Ram Nookadee (président DPiN) : « Il y a un capital social énorme à Maurice »

Ancien secrétaire du Mauritius Council of Social Services (MACOSS), Ram Nookadee, a également été actif au sein des fédérations de jeunesse et du mouvement des gradués chômeurs dans les années 80. Actuellement président du Development Practitioners in Network (DPiN), il plaide pour un modèle de développement participatif. Selon lui, il faut donner l’opportunité aux citoyens de contribuer au développement du pays en prenant en considération leurs idées, leurs expériences. Il regrette également que le gouvernement ait pris le contrôle sur l’argent de la Corporate Social Responsibility, limitant ainsi l’aide du secteur privé aux Ong.

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Vous êtes à la tête du Development Practitioners in Network. Que faites-vous exactement ?

Le Development Practitioners in Network (DPiN) regroupe des personnes ayant pris des initiatives pour le progrès du pays, des individus et communautaire. Ils peuvent être actifs sur différents plans et dans différentes organisations. Le but est de leur donner une plateforme pour conjuguer nos efforts. Nous échangeons les points de vue et prévoyons de faire des “opinion papers”, des recherches, bref aider la population à comprendre les enjeux du développement. Nous voulons influencer la politique du gouvernement sur plusieurs dossiers, par exemple l’environnement, sans avoir à manifester dans la rue.

Nous avons mis en place un centre de formation, nous aidons également à mettre les projets en place. Nous comptons nous engager également dans la recherche. Il y a un manque “d’evidence” sérieux sur certains sujets de société. Il est aussi important de faire des campagnes de sensibilisation et de s’assurer que les informations atteignent le public.

En gros, nous voulons qu’il y ait une participation populaire au développement du pays. Les consultations qui se font actuellement ne sont pas efficaces. Il faut impliquer la population dans le développement afin qu’elle soit plus responsable. Avec les slogans vides, les gens restent indifférents. Les Mauriciens sont généreux, mais il faut savoir les organiser. D’où la raison de notre centre. Les jeunes ayant des idées peuvent venir vers nous et nous les aiderons à les concrétiser. Il y a beaucoup de personnes qui veulent agir, mais il n’y a pas de bonnes structures pour les organiser.

Combien de mouvements regroupez-vous ?

Nous avons commencé avec des individus car il n’est pas facile d’agir au nom d’une organisation. Il y a des procédures. Parfois, certaines préfèrent garder leur individualité. C’est pour cela qu’il y a des réseaux qui ne fonctionnent pas. Pour l’heure, nous avons trois organisations, dont l’Association pour le développement durable, qui œuvre beaucoup sur la question environnementale, notamment sur la plantation de mangroves. Il y a aussi la Be Ever Fit Senior Citizen Association, qui regroupe des professionnels retraités souhaitant mettre leur expérience au service du pays. Finalement, il y a la Mauritius Graduate Union, qui a vu le jour dans les années 80’ pour militer en faveur de la création d’emploi. Là également, il y a des professionnels dans différents secteurs qui veulent aider. Chacun apporte sa contribution à sa façon, comme notre camarade Ahmad, qui met son bâtiment à notre disposition. Bien sûr, nous sommes ouverts à tous.

Pourquoi une plateforme pour regrouper ces associations alors que nous avons déjà le MACOSS ?

Nous ne faisons rien en parallèle avec le MACOSS. Eux, ils regroupent les organisations et nous, nous travaillons aussi avec des individus. Nous opérons comme un “Think Tank” pour réfléchir et faire des propositions, sur les politiques gouvernementales, municipales, pour la jeunesse… Il y a un manquement à ce niveau. Nous allons préparer des papiers à l’avance sur différents dossiers et non pas attendre que le gouvernement demande notre avis deux ou trois jours avant des échéances. Les Mauriciens ont beaucoup d’idées qui méritent d’être partagées. Qu’il s’agisse de jeunes, de femmes, de professionnels dans plusieurs secteurs… On peut même les comparer à ces politiciens que nous avons. Nous aurions aimé que chaque année, le gouvernement nous donne l’opportunité de dire ce que nous pensons sur le développement du pays. Les pêcheurs ou les planteurs ont certainement plus de connaissance dans leurs domaines respectifs que les autorités. Il ne faut pas perdre les efforts que tous ces citoyens sont en train de faire dans le pays. Il faut écouter leurs propositions. Le secteur privé est en train de faire du développement économique, on le sait. Mais il faut reconnaître aussi les contributions des “development practitioners”, qui relèvent souvent du volontariat.

Depuis quand cette plateforme existe-t-elle ?

Nous avons commencé en 2011 et nous sommes enregistrés depuis 2015. Depuis, nous avons beaucoup travaillé sur la promotion des Sustainable Development Goals (SDG). Le développement durable a une importance capitale pour Maurice avec le changement climatique, l’agriculture, entre autres. Parfois, on croit que nous sommes à l’abri de toutes ces catastrophes. Par exemple, en 1995, on croyait encore qu’il n’y avait pas de pauvres à Maurice. Il a fallu emmener les décideurs politiques dans certaines régions pour leur montrer dans quelles conditions les gens vivaient. C’est à partir de là qu’on a eu des structures comme le Trust Fund for the Social Integration of Vulnerable Groups. Prenons l’exemple des longères à Baie-du-Tombeau qui ont pris feu récemment. Cela fait une dizaine d’années que c’est là. Il y a des institutions qui, malheureusement, ne font pas le suivi. Par exemple, il y a des personnes qui ont acheté des maisons destinées aux personnes vulnérables pour faire des stores. Il n’y a aucun contrôle alors que d’autres personnes sont à la rue.

A Maurice, il y a beaucoup de lois, mais souvent, elles ne sont pas implémentées comme il faut. Il y a aussi un problème de communication, principalement au niveau des ministères et autres institutions.

Quel est votre regard sur la société mauricienne aujourd’hui ?

Je pense que les Mauriciens se contentent de ce qu’ils ont et croient que certaines portes ne s’ouvriront jamais pour eux. Il manque un message très fort, disant : « Anou marye pike pou ki tou dimounn viv byen dan sa pei-la. » Quand on vient dire, par exemple, « Ensam nou avanse », cela ne veut rien dire. Il faut impliquer les gens à tous les niveaux. Que ce soit au niveau des villages, des municipalités, au niveau national… Il faut motiver les gens. Il y a des structures qu’il faut revisiter pour redonner le dynamisme nécessaire. Prenons l’exemple des femmes. Il y a un grand conseil qui s’appelle le National Women Council. Qu’est-ce qu’on y fait exactement ? Les femmes ont un grand potentiel à Maurice, il faut leur donner la parole, les laisser exprimer leurs idées. On a l’impression de nos jours que les capitaines dans les bateaux prennent toutes les décisions. Les institutions doivent savoir capter l’enthousiasme, la force des citoyens. Les jeunes, par exemple, ont beaucoup de choses à partager. A mon époque, il y avait les fédérations de la jeunesse. Quand elles organisaient des élections, l’enthousiasme était semblable aux municipales. Aujourd’hui, nous avons un Youth Council, mais il est présidé par un nominé politique.

On vient de célébrer la Journée du volontariat. Selon vous, les personnes s’engagent-elles suffisamment aujourd’hui ?

Il y a beaucoup de personnes ayant de bonnes volontés à Maurice. Mais comme je l’ai dit, il faut savoir canaliser tout cela. Souvent, les organisations ne veulent pas faire de la place aux autres. On a peur d’être envahi. À mon avis, les conseils de district et les municipalités devraient avoir un fond pour aider les organisations volontaires de leurs régions respectivement. Elles peuvent aider sur différents plans. Aujourd’hui, on a le CSR, j’étais parmi ceux qui avaient travaillé dans sa mise en place. Mais il doit être réactualisé. Je pense que les gouvernements n’ont pas compris son utilité. C’était surtout destiné aux Ong. Aujourd’hui, le gouvernement récupère 75% de l’argent du CSR. Le secteur privé, qui a de tout temps accordé son soutien aux Ong, se retrouve aujourd’hui limité.

Vous avez appartenu au mouvement des gradués chômeurs à l’époque. Aujourd’hui, ce problème est de nouveau d’actualité. Qu’en pensez-vous ?

Je peux vous dire qu’il y a des jeunes qui commencent à s’organiser, comme nous l’avions fait à l’époque. Ils nous ont d’ailleurs demandé un coup de main. Nous allons certainement partager avec eux notre expérience. Selon moi, le problème vient du fait qu’il n’y a pas suffisamment de “guidance”. D’autre part, il y a des jeunes qui, avec raison, veulent avoir un boulot par rapport à leur diplôme. Je crois que les autorités devraient également aider nos jeunes à exporter leurs talents. Par exemple, il y a très peu de Mauriciens travaillant en Afrique. A notre époque, il y avait au moins 300 gradués chômeurs qui travaillaient au Zimbabwe. Tous ces médecins au chômage, on aurait pu leur donner le “training” nécessaire. On aurait dû donner des “incentives” pour que nos jeunes puissent travailler à l’étranger et ramener de l’expertise et des devises étrangères. Malheureusement, il n’y a personne qui les encadre. On se demande ce que fait le HRDC.

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