REDÉCOUPAGE : Une histoire de charcutage et tripatouillage

RASCHID MEERUN

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Dans le contexte d’une réforme électorale et d’un recensement ethnique, cerner le découpage des circonscriptions devrait être le premier levier de toute une entreprise dans laquelle chaque élément ne peut être dissocié de l’autre. C’est pourquoi il faut voir de plus près ce ‘gerrymandering’ et on se rendra vite compte du charcutage et du tripatouillage dont cet exercice a fait l’objet, de SSR à SAJ. Ce qui était nécessairement immoral devenait moralement et politiquement nécessaire, pour demeurer au pouvoir.

Cela étant, tant qu’une initiative honnête ne sera consentie pour un redécoupage assurant les conditions minimales de transparence et d’équité, le pays continuera à être à la merci d’un système, qui a été dénaturé, voire manipulé. Et, à ce titre, Xavier-Luc Duval, en tant que leader d’un parti, a devancé les autres sur la question du redécoupage des circonscriptions. Je lui dois l’intelligence d’avoir saisi la portée déterminante d’un redécoupage (qui rompt définitivement avec l’exercice bancal du passé) dans la concrétisation d’une véritable réforme électorale.

Marge d’écart démographique

Au prime abord, retenir une marge de 10 à 15% d’écart démographique entre les circonscriptions demeure la condition sine qua non pour toute réforme électorale. D’où la nécessité à Maurice d’un recensement qui devrait servir comme base à ce découpage, cela pour ne froisser et pénaliser aucune communauté.

Un découpage optimal repose sur plusieurs conditions. Il faut d’abord garantir une certaine équité entre les partis et entre les candidats. Le deuxième critère étant d’assurer un certain équilibre démographique entre les habitants d’une circonscription et le nombre de sièges qui les représentent. Les écarts entre les circonscriptions ne doivent pas être trop importants pour ne pas mettre en cause le principe de la représentativité. Le troisième critère de découpage étant la nécessité du respect du principe de la continuité territoriale et spatiale de chaque circonscription. Dans l’idéal démocratique, la voix de chaque citoyen doit peser d’un poids égal à celle de tous les autres et chaque circonscription électorale doit peser en termes de voix autant que les autres. D’où l’importance d’un tel découpage.

Le quatrième critère est lié à la garantie que chaque communauté s’octroie un nombre de sièges en proportion avec le pourcentage qu’elle représente dans la population. Ainsi, est-il de bon ton de suggérer que l’écart de représentation dans les circonscriptions concernées par le scrutin uninominal ne dépasserait pas 15%.

Existe-t-il un critère reconnu et acceptable par toute la population, qui guide l’octroi du nombre de députés à nos différentes circonscriptions électorales ? Ne sommes-nous pas en droit de le savoir et même de l’exiger à nos gouvernants ? Au-delà des enclos politiques et des clôtures idéologiques, au-delà des ambitions légitimes de chaque formation politique de remporter des victoires électorales, la question majeure du découpage électoral, gage d’un système électoral crédible et d’une représentation équilibrée de nos législateurs, devrait faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’ensemble de la classe politique.

De la noblesse  à la victoire…

Si nous nourrissons la noble ambition de compter notre pays parmi les nations émergentes de notre planète, comme le laissent entendre les autorités actuelles, il serait souhaitable que nous ayons des règles et un jeu politique transparent ; ce serait tout à l’honneur de notre pays. On n’émerge pas dans le faux et dans le subterfuge, car le découpage électoral sous sa forme actuelle n’est ni plus ni moins un subterfuge légalisé, qui fausse le jeu politique et rend la compétition pipée d’avance. Gagner, c’est bon, mais gagner dans la transparence honore la démocratie, confère le respect de l’adversaire vaincu et donne de la noblesse à la victoire du vainqueur.

Dans les nations aux démocraties reconnues et enracinées, pour déterminer le nombre de députés de chaque circonscription, l’on s’accorde sur le critère objectif de la population (nombre d’habitants par circonscription). Un tel critère intemporel et impersonnel, met toutes les forces politiques en compétition sur un pied d’égalité et donne une crédibilité au scrutin et consolide la représentation et la représentativité du législateur. Le nombre de députés ne devrait pas être octroyé en fonction des intérêts et des bastions de chaque parti politique, une fois au pouvoir, comme tel est le cas en ce moment. En effet, chez nous, le découpage électoral actuel ne repose sur aucun critère reconnu. Dans le seul but de s’assurer une majorité des sièges à l’hémicycle au désavantage de ses adversaires politiques, le parti au pouvoir décide du découpage électoral de manière unilatérale.

Dans le sillage d’une refonte complète, on ne trouve aucune explication objective aux trois députés octroyés au No 2 et 3, pour seulement 21 000 et 23 000 électeurs, là où le No14 peuplé de 63 000 électeurs est moins loti avec le même nombre de députés. Le déséquilibre est flagrant. Au-delà de ces cas susmentionnés, les exemples de ce type aux odeurs de calculs politiciens qui n’honorent pas notre pays et ses institutions sont légion.

Circonscriptions No 2, 3 et 13…

Il est vrai que pour s’assurer que la communauté musulmane obtienne de facto un nombre de sièges, en rapport à son pourcentage au sein de la population (18/19 %), elle a bénéficié d’une discrimination géographique positive, par le biais des circonscriptions No 2 et 3.

Toutefois, il ne faut pas se voiler la face: la stabilité du pays est d’ordre suprême et passe par un redécoupage équitable. Tout en augmentant le nombre des électeurs aux No 2 et 3, on devra s’assurer que le rééquilibrage des circonscriptions permettra l’élection des candidats musulmans dans d’autres circonscriptions, cela au nombre qui correspondra à la population de cette communauté. La différence est que la transparence et l’équité primeront. Dans de telles conditions, toutes les communautés du pays comprendront aisément, par exemple que 2 candidats musulmans soient élus au No 13. Alors que dans les conditions obscures actuelles, l’élection de 2 musulmans au No 13 en 2014 (avec un nombre de votants musulmans ne dépassant pas 15% dans cette circonscription) a eu l’effet pervers d’un vote à relent communautariste. Donc, on se rend vite à l’évidence que le découpage actuel donne lieu à un panachage, qui met les communautés dans une situation de regard en chiens de faïence.

Dans le même souffle, on n’a pas à chercher loin pour avoir une idée exacte de la manœuvre malhonnête et abjecte de faire catapulter des endroits comme Cité-Kennedy, Baie-du-Tombeau et Roche-Bois dans des circonscriptions (14, 5 et 3), où les votes de leurs mandants n’ont aucun poids décisif. Ils votent en pure perte. Disons les choses crûment, ce fut manigancé délibérément, parce que l’ensemble de ces votes provient en grande majorité de la communauté créole. Leur vote aux Nos.18 et 4 avait une incidence significative et mettait en péril l’élection des candidats du parti au pouvoir, à cette époque.

De même que le rattachement d’Ecroignard au No 9, Riche-en-Eau au No 11 (villages attachés à des circonscriptions dont ils sont géographiquement éloignés) est d’une absurdité folle, orchestrés dans le seul but de faire élire par la magouille des candidats du parti au pouvoir. En vrac, tout cela traduit une opération malsaine, réduisant à néant la portée des votes à une majorité ethnique spécifique.

Jamais un gouvernement ne s’était livré à un tel charcutage et s’il convient de dénoncer rigoureusement ce scandaleux redécoupage, il est grand temps d’en finir avec cette confiscation des accessoires de l’appareil électoral et par extension ces permutations au profit exclusif d’un homme, d’un clan quand ils sont au pouvoir. Une telle manipulation – contre toute logique – prouve un mépris total de la population, la traitant comme un objet dérisoire.

Ce n’est qu’un redécoupage prenant en compte la justification démographique et l’équilibre ethnique, qui apportera une délimitation régulière et en harmonie avec le fonctionnement fluide de notre démocratie, tout en constituant ce remède à notre système électoral, non seulement malade mais à l’agonie. Certes, certains des instigateurs de cette opération aussi indigne de charcutage sont toujours là. Mais, la difficulté accroît autant la volonté que les mérites.

Pour conclure, il faut citer le cas récent de la Malaisie, où l’on a eu un aperçu de l’effet boomerang de la manipulation du redécoupage. Le PM d’alors (cela s’est passé il y a quelques mois) avait tout entrepris de manière frauduleuse pour rester au pouvoir. En procédant à un exercice de re-délimitation des circonscriptions, qui était de nature à lui donner la victoire, il avait sous-estimé la perspicacité du peuple. À commencer par la section ethnique à laquelle il appartient. Les Malaisiens lui ont administré une gifle impensable et ont remis au pouvoir le retraité politique Professeur M. Mahathir (92 ans). Aujourd’hui, M. Najib Razak est poursuivi pour corruption et détournement de fonds publics.

Comme quoi, tout finit par être sanctionné dans la vie !

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