Prisheela Mottee : « L’éducation est le principal moyen de lutte contre le féminicide »

L’association Raise Brave Girls, à travers sa présidente, Prisheela Mottee, a adressé une lettre au Premier ministre pour évoquer l’augmentation des cas de violences domestiques et de féminicides à Maurice. Elle trouve « indispensable » que toutes les parties s’unissent pour lutter contre cette forme de « pandémie silencieuse », qui devient un fléau pour notre société. Parmi ses propositions figurent une SMS Police Alert RGB et la mise en place de boîtes d’urgence dans des endroits stratégiques de l’île. « La société n’a pas beaucoup avancé dans la régulation de la violence masculine », dit Prisheela Mottee. Aussi, pour elle, « le principal moyen de lutte contre le féminicide est l’éducation, et pas uniquement au sein de la famille, mais partout, pour que la société puisse retrouver sa transmission des valeurs ».

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Il y a une sorte de pandémie silencieuse qui s’installe sous la forme du féminicide. Comment venir à bout de ce fléau qui nuit à notre société ?
Le pays est confronté à des cas de féminicides sans précédent pour diverses raisons : difficultés à gérer ses émotions, manque de compétences en communication, détérioration de l’ordre public, absence d’ordonnances de conseil obligatoires en cas de violence domestique et laxisme du système judiciaire. Dans tous les cas de féminicides rapportés, nous pouvons sentir que les hommes avaient des positions machistes autoritaires et avaient un contrôle du pouvoir.
Il y a aussi le manque de communication et la difficulté à gérer ses émotions. La plupart du temps, la colère a conduit à l’inévitable : le meurtre de femmes dans différentes circonstances. Au fil des jours, nous pouvons analyser que les cas de féminicides se font de manière plus atroce. Pour lutter contre cette pandémie silencieuse, nous devons nous attaquer à ce fléau de société par les racines. Nous devons commencer par le début, en soi, de notre système d’éducation. Nous croyons fermement qu’il est grand temps d’introduire des cours, comme les compétences en communication, la gestion émotionnelle et le yoga dans notre système éducatif, et ce, à tous les niveaux. De plus, il est nécessaire que toutes les écoles, collèges et universités aient au moins un psychologue et un conseiller.

N’est-il pas temps de mettre en place une forme de thérapie du couple pour mieux comprendre la violence d’un homme sur une femme ?
Il est temps de commencer par normaliser la thérapie de couple qui, malheureusement, ne fait pas partie de la culture mauricienne. La plupart des familles sont encore très ancrées dans la culture de la famille élargie, et lorsqu’il y a un problème de couple, ce sera une « réunion de famille », avec les beaux-parents des deux côtés, plutôt que de chercher un soutien auprès de professionnels. Nous devons convenir qu’il faudra le temps nécessaire pour normaliser la thérapie par la culture dans notre pays. Dans le précédent budget national, RBG a plaidé en faveur d’un conseil obligatoire avant le mariage entre la publication du mariage et la célébration du mariage en République de Maurice.
Afin de normaliser la thérapie/le conseil de couple, nous devons le mettre en œuvre dans un cadre juridique. Il peut s’agir de modules courts, comme la gestion des émotions, les lois sur la violence domestique, la notion d’engagement du couple et les compétences en communication. Du côté judiciaire, nous encouragerions une décision d’imposer une séance de conseil aux couples qui envisagent de divorcer.

Raise Brave Girls s’est adressée au PM et, dans votre lettre, deux politiques policières majeures pour protéger les femmes ont été mises en place par votre association. Pouvez-vous nous en dire plus ?
À la lumière de l’augmentation des cas de violence domestique, de violences basée sur le genre, de harcèlement dans les lieux publics et de féminicides en République de Maurice, il est impératif que toutes les parties prenantes unissent leurs forces pour lutter contre cette pandémie silencieuse, qui devient un fléau pour notre société. Nous avons élaboré deux grandes politiques policières pour protéger les femmes et les jeunes filles à Maurice.
SMS Police Alert RBG propose à la Mauritius Police Force de mettre en place en urgence une alerte SMS policière, dont l’objectif principal sera d’envoyer à la police un texto avec un maximum de détails (dans la mesure du possible) dans une situation de danger, par exemple (violence conjugale, harcèlement dans les lieux publics ou les transports…). Le SMS doit être envoyé au centre de commandement de la police. Après quoi, ce centre de commandement enverra une demande d’assistance à l’équipe d’intervention d’urgence la plus proche. Il a été prouvé que l’envoi de SMS aux services d’urgence est de la plus haute importance lorsque les appels peuvent s’avérer dangereux dans des situations telles que la violence domestique, le cambriolage actif ou le harcèlement dans les espaces publics ou privés. Les services de SMS peuvent également afficher des données GPS précises.

Votre deuxième proposition consiste à mettre en place des boîtes d’urgence dans des endroits stratégiques de l’île… En quoi cette initiative pourrait-elle être salvatrice ?
Les boîtes d’urgence sont de hauts poteaux bleus qui permettent aux membres du public d’alerter rapidement les autorités en cas de situation de danger. Le système d’alerte sur le poteau devrait obligatoirement disposer d’une caméra et d’un interphone reliés à la police. Il nécessitera également un bouton d’alerte. Lorsqu’il sera enfoncé, une alerte devra être envoyée à l’équipe d’intervention d’urgence la plus proche. Compte tenu du fait que la République de Maurice a une population vieillissante, il est de notre devoir de protéger ces personnes, et les boîtes d’urgence seront conviviales. Ces boîtes d’urgence devraient être placées dans des endroits stratégiques, comme les plages, les campus universitaires et les gares routières.

Raise Brave Girls a proposé un « raise flag system » dans le budget national 2018/2019, pour que chaque enfant ait un dossier scolaire et un dossier médical. Où en êtes-vous avec cette requête ?
Nos enfants ont besoin d’un dossier médical, où un rapport doit être fait sur les progrès de l’enfant, et en même temps détecter les “flag system”. Plus tôt nous les détecterons, plus tôt nous pourrons apporter notre soutien à l’enfant, qui deviendra l’adulte de demain. Nous continuerons à le défendre dans nos propositions politiques. En ce qui concerne les adultes, nous croyons fermement que les lieux de travail devraient avoir des psychologues et des conseillers internes, où une aide serait donnée, et nous devrions normaliser l’expression de notre émotion et la canaliser de manière positive. Il est vrai qu’au cours des dernières années, nous avons mis en avant des cadres juridiques de la santé et de la sécurité. Il est grand temps d’y mettre aussi la santé mentale.

Et qu’en est-il des congés parentaux ?
À l’ère de l’égalité des sexes, il est grand temps de mettre en place des congés parentaux, au lieu de séparer les congés de maternité et de paternité. Nous devrions donner aux parents la possibilité de choisir comment gérer leurs congés parentaux au regard de leurs responsabilités professionnelles. Nous pouvons trouver un scénario où une mère devra retourner au travail et le père serait prêt à s’occuper du nouveau-né. Par conséquent, nous préconisons un congé parental de 16 semaines à prendre à tour de rôle, selon le choix des parents.

Dans un tout autre volet, vous êtes aussi pour les congés menstruels, pour lesquels votre association a plaidé lors du budget 2021/2022, afin qu’ils soient introduits dans la loi. Cette initiative a-t-elle été saluée ?
Depuis quelques années, nous prônons les congés menstruels. Au début, nous avons rencontré la dureté des internautes sur les réseaux sociaux. Cependant, sur un point encourageant, nous avons analysé que depuis la dernière fois, les réponses sont favorables sur les réseaux sociaux, et il y a une vague de discussions positives. Nous poursuivrons notre plaidoyer pour un à deux jours de congé menstruels payés sur présentation d’un certificat médical pour les femmes et les jeunes filles souffrant de crampes sévères, d’endométriose et d’autres problèmes menstruels.
Selon les études de l’American Academy of Family Physicians, la dysménorrhée (douleurs menstruelles extrêmes) est une expérience courante. Si le congé de maternité peut être accordé, tout comme le temps libre pour l’allaitement, alors nous pourrions aussi prendre en compte les problèmes de santé liés aux menstruations.

Un autre sujet qui vous tient à cœur, c’est le sort des enfants qui doivent se faire opérer à l’étranger. Quel est votre constat de la situation ?
Il est navrant de voir des parents demander de l’argent pour des enfants (moins de 18 ans) devant se faire opérer à l’étranger, car la somme allouée par le gouvernement ne suffit pas à couvrir l’intégralité des dépenses. Étant dans un État providence, nous pensons que les enfants qui doivent se rendre à l’étranger pour une opération doivent être entièrement financés par le gouvernement, et que les fonds peuvent facilement être récupérés à partir du fonds national consolidé.

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