PNQ : Consensus et décorum pour la controverse du judiciaire

La controverse dans le judiciaire avec la récente décision de nommer le juge Paul Lam Shang Leen en tant que chef juge par intérim aux dépens du juge Eddy Balancy a été au centre de la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition, Paul Bérenger, pour son retour au sein de l’hémicycle. Le consensus et le décorum ont prévalu pendant cette demi-heure consacrée à un dossier qui suscite passions et récriminations dans le judiciaire et ailleurs depuis ces derniers jours. À la fin de sa réponse liminaire, le Leader of the House a fait un appel pour demander que les commentaires et observations dans la conjoncture ne minent et ne portent pas atteinte à l’intégrité du judiciaire.
Navin Ramgoolam a confirmé que le chef juge Bernard Sik Yuen prendra sa retraite le 31 décembre prochain et qu’il aura des consultations, prévues dans la Constitution, avec le président de la république, Kailash Purryag, en vue de la nomination du prochain chef juge. Il n’a pas manqué d’égratigner l’ancien Premier ministre et ancien président de la république sir Anerood Jugnauth dans l’affaire de la nomination de Bernard Sik Yuen aux dépens du Juge Arriranga Pillay en 1995. Il a aussi ajouté que la seniority n’a pas été toujours de mise lors des nominations au sein de la Cour suprême en citant les précédents de Henry Garrioch dans les années 70 et l’affaire Sik Yuen/Pillay en 1995.
De son côté, Paul Bérenger a fait un plaidoyer pour que ce critère de séniorité soit de mise lors de la nomination du prochain chef juge en citant le nom de l’actuel Senior Puisne Judge Keshoe Prasad Matadeen.  Il a soutenu que les affaires d’arbitrage privé impliquant des juges de la Cour suprême avec des millions en jeu sont à la base de la « situation pourrie » au sein du judiciaire.
Un consensus se dégage entre le gouvernement et l’opposition au sujet de la nécessité de mettre à exécution les recommandations de Lord Mackay dans le cadre de la réforme du judiciaire. Le Premier ministre a annoncé en au moins deux reprises qu’il compte ouvrir bientôt des consultations avec le leader de l’opposition en vue d’apporter les amendements nécessaires à la Constitution.
Par ailleurs, le come-back de Paul Bérenger en tant que leader de l’opposition a été chaleureusement salué par des applaudissements des deux côtés de la Chambre avec le Leader of the House et le Speaker, Razack Peeroo, lui souhaitant la bienvenue. Pour ne pas abandonner son mood taquin depuis son arrivée au sein de l’hémicycle, Paul Bérenger dit regretter le fait que Kalyanee Juggoo n’ait pas osé porter un sari mauve. La secrétaire du parti travailliste arborait un sari rouge vif comme elle en a l’habitude.
Bérenger : Eu égard à la situation dans le judiciaire, le Premier ministre peut-il confirmer s’il a eu des consultations préalables avec le président de la république au sujet du nouveau chef juge avec le départ à la retraite de Bernard Sik Yuen et à quelle date cette succession devra intervenir, s’il a également abordé la nomination du chef juge suppléant et du Senior Puisne Judge par intérim avec le président de la république ou le chef juge et s’il a abordé avec le président de la république la question des permissions à être accordées aux juges de la Cour suprême pour procéder à l’audition des arbitrages à titre privé ou autres ?
Ramgoolam : Maurice est reconnue et également chanceuse de disposer d’une Constitution garantissant la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l’exécutif et la législature. Aux termes des dispositions de la Constitution, et du Oath of Office, le président de la république exerce ses fonctions au mieux de ses possibilités pour préserver la Constitution. Les juges de la Cour suprême sont appelés à assumer leurs fonctions « without fear or favour » et sans nulle contrainte. Néanmoins, je dois faire état du great concern par rapport à des déclarations publiques susceptibles d’être considérées comme portant atteinte à l’intégrité des institutions. Ces commentaires ont été formulés dans le sillage des High Profile Cases concernant la Cour suprême.
Précédents
La section 77 (1) de la Constitution prévoit que la nomination de tout chef juge se fasse par le président après consultations avec le Premier ministre. La section 64 (5) (a) stipule que ces consultions ne peuvent faire l’objet d’examen par n’importe quelle instance judiciaire. Le présent chef juge, Bernard Sik Yuen, prendra sa retraite le 31 décembre prochain et je m’attends à avoir des consultations selon les dispositions de la Constitution.
À ce stade, le Premier ministre poursuit sa réponse en citant des extraits de la section 77 (5) de la Constitution au sujet des fonctions de chef juge, de même que les procédures pour la nomination du Senior Puisne Judge, dont le choix peut se faire parmi n’importe quel juge de la Cour suprême.
Ramgoolam : Il est pertinent de rappeler que lors des nominations à la Cour suprême dans le passé, seniority is found not to have been adhered to. Ce qui vient de se passer à la Cour suprême n’est nullement une première. Il y a des précédents. Dois-je rappeler que la nomination se fait parmi les juges. Nowhere is it said that the Senior Puisne Judge will act as Chief Justice. Dans les années 70, il y a eu le cas Henry Garrioch, qui avait été nommé chef juge aux dépens de Maurice Latour-Adrien même si celui-ci était son senior. En 1995, il y avait eu le cas Sik Yuen/Pillay avec Bernard Sik Yuen nommé Senior Puisne Judge aux dépens d’Arriranga Pillay. Cette affaire avait été marquée par de longs débats auxquels j’avais été appelé à participer. Mais je ne compte pas entrer dans les détails à ce stade.
Plus près de nous, en février 2012, avec sir Anerood Jugnauth en tant que président de la république, le Senior Puisne Judge Matadeen avait assumé les fonctions de chef juge avec Mme Peeroo en tant que Senior Puisne Judge. Justice Lam Shang Leen is junior to Justice Balancy on the Bench. Il y a eu des précédents.
En ce qui concerne la possibilité pour des juges d’entreprendre du travail hors de leurs fonctions contre paiement, la section 7 (3) de la Courts Act est catégorique à l’effet que cette pratique est interdite sauf avec l’aval du président de la république. Ce dernier ne peut agir que sur les conseils du Cabinet ou du ministre de tutelle ou « in his own deliberate judgment ».
À ce stade, le Premier ministre s’appuie sur des sections de la Constitution avant de conclure avec un appel en vue de restreindre les commentaires susceptibles de porter atteinte à l’intégrité du judiciaire. « We shall not act in any manner as undermining the integrity of our institutions », dit-il en substance.
Bérenger : Le Premier ministre a déclaré que le chef juge partira à la retraite le 31 décembre prochain. Puis-je savoir s’il est en congé préretraite ?
Ramgoolam : Non. Il est parti en mission. Il sera à la retraite à partir du 31 décembre.
Bérenger : Au vu de la situation qui prévaut ces jours-ci au sein du judiciaire, n’est-il pas mieux que le critère de seniority soit pris en ligne de compte lors des prochaines nominations dans le judiciaire et que le Senior Puisne Judge Matadeen soit nommé chef juge ?
Ramgoolam : Je viens de citer des extraits de la Constitution au sujet de ces nominations. Le chef juge partira à la retraite le 31 et je vais suivre ce que prévoit la Constitution.
Consultations
Bérenger : Dans ses recommandations, Lord Mackay soutient que le choix du juge doit être fait par le président de la république « acting in his own deliberate judgment » et après consultations non seulement avec le Premier ministre mais également avec le leader de l’opposition et toute autre personnalité. Le Premier ministre est-il disposé à apporter des amendements à la Constitution en ce sens ?
Ramgoolam : Je suis fier d’avoir pu obtenir les services de Lord Mackay pour cette réforme du judiciaire. Il a fait un travail remarquable que nous ne devrons nullement mettre de côté. Je compte avoir des consultations avec le leader de l’opposition au sujet des éventuels amendements à la Constitution.
Bérenger : Le Premier ministre a fait état de deux précédents. Dans l’affaire Garrioch/Latour-Adrien, il n’y a pas eu de gros macadams car Latour-Adrien, en gentleman, savait qu’il ne restait que quelques mois avant son départ à la retraite. Mais dans le cas Sik Yuen/Pillay, de véritables problèmes avaient surgi ?
Ramgoolam : Je dirai que dans le premier cas il y avait des problèmes au sein du gouvernement. Mais dans le second cas, quand j’avais accédé au poste de Premier ministre en décembre 1995, j’avais eu des consultations avec le président de la république d’alors, Cassam Uteem, quand il avait décidé de nommer Bernard Sik Yuen en tant que chef juge. I thought a wrong had been done. We should try to remedy. Mais on m’a fait comprendre que l’ancien Premier ministre sir Anerood Jugnauth ne voulait nullement entendre parler de la nomination d’Arriranga Pillay en tant que chef juge. J’ai répliqué au président de la république qu’il y avait eu un changement de gouvernement et qu’il fallait modifier cette décision. Le président Uteem n’était pas d’accord et avait déclaré qu’il n’avait nul autre choix que de soumettre sa démission si tel était le cas. Cela avait provoqué un long débat. Sir Anerood Jugnauth avait de manière déterminée et délibérée objecté à la nomination d’Arriranga Pillay en tant que chef juge. Des documents existent à la State House pour attester de ce fait.
Bérenger : Une raison de plus pour le Premier ministre de ne pas reléguer au second plan le critère de seniority pour la nomination du prochain chef juge. Avec la situation découlant des pratiques d’arbitrage privé avec des millions, arbitrage qui est à la base de la situation pourrie en Cour suprême, le fait que le juge Balancy n’ait pas été nommé en tant que Senior Puisne Judge par intérim, le Premier ministre a-t-il eu des consultations avec le chef juge ?
Ramgoolam : Non. Mais il faut tenir compte des observations formulées par des personnalités comme l’ancien chef juge Forget, Mes Désiré Basset et Anil Gayan, qui ont été explicites sur le choix du chef juge, qui est le mieux placé pour faire un choix dans le judiciaire. Ils ajoutent que le chef juge a les raisons de son choix. We have to take all this into consideration. This has happened in the past. Il doit y avoir des raisons. I don’t want to know the reasons.
Bérenger : Peut-il confirmer s’il a eu des discussions avec le président de la république au sujet des juges engagés dans des arbitrages privés contre paiement ?
Ramgoolam : C’est un sujet qui a fait l’objet de commentaires dans un passé pas trop lointain. La presse a assuré une couverture en long et en large de cette affaire. Ce que je comprends c’est que le président de la république s’est vu dire par des juges que ce sont à ces derniers de décider ce qu’il faut faire et à personne d’autre…
Prérogatives
Bérenger : Peut-il révéler les noms des juges qui ont adopté cette position ? La loi est claire à ce sujet avec les prérogatives du président de la république définies. Personne n’est au dessus de la loi, même des juges de la Cour suprême…
Ramgoolam : J’en ai discuté. J’ai repris la question avec un juge de l’Afrique du Sud, dont l’entretien a été publié dans les colonnes du Mauricien… But the judges say that it is not for us to tell them what to do.
Bérenger : Le Premier ministre a parlé des juges au pluriel. L’arbitrage privé avec ses millions a pourri le judiciaire. Nous connaissons l’affaire des secrétaires de juge. Le moment n’est-il pas venu pour apporter des amendements à la loi comme cela a été le cas en Grande-Bretagne avec toute une gamme de garde-fous dans cette affaire d’arbitrage ?
Ramgoolam : J’ai bien dit des juges de la Cour suprême. Nous devrons procéder avec prudence pour ne pas donner un air de vindicte contre untel ou untel. Nous allons en discuter.
Ganoo : Pour le choix du chef juge, le Premier ministre avait parlé de la nécessité de redresser un tort commis au préjudice d’Arriranga Pillay en 1995. Peut-on savoir si lors de la nomination du prochain juge, tel sera encore le cas ?
Ramgoolam : I cannot say … Il doit y avoir des raisons derrière ces décisions. J’ai cité les points de vue de l’ancien chef juge Forget et des personnalités du barreau comme Mes Basset et Gayan. Mais ce que je peux assurer à la Chambre c’est que I will act in the fairest possible manner…
Uteem : L’une des recommandations de Lord Mackay est de revoir l’influence du chef juge au sein de la Legal and Judicial Service Commission. Peut-on s’attendre à des changements à ce niveau.
Ramgoolam : Nous étudions les recommandations en vue de les mettre à exécution.
Jugnauth : Le Premier ministre affirme qu’en 1995, il avait corrigé un tort immense avec la nomination d’Arriranga Pillay mais en même temps il cite des hommes de loi justifiant la décision du chef juge par rapport aux récentes nominations. Puis-je obtenir confirmation de sa position ? Quel principe soutient-il, la hiérarchie ou la position du chef juge ?
Ramgoolam : Peut-être devrai-je apporter une clarification. Dans le cas d’Arriranga Pillay, la décision du Premier ministre d’alors était qu’Arriranga Pillay a été sanctionné parce qu’il avait réintégré 14 officiers de police qui avaient été interdits de fonction suite à une commission d’enquête sur la drogue. It was a policy decision. Mais ce n’est pas la première fois que la hiérarchie n’est pas prise en ligne de compte. Il y a eu un autre cas où un juge de la cour suprême avait été malmené dans cette Chambre et qui par dignité personnelle n’a fait que soumettre sa démission. (Il cite de larges extraits de cette affaire publiée dans une des éditions de l’époque de Week-End.)
Bundhoo : Pravind to fer Paul perdi points…
Bérenger : Je suis surpris. Le Premier ministre cite des affaires qui remontent à des années alors que tout récemment, il a pris à partie le juge Balancy dans cette même Chambre. Lord Mackay a proposé des changements fondamentaux dans le judiciaire, dont l’influence du chef juge avec une révision de la composition de la LJSC. Des changements sont-ils à l’ordre du jour ?
Ramgoolam : Première chose, je maintiens que mes commentaires à l’encontre du juge Balancy ne concernent nullement une décision, un jugement du judiciaire. It was not a judgment. He has no business à faire des commentaires sur des projets de loi débattus à l’Assemblée. Il n’a pas de commentaires à faire. (Un brouhaha se fait entendre au sein de l’hémicycle pour l’une des rares fois, avec le Premier ministre évoquant le jugement dans l’affaire Jugnauth/Ahnee.) Nous devrons étudier tous les aspects lors des prochaines consultations.

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