RÉTROSPECTIVE – DRAME ÉCOLOGIQUE : MV Wakashio : naufrage et marée humaine

– La catastrophe écologique survenue dans le sud-est du pays a été le catalyseur d’un sursaut des Mauriciens, même ceux se trouvant à l’étranger

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– « Kot monn fote ? » hante le Premier ministre avec la démonstration de force populaire le 29 août à l’initiative de Bruneau Laurette

Le vraquier MV Wakashio, long de 300 mètres et large de 50, avait à son bord 3 894 tonnes métriques de combustible à faible teneur en soufre, 207 tonnes métriques de diesel et 90 tonnes métriques de lubrifiant. Cette actualité a bouleversé le pays et a provoqué un sursaut des Mauriciens vis-à-vis de la gestion des dossiers d’envergure nationale, notamment des interrogations sur la vigilance des autorités en prélude au naufrage, les manœuvres discutables avant le 6 août dernier, l’exercice de remorquage ayant entraîné la mort de quatre membres d’équipage du remorqueur Sir Gaëtan et les nombreux dauphins d’Électre retrouvés morts sur la côte du sud-est.

Dans la soirée du 25 juillet, la nouvelle du drossage de ce vraquier au large de Pointe-d’Esny ne donnait nullement l’impression d’un simple fait divers. Du moins pour les spécialistes de navigation. La première question, qui n’a pas été répondue de manière convaincante, demeure de savoir ce que faisait un tel mastodonte marin dans des eaux si peu profondes de l’océan Indien et très loin des Normal Shipping Lanes.

Des théories de conspiration ont été apposées à l’explication de la recherche de réseau Wi-Fi pour des appels téléphoniques des membres d’équipage fêtant un anniversaire à bord. La séquence des événéments sur la côte du sud-est porte encore des traces indélébiles de cette sinistre affaire alors que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, s’en tient encore au « kot monn fote ? », expression devenue le leitmotiv de la plus importante mobilisation populaire de ces derniers temps, à l’initiative de Bruneau Laurette, dans les rues de la capitale le 29 août dernier et, ensuite, à Mahébourg.

Bien que les autorités mauriciennes aient donné des garanties que le National Oil Spill Contingency Plan était appliqué dans toute sa rigueur, avec les 4 000 tonnes d’huile lourde à bord du navire cargo et l’attente que la Salvage Team, Smit Salvage, ne soit sur place, les choses se sont détériorées, pour ne pas dire devenues incontrôlables avec les premières fissures apparaissant sur la coque du MV Wakashio.
Le pire qui était à craindre allait intervenir 12 jours après le naufrage. Une brèche dans la coque du MV Wakashio allait provoquer une fuite d’huile le matin du jeudi 6 août, rendant la situation aux abords des côtes de Blue-Bay, Pointe-d’Esny et Mahébourg chaotique. Les moyens déployés par les autorités pour protéger toutes les zones très sensibles, y compris le site Ramsar de Pointe-d’Esny et le parc marin de Blue-Bay, allaient être dépassés, sinon désuets. La catastrophe écologique dans le sud-est profilait à l’horizon.

« Boue sarlon » de ReA, Bruneau Laurette et sursaut des Mauriciens

Face à la situation alarmante après les premiers déversements de fioul, des activistes de Rezistans ek Alternativ (ReA) allaient prendre les devants pour lancer une opération de « boue sarlon » dans la nuit du 6 août au Mahébourg Waterfront afin de « kontkare mare nwar ». La première bouée artisanale placée par l’équipe de ReA allait montrer des signes encourageants, provoquant dans la foulée une mobilisation conséquente des Mauriciens à travers le pays. La société civile, comprenant des milliers de Mauriciens, des organisations privées et publiques ainsi que des ONG ont participé massivement à la préparation de “sea booms” artisanales, des barrières en paille, afin de limiter la progression de l’hydrocarbure sur les plages et les côtes du sud-est de l’île.

Des pêcheurs et skippers ont aussi apporté leur contribution à cet élan national ayant pour but de limiter cette catastrophe écologique. En attendant que les autorités obtiennent des équipements nécessaires des pays amis ou encore pour entamer le pompage du fioul se trouvant à bord du MV Wakashio, le gros travail d’installation de ces bouées artisanales avait atteint un stade avancé, bien que plusieurs zones côtières aient été décrétées « restricted » au public.

En parallèle, l’activiste social Bruneau Laurette, qui s’était fait entendre un peu plus tôt en début d’année pour sa position aux côtés des squatteurs, a pris la vague du MV Wakashio. De par son expérience professionnelle en sécurité maritime, il a soulevé de nombreuses interrogations sur le naufrage du vraquier nippon battant pavillon panaméen sur les récifs au large de Blue-Bay. Des questions sont soulevées en ce qui concerne la vigilance de la NCG depuis l’entrée de ce navire dans les eaux territoriales de Maurice et les mesures prises par les autorités pour éviter le drame écologique survenu plus de dix de jours après le naufrage.

Dans un premier temps, Bruneau Laurette a porté plainte contre le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, celui de l’Économie bleue, Sudheer Maudhoo, et contre le directeur de la Shipping Division, Alain Donat. Il a par la suite déposé une “Private Prosecution” contre ces mêmes personnes, les accusant de « culpable omission ». Il a estimé que les trois protagonistes ont failli à leur devoir et ont omis de réagir promptement lorsque le MV Wakashio a pénétré le territoire maritime mauricien. Une démarche qui allait toutefois être vaine, car le directeur des poursuites publiques n’a pas été convaincu par les informations avancées par l’activiste social dans sa plainte.

Une cinquantaine de dauphins morts

Alors que le pompage du fioul se trouvant à bord du vraquier avait pris fin le lundi 24 août, des dauphins morts allaient toutefois susciter l’émoi dans le sud-est de l’île deux jours plus tard. En effet, du 26 août au 14 septembre, pas moins de 52 cadavres de ces animaux marins ont été retrouvés. Pour beaucoup d’observateurs marins, le phénomène était directement lié au naufrage du MV Wakashio et de la marée noire qui s’est suivie. Des dauphins d’Électre avaient échoué sur la côte sinistrée par le naufrage du MV Wakashio. Le bilan de ces dauphins morts s’est alourdi au fil des jours, des mammifères de la même espèce étant en effet retrouvés notamment au large de Pointe-aux-Feuilles, Grand-Sable ou Deux-Frères.

Au total, plus d’une trentaine de dauphins ont échoué. Bien que les autorités aient indiqué que les cadavres de ces animaux ne portaient pas de traces d’hydrocarbures, les explications officielles n’étaient pas pour autant convaincantes. Une nécropsie avait été effectuée sur 26 carcasses afin de mieux connaître les circonstances de leur décès. Les lésions les plus communes étaient de grosses morsures, possiblement provoquées par des requins, des lacérations. Mais dans les échantillons prélevés sur 11 d’entre eux, de l’hydrocarbure a été retrouvé.

Manif historique du 29 août dans les rues de la capitale

Le naufrage du MV Wakashio au large de Pointe-d’Esny aura généré une marée humaine dans les rues de la capitale le samedi 29 août. L’hôtel du gouvernement et ses antennes masquées en cette période de COVID-19 n’avaient aucunement cru que la population dans son ensemble allait se mobiliser pour faire entendre sa voix contre les dérives du pouvoir politique. Le slogan mobilisateur était la démission du Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui s’était démandé « Kot monn fote ? » en pleine crise de marée noire.

Ce samedi 29 août, ils étaient des dizaines de milliers, au-delà de la barre des 75 000, de toutes les composantes de l’arc-en-ciel mauricien, à faire le déplacement par leurs propres moyens à Port-Louis pour envoyer une onde de choc au Prime Minister’s Office et ébranler la Comfort Zone des membres du gouvernement, n’ayant pas encore bouclé la première année de leur mandat électoral, faisant l’objet de contestations en Cour suprême. Les manifestants avaient pris rendez-vous devant la cathédrale Saint-Louis, la plupart arborant des t-shirts noirs avec des messages tels que « I love my country, I’m ashamed of my government ». Et le tout sans aucun incident rapporté par la police ce jour-là et dans une discipline exemplaire, rendant tout un chacun fier de revendiquer d’être Mauricien. La mobilisation s’était propagée à la diaspora, avec des Mauriciens installés à l’étranger se sentant obligés de faire preuve de solidarité dans l’épreuve, en manifestant de manière symbolique.

Jeunes et vieux ont répondu présents à cette démonstration populaire ayant pour principal objectif d’envoyer un signal fort au gouvernement que « enough is enough » en ce qui concerne le manque de réaction prompte et appropriée, mettant à risque le pays sur plusieurs fronts. « Pena kominote, pena laz, pena kouler, pena blan pena nwar, Morisien ki prezan isi la. Noun vinn dir leta ki nounn plin ek zot bann zistwar dormi dibout », laissaient entendre les manifestants, dont nombreux étaient venus du sud de l’île pour se faire entendre contre ce qu’ils qualifient d’amateurisme qui a prévalu durant l’épisode MV Wakashio.

« Noun ase ek sa zafer dir nou mo pa okouran la. Ou byen vinn dir nou pa ti kapav fer sesi ou sela. Si pa kapav dirize, lev pake ale », ont soutenu de nombreux Mauriciens participant à cette marche, dans un sursaut sans précédent du mauricianisme. « Pa pe vinn fer politik la. Mesaz la pou zot tou. Politisien bizin aret servi dimounn zis pou eleksyon ek asiz dan pouvwar », était le sentiment dégagé par les jeunes qui avaient répondu à l’appel des organisateurs.

L’opposition, dont les états-majors du PTr, MMM, du PMSD et du Reform Party, et leurs leaders, étaient sur les lieux, mais ils n’étaient pas le centre d’intérêt de la plupart des manifestants, qui sont restés concentrés sur l’itinéraire de la marche. Les manifestants avaient envahi les rues de Port-Louis depuis la New Court House, marchant en direction de la municipalité de Port-Louis. Pas un seul « trou » n’était identifié dans cette foule compacte et la fin du cortège avait déjà perdu de vue la “frontline”. Bien que la tête du cortège ait été déjà au coin de la rue Edith Cavell, ils étaient des milliers ne pouvant à peine bouger, coincés devant le poste de police de Pope Hennessy. Sans compter ceux qui rejoignaient la foule par la Place d’Armes ou encore à travers Marie Reine de La Paix directement ou la gare Victoria.

Les messages affichés sur les pancartes étaient sans équivoque : « Lev pake ale », « Akot mo fine fote », « Nou pa zot maryonet » ou encore « Pra-20 Out », tout en scandant « Fou li deor » et aussi « Nou oule laverite, manter nou pale ». Tout un programme, qui retrouve encore sa pertinence avec les événements dramatiques ayant marqué la fin de l’année, et dont les tenants et aboutissants demandent encore à être révélés en marge de l’enquête judiciaire sur le meurtre de l’agent du MSM de Quartier-Militaire/Moka (No 8), Soopramanien Kistnen.

Mais ce n’était pas fini. Le samedi 12 septembre, les Mauriciens allaient remettre cela de nouveau avec la marche dans la principale artère de Mahébourg jusqu’au Waterfront. Le mot d’ordre était la solidarité avec les riverains de la côte du sud-est, et dont le quotidien a été ruiné par la marée noire. Toutefois, il n’y aura pas la passe de trois. La tentative d’organiser la troisième édition aura été émaillée de complications administratives, la police interdisant le rassemblement à Angus Road, lieu de résidence du Premier ministre, et ensuite des contraintes avec des risques à la sécurité pour le rendez-vous de Saint-Pierre du 8 novembre, premier anniversaire du gouvernement de L’Alliance Morisien.

Ce qu’a dit le CP sur le 25 juillet

« Ver 19h10, li ti sitie a Pointe-du-Diable. National Coast Guard finn sey etablir kontak avek li alor ki li ti lor seki nou apel enn Innocent Passage. Ti so Sea Route normal sa. Me pann gagn li lor radio. Pa finn ena kominikasion parski li pann reponn nou lapel. Ver 19h25, noun rekontakte li a 6,5 mil notik. Pa finn ena okenn repons kapiten. Nou finn kontinie avoy mesaz e ver 20h10, ki noun gagn mesaz NCG Post Blue Bay kot li dir nou ki li pena okenn problem. Apre kapitenn finn dir ki so bato finn derive. »

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