POST-WAKASHIO | Surveillance en mer : Le blues des gardes-pêche avec des abus et ingérences politiques

  • Opération de dénonciations –  «Voilà, nous sommes en train de montrer justement où l’on a fauté »

L’épsiode du naufrage du Wakashio il y a trois mois au large de Pointe-d’Esny, est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les Fisheries Protection Officers (FPO) sortent de leur mutisme imposé et parlent des conditions dans lesquelles ils sont appelés à opérer. Pénurie d’équipements et manque de personnel, alors qu’ils sont supposés traquer les fraudeurs en mer, sont notamment décriés. Ils disent être la risée des contrevenants devant leur incapacité à faire respecter la loi, faute de moyens. Ils dénoncent également « les abus et les ingérences politiques » qui empêchent le secteur de la pêche de fonctionner correctement.

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On les confond souvent avec des gardes-côtes. Mais ils ne sont pas policiers. Pourtant, leur travail est similaire à celui du policier, qui est de faire respecter la loi. Les gardes-pêche sont officiellement des Fisheries Protection Officers. Leur rôle est de veiller à ce que la loi soit respectée dans toutes les activités de pêche. En d’autres mots, ils combattent la pêche illégale. Que ce soit au niveau de l’absence de permis ou d’outils appropriés. Ou encore le non-respect du type et de la longueur des sennes autorisées. Or, cette tâche s’avère difficile, car il y aurait de nombreuses lacunes dans la Fisheries and Marine Resources Act, qui date de 1998.

Ce qui fait qu’ils n’arrivent pas à faire appliquer la loi comme il faut. Sans compter les manques de moyens mis à leur disposition. « Si on nous avait donné les moyens nécessaires, peut-être que nous aurions vu ce que les gardes-côtes n’ont pas vu lors de l’échouement du Wakashio », disent des FPO, découragés par la situation. L’ironie, c’est que le Fisheries Protection Service dispose bien d’un radar, mais celui-ci se trouve au centre de recherche d’Albion. « Pourquoi les gens qui sont impliqués dans la recherche ont-ils besoin d’un Vessel Monitoring System? N’était-il pas plus approprié d’avoir cet équipement dans un poste qui assure la surveillance ? » se demandent-ils. De plus, les FPO n’ont même pas un système de communication entre eux, comme c’est le cas dans la police.

Dans le concret, cette police de la pêche opère avec deux à trois officiers par Shift dans un poste. Si l’on prend en considération que l’un d’eux doit rester au poste pour assurer la permanence, il n’en reste que deux pour intervenir sur le terrain. Et puisque l’un des deux doit conduire, que ce soit en mer ou sur terre… il n’en reste donc plus qu’un pour arrêter les fraudeurs ! « Pour cette raison, on se sent souvent impuissants. Parfois, les pêcheurs se moquent de nous. Sans compter que nous ne sommes pas armés, contrairement aux gardes-pêche aux Seychelles. Alors que les fraudeurs utilisent parfois des harpons et autres outils. Que pouvons-nous faire face à eux ? »

Cinq bateaux pour 16 stations

En plus du manque d’effectif, souvent, les postes opèrent sans superviseur. Ce qui donne lieu parfois à la cacophonie, où chacun fait ce qu’il veut. Ceux qui attendent d’être promus ne cachent pas leurs frustrations, tandis que d’autres partent à la retraite sous leurs anciens grades, après avoir assuré l’intérim à des postes supérieurs. Pire, pour entrer dans la profession, il faut détenir cinq crédits et le salaire de base est de Rs 14 050. Alors que pour entrer dans la force policière, il faut un minimum de cinq “pass” pour un salaire de base de Rs 16 075.

L’aspirant FPO devra aussi produire le certificat d’un “swimming test”, alors que tel n’est pas le cas pour le policier qui sera appelé à opérer à la NCG… Pire : ceux qui ont été recrutés il y a un mois et demi sont toujours… sans uniforme ! Ils n’ont pas non plus de “warrant card” pour pouvoir interpeller les contrevenants.

Que dire des équipements mis à leur disposition ? Pour les 16 Fisheries Posts, il n’y a que cinq petits bateaux en fibre de verre. Récemment, pour que les officiers du centre de recherche d’Albion et les experts japonais puissent faire leurs analyses de la qualité de l’eau dans le Sud-Est, il a fallu en chercher un à… Trou-d’Eau-Douce. Les postes les plus proches, soit Mahébourg, Bambous-Virieux et Deux-Frères, n’en possédaient pas. « Cela démontre qu’il n’y a aucune volonté à surveiller le lagon. C’est pour cela qu’un bateau comme le Wakashio a pu venir s’échouer sur nos récifs. Aujourd’hui, il y a des gens qui vous disent : kot monn fote ? Voilà, nous sommes en train de montrer justement où l’on a fauté. »

Cette méconnaissance de la réalité du terrain découlerait du fait que, d’après l’organigramme du ministère, le directeur des Fisheries vient du centre de recherche d’Albion. Donc, ils n’ont jamais travaillé sur le terrain. Les “enforcement officers”, eux, ne pourront qu’aspirer à un poste de Controller, le plus haut dans la hiérarchie.

Par ailleurs, en sus du manque de moyens, les gardes-pêche doivent faire face aux protégés politiques sur le terrain. « Il n’est pas rare qu’un pêcheur vous menace de vous faire transférer car il connaît le ministre. » Les FPO en profitent pour dénoncer les abus qui existent dans ce secteur. « Il faut savoir qu’avec une carte de pêcheur, on a de nombreux avantages. On peut avoir des emprunts à des taux préférentiels auprès de la DBM, sans compter la “bad weather allowance”. Le plus grave, c’est que la moitié des gens qui détiennent une carte de pêcheurs ne sortent même pas en mer. Il y en a qui travaillent dans des départements du gouvernement, comme l’aéroport ou la santé, mais qui conservent leurs cartes de pêcheurs. »

Les gardes-pêche citent l’exemple de quelqu’un, dans le sud-est, qui est propriétaire d’un bateau d’une valeur de Rs 2 M et opérant avec deux moteurs de 80 chevaux. « Pensez-vous que quelqu’un comme lui vive de la pêche ? Rien qu’un de ses moteurs coûte entre Rs 250 000 et Rs 300 000. » L’ironie, c’est que le permis pour un tel bateau coûte… Rs 25 ! Ce tarif est appliqué aux pêcheurs depuis de nombreuses années et n’a pas été revu. Idem pour les banians, qui ne voient aucune condition attachée à leur permis. « Il y a des gens qui peuvent bien faire d’autres métiers, mais qui se réclament aujourd’hui banian pour toucher l’allocation du Wakashio. »

Depuis la marée noire, c’est le défilé d’agents politiques qui viennent s’enregistrer pour la carte de pêcheur. « Certains ne prennent même pas la peine de remplir les fiches et vous demandent de le faire pour eux, car l’ordre vient d’en haut…»

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