Pays à genoux : comment se relever…

MANAND BULDAWOO
Entrepreneur et citoyen engagé

Dans une récente allocution, le Premier ministre a déclaré que le pays est à genoux. Force est de constater qu’il a malheureusement raison. Si on peut attribuer une partie de cette dégradation à la pandémie, il faut dire que cette situation résulte aussi d’une détérioration continue de notre société depuis des années. Que faire alors pour renverser cette tendance ou à tout le moins l’endiguer. Le Premier ministre n’a pas dit ce qu’il comptait faire pour cela. Nous proposons donc certaines mesures pour sa réflexion alors que le ministre des Finances boucle actuellement le budget pour la prochaine année financière.

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L’année dernière, les ministres et députés, ainsi que le président de la République ont accepté de contribuer volontairement 10% de leurs salaires au Covid-19 Solidarity Fund et de réduire leurs voyages officiels. C’est insuffisant ! Dans le même temps, les hauts cadres de l’hôtellerie, de Beachcomber et Sun Resorts notamment, ont réduit leurs salaires de 50%. Les élus devraient accepter une réduction (pas une contribution) d’au moins 25%. Sommes surpris que l’opposition ne soit pas venue avec une proposition similaire ? Pas du tout ! Les partis de l’opposition ne sont pas meilleurs et ils ont la critique facile. Mais pour passer à l’acte, il n’y a personne.

L’exemple doit venir d’en haut : il faut aussi diminuer le nombre de conseillers, utiliser des voitures moins onéreuses que les Jaguar et autres Mercedes. Il faut donner l’exemple en utilisant des voitures électriques et/ou hybrides. Allons plus loin, pourquoi ceux qui se trouvent sur la ligne du tram ne prendraient pas ce mode de transport tant vanté. Le gouvernement gagnerait aussi à geler l’application du prochain PRB. Non seulement cela va alourdir les dépenses de l’État, mais – et sans doute plus grave –, va accentuer le gouffre entre les employés du public et du privé sans compter les pauvres « self-employed ».

Combat sans relâche

D’autre part, pourquoi les anciens présidents et vice-présidents continuent de bénéficier de gardes de sécurité et de grosses voitures luxueuses sans compter des pensions faramineuses qui sont une insulte à la misère des pauvres ? Dans le même temps, on voit des élus pour un seul mandat, qui ne perçoivent aucune pension et certains, comme un ancien ministre des Sports, qui sont partis dans la misère avec seulement la pension universelle comme revenu. Actuellement, une ancienne ministre de la Femme ne se retrouve-t-elle pas dans cette même situation ?

Peut-on rêver que les élus mauriciens s’inspirent de l’ancien président uruguayen José Mujica qui, dès son accession au sommet de l’État en 2010, commence par se distinguer de ses pairs en refusant tous les privilèges auxquels ses fonctions lui donnent droit. À titre d’exemple, il refuse le véhicule présidentiel et continue de circuler dans sa vieille Coccinelle 87. Durant son mandat, il n’occupera guère le palais présidentiel mais dirigera plutôt son pays depuis sa petite cabane. Autre exemple qui a marqué le monde, il cédera 90% de son salaire aux pauvres de son pays pour ne vivre qu’avec les 10% restants évalués à 900 euros, soit l’équivalent de Rs 40 000.

Si cet exemple peut paraître extrême, tournons-nous vers des pays qui nous sont plus familiers, soit Singapour et la Chine. Si mon entreprise a prospéré aujourd’hui, c’est parce que moi-même je me suis inspiré de la culture de travail acharné dans ces deux pays. Il faut savoir que Singapour, avant l’indépendance en 1965, était aussi pauvre que Maurice ou d’autres anciennes colonies britanniques comme la Jamaïque. Pourtant, son PIB est passé de USD 974 millions en 1965 à plus de USD 372 milliards en 2019. À Maurice, le PIB était de 14.05 milliards en 2019. La Chine était aussi minée par la pauvreté avant « les trente glorieuses » commencées avec Deng Xiaoping. Dans ce pays, malgré le pouvoir répressif, les gens acceptent la politique gouvernementale, car les politiciens ne s’enrichissent pas sur le dos des citoyens et s’ils le font, ils en payent de lourdes conséquences avec de longues années de prison.

Le succès de Singapour s’explique par la main de fer de Lee Kwan Yue et son combat sans relâche contre la corruption. Dès qu’il assume le poste de Premier ministre, il institue une Cour contre la corruption avec les juges les plus intègres. Chaque fonctionnaire, chaque politicien doit déclarer tous leurs avoirs mais également tous leurs proches. Toutes les relations avec des amis, des entrepreneurs doivent être notifiées sous peine d’amendes. L’enrichissement suspect de cet entourage est sujet à des enquêtes.

Ces cas, si avérés, font l’objet de poursuite et de jugement dans des délais extrêmement courts. Cela s’applique aussi à des cas de trafic de drogue. Tout le contraire de Maurice, où certains cas de trafic de drogue traînent pendant près de 10 ans sans jugement. Ce qui, d’une part, laisse la possibilité aux preuves d’être manipulées ou de disparaître. Sans compter certains avocats qui s’enrichissent à mesure que traînent les procès. Et puis il n’y a pas assez de sévérité s’agissant du trafic de drogue à Maurice, ce qui explique qu’en dépit de la multiplication des arrestations, le trafic continue.

D’autre part, on peut se poser des questions légitimes sur la probité de certains policiers. Nous avons actuellement un cas suspect dans la plus grosse saisie de drogue jamais réalisée à Maurice, mais plus grave est le fait qu’un ancien commissaire soit soupçonné de faveur à l’intention d’un trafiquant de drogue. N’oublions pas aussi les soupçons autour de la MCIT sous la direction d’un défunt haut gradé…

Deux cours de justice spéciales

Par ailleurs, la corruption reste le fléau qui gangrène le plus notre société. Pas étonnant alors que nous trustons les podiums en Afrique pour la démocratie, la facilité de faire des affaires et d’autres classements économiques, nous sommes loin derrière le Rwanda, le Botswana, le Cap Vert et les Seychelles en matière de corruption. Certes, Pravind Jugnauth a annoncé, il y a quelques années, la volonté de relever le score du pays de 10 points (nous sommes aujourd’hui à 53 points contre un objectif avoué de 66) sur le classement de Transparency International et nous avons effectivement gagné trois points en trois ans. Trop peu ! À ce rythme, son mandat sera terminé depuis belle lurette et la corruption continuera toujours.

Il faudra, comme au Rwanda, suivre l’application rigoureuse d’un code du leadership par le président Paul Kagame ou de la promotion de la transparence institutionnelle par le président Jorge Fonseca au Cap-Vert, ou de l’initiative innovante « l’intégration interministérielle de lutte contre la corruption » lancée par le président Ian Khama au Botswana. Ces différents pays ont tenu compte des mesures qui y étaient les plus à même de fonctionner et les ont appliquées avec détermination.

Dans son rapport publié en début d’année, Transparency International indique que, pour que Maurice puisse réellement progresser, la recette est simple. « Prendre une série de mesures courageuses dans le sens de la bonne gouvernance et laisser les institutions opérer en toute indépendance avec des personnes compétentes et passer des lois qui s’adressent à la libre circulation de l’information avec le principe du gouvernement ouvert, la protection des lanceurs d’alerte, le financement des partis politiques, la dotation de ressources et d’un pouvoir réel à l’Electoral Supervisory Commission et revoir le principe de nominations au sein des institutions et les corps para-étatiques. »

Nous ajouterons qu’il est temps d’instituer deux cours de justice spéciales, l’une pour la drogue et l’autre pour la corruption avec un statut de Cour suprême, afin qu’elles jouissent du même respect et de la même crainte dans le public. Le pays peut se relever. Il suffit que la volonté politique soit forte et visible. Nous avons tous à y gagner.

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