DR DIPLAL MAROAM
Tout système de pouvoir faisant fi de la voix du peuple, qui tourne le dos de manière répétitive aux revendications de la rue, s’exposerait, tôt ou tard, aux conséquences les plus désastreuses, pouvant même aboutir à une déchéance politique prématurée de celui qui le perpétue. Tel est l’enseignement fondamental qu’ont fait remonter à la surface les 10 années du printemps arabe célébrées ce mois-ci. S’il est vrai que la rue n’est pas le centre névralgique de gouvernance, elle constitue néanmoins l’élément incontournable dans la transmission du pouvoir.
En effet, le geste désespéré d’un vendeur à la sauvette, Mohamed Bouazizi, excédé par les harcèlements policiers, s’immolant par le feu le 17 décembre 2010 dans la petite ville défavorisée de Sidi Bouzid en Tunisie, avait déclenché une vague de manifestations à travers le pays. S’il est vrai que de telles manifestations avaient eu lieu auparavant de manière sporadique, c’est toujours aux méthodes de la force que le pouvoir avait eu recours pour les étouffer. Or, la répression violente n’avait fait qu’attiser le feu qui couvait déjà sous les cendres et ce qui devait arriver arriva dix jours après la mort de ses blessures du marchand ambulant, soit le 14 janvier 2011.
Ce jour-là, la fuite du président tunisien, Ibidine Ben Ali, au pouvoir alors depuis 23 ans, pour l’Arabie Saoudite, avait produit un effet boule de neige puisque pendant toute l’année 2011, la quasi-totalité des États arabes, de la Tunisie au Yémen en passant par l’Égypte, la Libye ou la Syrie, était la proie des soulèvements populaires plus ou moins importants. Même si ces mouvements de contestation possèdent des spécificités inhérentes aux pays où – et conditions dans lesquelles – ils surgissent, leur dénominateur commun constitue toujours un message de détresse à forte dimension sociale qui doit être entendu. Mais au-delà des promesses, y a-t-il réellement une volonté politique de rectifier le tir ?
Chez nous, le Premier ministre avait tenu à faire une déclaration à la nation par rapport à ses projets à venir dans le sillage de la manifestation monstre organisée dans la capitale le 29 août dernier. Mais qu’est-ce qui en a découlé réellement ? Aujourd’hui, les problèmes de fond qui avaient motivé ce mouvement, notamment le pouvoir d’achat, la défaillance des institutions, la corruption, entre autres, demeurent entiers. Certes, entre-temps, la COVID-19 est passée par là et est venue corser une addition déjà salée mais doit-on pour autant tout mettre sur le dos de cette pandémie ?
En effet, si le pouvoir d’achat des Mauriciens a fait un plongeon spectaculaire ces derniers temps, ce malgré les efforts certes louables du gouvernement d’offrir une assistance financière en guise de dépannage aux travailleurs les plus durement touchés, par le truchement du Wage Assistance Scheme (WAS) et du Self-Employed Assistance Scheme (SEAS) – après avoir accordé une augmentation non négligeable de la pension universelle en décembre 2019 – et prenant en compte l’effet contraire du taux de change roupie/dollar, qu’en est-il des abus et autres pratiques malveillantes de la part des commerçants comme l’imposition des marges de profits exorbitantes, dépassant largement ce qu’autorise la loi; de la hausse des prix sur les anciens stocks, etc ? Où sont passés les inspecteurs censés rectifier cette pagaille indescriptible dans le commerce pour mieux tondre les consommateurs ?
D’autre part, dans les secteurs où doit primer le mérite, à l’instar de ceux de l’embauche, d’allocation de contrats, permis…, depuis l’accession au pouvoir de ce régime en décembre 2014, la perception du public n’a pas cessé de se dégrader. De sorte qu’aujourd’hui, sans le piston ou une connexion appropriée, aucun avancement personnel ne serait possible. Et les Kistnen Papers n’ont fait qu’amplifier cette perception même s’il appartient finalement aux autorités compétentes de se prononcer sur cette affaire. Mais toujours est-il que le silence des protagonistes de cette saga ne fait qu’ajouter l’insulte à l’injure. L’on ne déclare pas, par exemple, avoir effectué « une petite enquête » pour tenter de dédouaner un collègue alors que les éléments de cette enquête ne sont pas dévoilés. L’opacité constitue toujours un facteur clé dans la chute d’un régime politique et ce ne sont certainement pas les déchus du printemps arabe qui diront le contraire.