REDÉCOUPAGE ÉLECTORAL: Modifions d’abord la Constitution !

En réponse à une interpellation parlementaire écrite que lui a adressée le député Kaviraj Ramano (Mouvement Patriotique), le Premier ministre a annoncé que le dernier redécoupage des circonscriptions du pays recommandé par de l’Electoral Boundaries Commission (EBC) ne sera finalement pas appliqué. La commission avait déposé son rapport en 2009, soit il y a six ans, suscitant quelques controverses à l’époque. Ni le gouvernement PTr-MSM-PMSD d’alors ni l’opposition MMM n’avaient insisté pour son application. Puis, la tenue de élections de 2010 avaient relégué les débats autour du rapport aux oubliettes.
 Il faut faire ressortir que, selon la Constitution du pays, il est prévu que les circonscriptions pour les élections générales soient redessinées chaque dix ans en tenant compte de certains critères, dont la densité démographie, les limites géographiques administratives et la balance équitable dans des limites praticables du nombre d’électeurs. Mais il est également impératif que tous les partis siégeant à l’Assemblée nationale approuvent le rapport dans sa totalité, soit sans aucune modification.
Or, depuis les élections générales cruciales du 7 août 1967—qui virent le choix de l’indépendance aux dépens de l’association avec la Grande-Bretagne prônée par le PMSD de Gaëtan Duval — exception faite de quelques retouches qui ont, au passage, principalement influencé les résultats des scrutins dans les circonscriptions de Piton-Rivière du Rempart, Port Louis Nord-Montagne Longue et Belle-Rose-Quatre Bornes, il n’y a eu aucun changement majeur. Et ce, malgré la constante migration indéniable de la population avec le développement résidentiel.
En clair, après l’annonce du Premier ministre, mardi dernier, cela fait cette année plus de… quarante-huit ans que la représentativité populaire à Maurice restera scotchée à un système électoral enfermé dans seulement vingt circonscriptions trinominales (trois députés chacun) réparties sur le mainland Mauritius plus une à Rodrigues (avec deux députés élus et deux députés correctifs). Sans compter que ledit système avait été légué par le colonisateur anglais dans un contexte de rivalité communaliste hautement enflammée qui, de nos jours, n’apparaît plus vraiment évident.
Et pourtant, mis à part le Premier ministre et son parti, le Mouvement Socialiste Mauricien, dont le conservatisme à ce sujet est connu, et le Parti travailliste (qui a largement bénéficié du système et est toujours très tiède sur sa révision), nombre d’autres formations politiques parlementaires et extraparlementaires, dont des organisations sociales et syndicales, n’ont eu de cesse de réclamer une réforme profonde.
Si pour le MMM de Bérenger l’introduction d’une dose de Représentation Proportionnelle (PR) pourrait corriger les dysfonctionnement du First Past the Post (FPTP) qui offre au camp vainqueur une majorité de sièges disproportionnée ne laissant que des miettes à ses adversaires, d’autres groupes extraparlementaires ont également fait entendre de pertinents points de vue.
À titre d’exemple, en se fondant sur le fait que les circonscriptions Port Louis Sud-Port Louis Central (N°2) et Port Louis Est-Port Louis maritime (N°3) n’affichent respectivement que 25 000 et 23 000 électeurs et semblent avoir été ainsi expressément conçues afin de garantir la communauté musulmane, qui y est majoritaire,  de la présence, au minimum, de six députés à l’Assemblée nationale, l’Union chrétienne de l’historien Benjamin Moutoo milite prioritairement pour la création de deux circonscriptions supplémentaires. Selon cette union qui prétend être le porte-parole des créoles, en divisant en deux Savanne-Rivière Noire (N°14) et en jumelant Roche-Bois et Baie du Tombeau, il serait possible d’augmenter la représentativité de la communauté créole et celle, également, de la communauté sino-mauricienne.
De son côté, Jack Bizlall et son Entente pour la Démocratie Parlementaire (EDP) ont réclamé le retour à 40 circonscriptions pour Maurice à deux députés chacune (1 homme et une femme pour la parité), tandis que Joseph Tsang Man Kin souhaite, lui aussi, le retour à 40 circonscriptions à un député. Avant l’indépendance, Maurice comptait en effet 40 circonscriptions.
Nombre d’observateurs indépendants, mais également d’anciens membres de l’Electoral Boundaries Commission eux-mêmes, reconnaissent en privé que certaines de ces revendications auraient un bien-fondé si la République de Maurice se devait de persister à s’agripper à un découpage électoral hérité d’un contexte communal. Pour eux, il est certainement illogique et inéquitable aussi que, statistiquement, avec plus de 62 000 électeurs environ, chacune les circonscriptions de Pamplemousses-Triolet (N°5) et Savanne-Rivière Noire (N°14) soient en passe de bientôt tripler leurs électorats comparé à Port Louis Sud-Port Louis Central et Port Louis Est-Port Louis maritime.                    
Le Premier ministre a laissé comprendre que, après l’abandon de ses recommandations de 2009, l’Electoral Boundaries Commission se lancera prochainement dans un nouvel exercice de redélimitation des circonscriptions. Un tel exercice est laborieux et prend au minimum dix-huit mois pour être bouclé. On peut donc d’ores et déjà craindre que le pays se sera rendu aux prochaines élections de 2019 avant que ne tombent et ne soient approuvées les nouvelles recommandations.
Parce que les redécoupages électoraux ne prennent immanquablement effet qu’après de prochaines élections, il y a de quoi prévoir l’actuel système électoral mauricien — avec tout ce qu’il comporte de tares et d’injustices envers les uns et les autres — devrait alors largement dépasser… un demi-siècle d’existence. Pour la petite histoire, les 21 circonscriptions ont été constituées par un acte voté en 1966 par ce qui était alors le Conseil législatif.
Au fait, c’est la Constitution de Maurice qui bloque tout changement. La section 39 de la Constitution (issue du Mauritius Independance Order de 1968) est venue consolider ce système appliqué dès les élections générales de l’année précédente et dit effectivement que «there shall be 21 constituencies and accordingly, (a) the island of Mauritius shall be divided into 20 constituencies ; (b) Rodrigues Mauritius shall be constituted of twenty-one constituencies».
Ainsi, combien même l’Electoral Boundaries Commission souhaiterait améliorer, rendre le système plus équitable, plus démocratique, elle a les mains liées. À moins d’une motion pour modifier la Constitition avec la certitude de pouvoir surmonter l’obstacle de trois-quarts de majorité de l’Assemblée nationale…
Henri Marimootoo     
 

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