POÉSIE : L’incandescence née du silence des laves

Avec Les laves bleues (Calligraphies du silence), Catherine Boudet nous livre un recueil plus intimiste et intérieur que n’ont pu l’être Nos éparses nos sulfureuses ou Barattage de la mer de lait, dans lequel elle développe une poésie de la dénonciation, évoquant les « écriveurs d’origines/Ceux qui barattent la différence et nous font boire le petit lait de la haine », avec moult références à l’histoire de La Réunion et de Maurice, à l’esclavage et aux cultures bâillonnées. Aussi ce recueil couronné par le Grand prix de poésie Joseph Delteil, semble-t-il plus calme et apaisé, la beauté venant inhiber l’horreur par la magie du vers…
Le tremblement de terre d’Haïti en 2010 a replongé l’auteur dans le souvenir lointain d’un séisme qu’elle a vécu alors qu’elle était adolescente à Mexico où sa famille était installée. 1985, plusieurs dizaines de milliers de morts dans cette ville construite sur la tourbe instable d’un lac asséché. Cette fille est née sur l’île à la Souffrière, où grand-mère Khal dévore les enfants tandis que les hommes réinventent en musique et avec chaleur l’élégante tradition du kabary de la grande île rouge. Fille d’un volcan actif, Catherine Boudet sait l’âcreté du soufre et l’âpreté de la cendre.
Si la mort est présente dans ce recueil, tout comme l’instinct de destruction et l’infinie solitude, l’être semble se consoler au calice de la vie, à la source des mots, des nostalgies heureuses et des êtres bénéfiques. Même si rodent toujours au détour d’une image un sortilège ou une dahine, qui « du lourd parfum de ses cheveux empoisonne la chair hurlante de mes rêves ».
Ses textes sont certes imprégnés par son île Maurice mais aussi par des terres imaginaires, celles de l’enfance, de l’amour, de ces êtres inaccessibles comme des espaces lointains. Et puis la référence aux terres dévastées par le séisme, aux corps éparpillés et aux lambeaux de chair nous renvoie à cette autre île que le destin a plongée en enfer.
Les cendres, et les laves bleues pétrifiées par le temps qui passe inexorablement, semblent finalement apaiser la douleur du désamour évoqué dans de nombreux textes, de la mort brutale et du désir inassouvi. « Tes doigts font le tour de mes sens / Et moi je dérive dans le souvenir du goût de tes lèvres », écrit-elle dans Difacane, ce mot hérité de la langue sesotho qui induit l’idée d’une guerre africaine impitoyable, la terre brûlée laissée après le passage d’un guerrier sans pitié.
Mystique et classique hispanique
Des êtres mythiques et des situations symboliques surgissent régulièrement comme les fulgurances de l’imaginaire. Maurice, La Réunion, Haïti et peut-être Mexico se mêlent à la faveur d’un drame pour recréer cet autre monde d’où la poétesse et les mots renaissent inlassablement. Si « le reste de ses écrits s’en va dans la vague » à l’instar des textes qu’elle a détruits parce qu’elle ne se souhaitait pas les assumer, ceux qu’elle nous restitue ici révèlent une part mystique que le préfacier, Christophe Corp n’a pas manqué de relever.
Ainsi les rapproche-t-il de ceux d’un célèbre mystique espagnol : « La poésie de Catherine Boudet est conscience jaillie au creux de la nuit, telle l’âme jaillie de la Noche obscura del alma de Jean de la Croix. » Ce professeur d’université, président du jury du Grand prix de poésie Joseph Delteil et de l’association des écrivains méditerranéens, a souligné les qualités de rebelle et d’insoumise de Catherine Boudet, ce qui la relie au poète et romancier anticonformiste et résistant qu’était Joseph Delteil. Elle a reçu ce prix de qualité à l’occasion de la remise du prix qu’elle a reçu in abstentia début décembre, à travers son père qui vit en France.
La poétesse nous confie d’ailleurs que cette appréciation a fait resurgir les dieux aztèques qui ont habité son enfance et la poésie classique espagnole qui a nourri son adolescence comme d’évidentes influences souterraines. Voilà qui permet de comprendre le mot comme « seul sanctuaire dans le culte du vide ».

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