PENSEURS DU SUD, N0.4 – Bantu Steve Biko (1946-1977), la Puissance de la Conscience 

DR JIMMY HARMON

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L’évocation de Steve Biko, leader du mouvement de la conscience noire (Black Consciousness), mort de « massive brain hemorrhage » alors qu’il était en détention policière sous le régime apartheid au Sud-Afrique, ne peut nous empêcher de penser aux cas de torture commis par certains policiers et qui sont actuellement devant la justice mauricienne. En effet, ce fut le 12 septembre 1977 que le monde apprit le décès de Steve Biko. Il avait 31 ans. Jimmy Kruger, le ministre d’alors responsable de la police, attribua la cause du décès de Biko aux séquelles d’une grève de la faim. Puis, acculé par le soulèvement local et international, le régime sud-africain dit qu’il s’était cogné la tête contre le mur de sa cellule. Dans la foulée, le South African Dental and Medical Council demanda des poursuites contre les médecins qui s’étaient occupés de Biko pour avoir menti. Le régime est pris au dépourvu par cette prise de position car il croyait avoir tout le monde dans sa poche.

« To Die for an Idea »

Plus de vingt ans après, l’affaire retourne sur le tapis. En 1998 lors des audiences de la Commission Justice et Réconciliation (1996-2003), mise sur pied pour enquêter sur les violations de droits de l’homme sous le régime apartheid, cinq policiers, en l’occurrence Harold Snyman, Gideon Nieuwoudt, Ruben Marx, Daantjie Siebert, et Johan Beneke, demandèrent l’amnistie. Ils avouèrent que Biko succomba aux coups qu’ils lui avaient portés, mais sans intention de tuer. Finalement en 2003, le ministère de la Justice déclara qu’aucune poursuite ne pouvait être engagée contre les policiers à cause des « statute of limitations » (nombre d’années limite pour entamer des poursuites). L’échec du judiciaire sud-africain à ne pas avoir pu rendre justice à Steve Biko vient d’une certaine façon confirmer ce que disait un jour Biko dans ses écrits : « It is better to die for an idea that will live than to live for an idea that will die ». Biko a non seulement vécu pour une « idée » mais pour un idéal de vie qu’il a développé pour ceux et celles dont la dignité humaine était bafouée. Le pire : ceux qui en furent victimes avaient été amenés à croire que c’était leur condition normale. Ce fut là que Biko développa la « Black Consciousness », une arme redoutable contre l’arbitraire.

La conscience, plus forte que la pensée

« Conscience » est un de ces mots difficiles à définir car il a été toujours sujet d’étude, de réflexion et de discussion dans plusieurs disciplines. Dans le cas qui nous concerne, il serait plus approprié de prendre le mot au mot. Le philosophe américain Thomas Nagel dans son essai « What is it like to be a bat ? / Quel effet cela fait d’être une chauve-souris ? », 1974) décrit la conscience comme « l’effet que cela fait à un sujet d’être au monde ». C’est son ressenti face à ce réel.  Pour compléter la définition et pour mieux comprendre le sens du mot « conscience » employé par Steve Biko, il faut ajouter le sens latin du mot : con ( =ensemble), scio (=savoir). La « conscience noire » chez Biko est cette dimension subjective dans chaque personne opprimée dans le contexte de l’apartheid mais qui trouve tout son sens dans la collectivité et avec les autres. Lors d’une formation en leadership en décembre 1971 qu’il donna aux membres du SASO (South African Student Organisation) qu’il fonda en 1968, il définit « Black consciousness » en ces termes : « Black consciousness, therefore, takes cognizance of the deliberateness of God’s plan in creating Black people black. It seeks to infuse to the Black community with a new-found pride in themselves, their efforts, their value systems, their culture, their religion and their outlook to life ». Il développa toute sa pensée sur la conscience noire dans le newsletter du SASO dans une rubrique intitulée I write what I like sous le pseudonyme « Frank Talk ». Biko crée une nouvelle conscience. Il décortique, analyse voire psychanalyse. Ces maitres à penser sont tout spécialement Frantz Fanon et Aimé Césaire. Aussi il dit que « being black is not a matter of pigmentation-being black is a reflection of a mental attitude ». C’est cette « mental attitude » qu’il déconstruit et reconstruit. Dans la préface à la publication I write what I like (qui réunit tous les écrits de Biko), le regretté ArchBishop Desmond Tutu dit ceci : « Black consciousness sought to awaken in us the sense of our infinite value and worth in the sight of God because we were all created in God’s image ».  Ce travail d’éveil se faisait à la base. Très vite il gagna plusieurs townships.

Dans les années 70, tournant à son avantage la politique de développement séparé (« apartheid », mot afrikaner signifiant « séparé »), SASO avec Biko comme tête pensante développa tout un programme de « self-reliance » et « Black Consciousness » dans les établissements scolaires qui échappa au contrôle des autorités. Il mit sur pied une Education Commission et élabora un Black Education Manifesto qui rejeta l’éducation racialisée et SASO décida de travailler à la transformation des relations raciales en élaborant un programme politique. Les nouvelles gagnèrent les services de sécurité nationale. Le 26 février 1973, le gouvernement émit des « banning orders » contre huit leaders de SASO y compris Biko, limitant leur mouvement dans leur quartier respectif. Quand les jeunes leaders de la révolte de Soweto (1976) demandèrent au gouvernement que leurs négociateurs soient Mandela, Sobukwe et Biko (une figure localisée jusqu’ici), le régime comprit que Biko est à la base d’un « Black Revolution ». Le plus dangereux pour le régime ce n’était pas qu’il avait affaire à une pensée subversive et qu’elle pourrait facilement réprimer mais là ce fut une conscience à l’œuvre. Ce fut cette conscience qui fit perdre la tête aux policiers qui l’avaient tué.

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