Reshma Peerun-Rajwani : « Envisager des politiques qui encouragent l’investissement dans la production »

L’inflation est la nouvelle pandémie. Jusqu’où ira la crise inflationniste dans le monde ? Quels moyens doivent mettre en œuvre le gouvernement et la banque centrale pour lutter contre ses effets dévastateurs et, surtout, quels sont les effets pervers d’une économie largement basée sur la consommation comme la nôtre ? Reshma Peerun Rajwani, Head, Treasury Sales chez AfrAsia, apporte son éclairage sur ces questions.

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Les prix de nombreux produits flambent depuis plus d’un an. Qu’est-ce qui provoque l’inflation dans le monde et s’agit-il seulement des effets du Covid et de la guerre en Ukraine ?

L’inflation mondiale a été relativement stable depuis le début du millénaire, oscillant généralement entre 3 et 5% par an. Elle a connu une forte augmentation en 2008 avec la crise financière mondiale. Toutefois, elle est restée plus ou moins constante tout au long des années 2010, avant que la crise actuelle ne débute en 2021. Le facteur déclenchant a été la pandémie.

Les pays du monde entier se sont enfermés pour tenter de limiter la propagation de l’épidémie, ayant ainsi un effet d’entraînement sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. De plus, les mesures de relance et les aides financières que les gouvernements ont versées aux citoyens ont soutenu la demande. Avec des stocks réduits, mais une forte demande, les prix ont naturellement augmenté.

Le conflit russo-ukrainien a aggravé la situation en provoquant une flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Si les prix de l’énergie sont descendus de leurs sommets, les prix des aliments comestibles, eux, continuent d’augmenter, car l’Ukraine est connue comme étant le grenier de l’Europe. La guerre a considérablement accru l’incertitude sur les perspectives de l’économie mondiale. L’indice des prix reste actuellement élevé dans de nombreuses régions du monde, donnant lieu à une nouvelle pandémie : l’inflation.

Selon les experts, la forte demande des consommateurs dans l’économie et la faible offre sont à l’origine de l’inflation. Qu’en est-il exactement ?

Cette même histoire, avec quelques variations, se déroule dans le monde entier, et chez nous aussi. D’une part, la flambée des prix peut être attribuée à la demande extraordinaire de biens en 2021. Lorsque les pays sont sortis des confinements, les gens ont pu sortir et acheter des choses avec l’argent économisé pendant des semaines d’inactivité économique. De solides mesures de politique budgétaire et monétaire ont aidé les ménages et les entreprises à traverser la crise.

La pandémie a néanmoins provoqué des perturbations prolongées des chaînes d’approvisionnement et, ainsi, la demande a été supérieure à l’offre, impactant les prix. L’explosion du coût du fret a aggravé la situation et, en tant que petit État insulaire, on a vu les prix prendre l’ascenseur.

D’autre part, l’inflation a été stimulée par la hausse des prix de l’énergie causée par la guerre de la Russie en Ukraine. Maurice dépend beaucoup des importations de denrées alimentaires et de carburant, et ces deux produits de base pèsent lourdement sur l’indice des prix à la consommation. Il ne faut pas oublier que nous importons aussi les matières premières industrielles et une majeure partie de nos approvisionnements alimentaires.
L’effet inflationniste des importations a été exacerbé par l’affaiblissement de la roupie mauricienne, qui s’est dépréciée d’environ Rs 37 pour 1 USD en décembre 2019 à environ Rs 47,05 pour un billet vert américain en début de mars 2023. En outre, les pays émergents sont très vulnérables à l’appréciation du dollar américain, qui peut nuire au pouvoir d’achat des importateurs.

Depuis une quinzaine d’années, les autorités mauriciennes ont toujours encouragé une économie basée sur la consommation, au lieu de favoriser la production. Comment analysez-vous les effets de cette stratégie sur l’économie ?

Encourager une économie basée sur la consommation plutôt que sur la production peut avoir des effets mitigés sur une économie, en fonction des circonstances spécifiques et de la façon dont la politique est implémentée. La croissance économique que Maurice a connue au cours des dernières décennies a généré une augmentation des revenus des ménages, et une hausse de la consommation.

Les bienfaits que nous avons pu observer comprennent : une augmentation de la demande intérieure de biens et de services, entraînant une croissance économique plus élevée; la création d’emplois; une augmentation des revenus pour les entreprises; et la croissance du secteur des services. Cet effet a aussi accru les recettes fiscales pour le gouvernement, qui peuvent être utilisées pour financer les services publics et le développement des infrastructures.

Toutefois, une économie basée sur la consommation a généré un déficit commercial en raison de l’augmentation des importations, nous rendant plus vulnérables aux chocs externes. Le Covid a semé la panique en faisant craindre une pénurie alimentaire due à la rupture de la chaîne d’approvisionnement. D’où le besoin de développer le secteur agricole de Maurice pour le rendre plus autosuffisant. De même, une économie basée sur la consommation peut conduire à des niveaux d’endettement insoutenables, car les ménages s’endettent davantage pour soutenir leurs habitudes de consommation. Ce faisant, il y aura moins de ressources disponibles pour l’investissement, pénalisant ainsi la croissance économique.

Si la consommation se veut bénéfique à court terme, une approche plus équilibrée, favorisant à la fois la production et la consommation, est susceptible d’être une option durable. Il faudrait donc envisager des politiques qui encouragent l’investissement dans la production nationale et soutenir la croissance des industries orientées vers l’exportation, tout en maintenant un niveau sain de consommation intérieure.

On a l’impression que le secteur privé plaide constamment pour une baisse du taux directeur alors qu’en laissant gonfler l’inflation, cela affecte drastiquement leurs coûts de production et le service de la dette notamment. Pourquoi donc cette posture, selon vous ?

Une des considérations les plus importantes pour une entreprise est la gestion du Cash-Flow. Le taux directeur est un outil qui affecte directement le taux de prêt des banques, et donc est un facteur clé en matière d’emprunt et de financement pour une entreprise. La hausse du taux directeur implique que les entreprises doivent payer davantage pour financer leurs opérations. Cette mesure vient directement augmenter les coûts de production et assombrit les perspectives de bénéfices des entreprises.

En ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, elles ont le plus souvent recours à des prêts bancaires pour financer leurs activités, plutôt qu’à d’autres sources de financements, comme le font les grandes organisations. Ces entreprises se retrouveront dans une situation précaire si une trop grande partie de leur capital est utilisée pour rembourser des dettes à un taux d’intérêt élevé. Ainsi, ils sont plus en faveur d’une baisse des taux, car le contraire sous-entend une augmentation des coûts, un ralentissement du potentiel de croissance et une réduction de l’avantage concurrentiel, mettant en danger leur existence.

Comment voyez-vous évoluer l’inflation dans les prochains mois ?

D’après le World Economic Outlook Update de janvier, l’inflation mondiale devrait passer de 8,8% en 2022 à 6,6% en 2023 et à 4,3% en 2024, tout en restant supérieure aux niveaux prépandémiques (2017-19) d’environ 3,5%. Il faut noter que tout au long de la pandémie, plusieurs institutions monétaires à travers le monde avaient initialement réagi à la crise en adoptant une politique monétaire très accommodante. Mais la situation est différente maintenant. Les pays sont confrontés à une inflation record et tentent de rattraper le temps perdu pour le ralentir.

Cependant, malgré plusieurs hausses agressives des taux d’intérêt aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, les pays avancés ont du mal à refroidir l’inflation, qui reste obstinément élevée et tenace. Toutefois, plusieurs risques négatifs se sont atténués en 2022. Le FMI prévoit une variation des prix à 6,1% pour notre pays pour 2023. La stabilisation des prix des produits de base et de l’énergie, la reprise des chaînes d’approvisionnement, de même que la baisse du fret et l’ouverture graduelle en Chine devraient contribuer à limiter l’inflation. Tout laisse à croire que nous ne connaîtrons pas de poussée inflationniste incontrôlée au-delà de quelques années dans le futur. Cependant, les défis liés à l’offre, la pénurie de main-d’œuvre sur le marché du travail, l’escalade de la guerre Russie-Ukraine et la dépréciation de la roupie restent parmi les principaux risques qui accéléreront la croissance des prix en 2023.

La Banque Centrale devrait-elle poursuivre son processus de normalisation ?

Pendant le Covid-19, plusieurs banques centrales ont opté pour une politique monétaire souple afin de gérer la crise économique. La flambée des prix a déclenché des mesures de normalisation de politique monétaire, ce qui implique un durcissement des conditions de financement, aidant la banque centrale à freiner la demande et réduire les pressions inflationnistes dans l’économie. La Réserve fédérale aux États-Unis et la Banque centrale européenne ont ordonné la normalisation de leur politique monétaire en relevant le taux directeur, tout en réduisant les avoirs en titres dans leurs bilans.

La hausse des taux d’intérêt a mis fin à l’ère des taux d’intérêt exceptionnellement bas, qui a duré plus d’une décennie. La croissance robuste de Maurice en 2022 devrait permettre aux autorités une plus grande marge de manœuvre afin de resserrer la politique monétaire pour lutter contre l’inflation et réduire l’écart de taux d’intérêt vis-à-vis d’autres pays.
Un taux d’intérêt plus élevé conduira à des rendements supérieurs sur les actifs mauriciens, ce qui contribuera à attirer les investissements directs étrangers dans le pays et entraînera des entrées de devises.

De plus, les consommateurs emprunteront moins d’argent et économiseront davantage avec un rendement plus élevé sur leur épargne. Cela contribuera à réduire la demande de biens et de services, et atténuera les pressions sur les prix. Certes, la hausse des taux d’intérêt entraînera une augmentation du coût de la dette et laissera aux consommateurs moins de ressources financières pour leurs dépenses courantes et autres investissements.
Comme de nombreuses personnes sont encore en difficulté, les autorités doivent continuer à aider en priorité les plus vulnérables en adoptant une approche ciblée. Si la politique monétaire est un outil nécessaire pour maîtriser l’inflation, la politique budgétaire peut donner à l’économie une stabilité à long terme. Le meilleur moyen de stabiliser l’inflation pourrait donc consister à l’intervention régulière de la banque centrale à travers le taux directeur, conjuguée à une politique budgétaire qui garantit la viabilité des finances publiques.

 

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