publiées de sa création à nos jours.

– « Paul et Virginie » : Le téléfilm tourné à l’Ile Maurice en 1973 (auquel j’ai été étroitement mêlé), avec pour actrice principale Véronique Jannot, et Pierre Gaspard Huit en tant que réalisateur, connut un franc succès.

Ouvrons ici une parenthèse pour préciser ce que peu de gens (Mauriciens inclus) savent, à savoir que ce téléfilm fait d’autant plus partie du patrimoine culturel mauricien qu’il a été largement financé par le Gouvernement mauricien (alors que Gaëtan Duval était Vice-Premier Ministre, Ministre des Affaires Étrangères et Ministre du Tourisme) et le Secteur Privé local (Mauritius Hotels en particulier, sous la férule, à cette époque-là, d’Amédée Maingard de la Ville-ès-Offrans), le troisième financier étant le commanditaire du film : l’ORTF, alors seule maison de radio et de télévision française.

Mais le patrimoine « Paul et Virginie » ne se limite pas seulement aux sept domaines de l’art susmentionnés. Il comprend aussi bien d’autres éléments qui n’entrent pas dans le cadre de l’art à proprement parler, de l’épave du Saint Géran aux tombeaux (bien sûr vides) de Paul et Virginie au Jardin des Pamplemousses, en passant par la nature paradisiaque dans lesquels vécurent les personnages de l’histoire.

Malgré toute cette richesse, nous sommes contraints de constater que ce patrimoine est actuellement en somnolence. En effet, il n’est pas connu et reconnu comme il devrait l’être par les Mauriciens eux-mêmes, par ceux qui nous visitent (les touristes en premier lieu) et aussi à l’étranger, ce qui aurait été certainement un atout pour notre industrie touristique en particulier.

Pour remédier à cet état de choses, il faudrait donc que tous ceux qui s’y intéressent (Le Gouvernement et le Secteur Privé en particulier), s’unissent pour voir comment rapatrier et surtout rassembler, autant que faire se peut, le patrimoine existant, le rendre accessible au plus grand nombre, et inciter les jeunes à s’en inspirer pour leurs créations artistiques. Et la commercialisation suivra tout naturellement.
Et c’est afin d’apporter humblement ma petite pierre à cet édifice culturel, que je me suis attelé (avec la collaboration de Véronique Jannot), à produire une nouvelle édition du téléfilm « Paul et Virginie » tourné en 1973 et à la réalisation duquel, comme je le précisais plus haut, j’ai été étroitement mêlé.

Enfin, puisse cet article réveiller les consciences endormies, et contribuer ainsi à donner un nouveau souffle à cette histoire qui ne peut que nous tirer vers le haut et élever nos âmes. L’enthousiasme avec lequel le Ministre des Arts et de la Culture et ses proches collaborateurs ont accueilli mon projet susmentionné est un signal on ne peut plus encourageant.

Août 2019

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