Reza Uteem (président du Public Accounts Committee et président du MMM) : « Nous sommes face à un gouvernement à court d’idées »

Dans une interview accordée cette semaine à Le-Mauricien, Reza Uteem, président du Public Accounts Committee et également du MMM, fait le constat d’un gouvernement « qui est à court d’idées ». Il estime que le gouvernement a tort de sous-estimer la grogne que monte actuellement au sein de la population. « Les prix augmentent, les gens ont peur pour leur emploi, n’ont pas de visibilité, et les entrepreneurs n’investissent pas. Or, ce gouvernement se comporte comme si c’était Business As Usual », dit-il. Concernant Betamax, il estime que la commission d’enquête permettra de déterminer les circonstances dans lesquelles le contrat a été alloué et résilié, et si les conseils légaux ont été sollicités et obtenus au préalable.

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Le budget a été adopté. Vous avez été très actif durant les débats sur le budget. Qu’est-ce que vous retenez de cet exercice parlementaire?

C’est un budget qui a vu le gouvernement se comporter comme si le Covid-19 lui a donné une licence pour embêter le pays et dépenser comme bon lui semble. Tout le monde s’attendait à voir un budget responsable avec des mesures importantes pour relancer l’économie, donner un nouveau souffle au secteur cannier, réformer le secteur manufacturier et se préparer à relancer le secteur touristique et les services financiers.

Or, nous n’avons entendu aucune mesure que le gouvernement compte prendre pour sortir le pays de la récession. Nous avons vu des dépenses à droite et à gauche, la construction d’infrastructures publiques et de drains, etc. Il a essayé de projeter l’image que tout va à merveille. Tou korek.

Or, toutes les agences et institutions internationales ont critiqué la gestion économique du pays. Il n’y a qu’à lire les rapports de la Banque mondiale et du FMI.

Pensez-vous que la relance en vue d’une croissance robuste aura lieu ?

Depuis que ce gouvernement a pris le pouvoir, il a toujours misé sur le secteur de la construction comme le moteur de la croissance. À chaque fois, il parle de bétonnage, de construction de routes, du Metro Express, et de drains. Ce que le ministre des Finances ne réalise pas, c’est que si le gouvernement adopte une stratégie basée sur des investissements massifs pour générer le développement à Maurice, cela ne peut fonctionner que s’il tient sa promesse et exécute les projets annoncés.

L’année dernière, la construction de 12 000 maisons avait été annoncée. Une dotation budgétaire de Rs 12 milliards avait aussi été allouée. Combien de maisons ont été construites ? Zéro! On a fait provision de milliards de roupies pour la construction d’une digue à Rivière-des-Anguilles, on a annoncé des développements majeurs dans le port. Quel montant a été dépensé ? Zéro!

Aujourd’hui, le gouvernement a fait une série d’annonces qui ne seront pas réalisées. Les seules dépenses qui sont faites sont celles qui sont récurrentes et ne portent pas sur des projets de construction. Oui, il a accordé un Wage Assistance Scheme, un Self Employed Assistance Scheme. C’est bien. Il lui faut également une stratégie de relance. Il ne pourra pas soutenir les entreprises éternellement. Il doit retrouver son rôle de facilitateur. Nous sommes en face d’un gouvernement qui est à court d’idées.

L’objectif avoué du ministre est la relance de la consommation…

Je ne peux pas le blâmer. Cela a toujours été la stratégie de Padayachy de miser sur la consommation. Ce que le gouvernement ne réalise pas, c’est qu’aujourd’hui nous consommons plus que ce que nous produisons et nous avons une balance des paiements déficitaire, nous importons tous ce que nous consommons.

Par conséquent, lorsqu’on a une croissance axée sur la consommation, on passe totalement à côté des objectifs parce que la production ne se fait pas à Maurice. Les contribuables mauriciens et la population contribuent plutôt à la relance des pays étrangers. Même lorsque le gouvernement annonce la construction de maisons, il aura à importer le ciment, les matières premières, même la main-d’oeuvre.

Tout l’argent investi quittera Maurice pour aller ailleurs. La stratégie de Maurice doit être basée sur l’exportation comme cela avait été le cas dans les années 1980. À cette époque, il y avait le textile. Nous devons innover et nous lancer dans la production de produits haut de gamme et dans la production des services.

Nous avons une population avec un taux de chômage élevé parmi les jeunes et les diplômés. Nous avons une matière grise sous-utilisée et ce n’est pas en investissant dans le béton que nous pourrons mettre à profit les diplômés. C’est cela la déception du gouvernement parce que sa stratégie n’est pas bonne.

Prenons le tourisme. Qu’est-ce que le gouvernement a annoncé pour la reprise ? Il a donné de l’argent à la MTPA pour refaire le marketing sur les marchés traditionnels. Ce n’est pas bon. Il aurait fallu revoir avant tout le produit touristique mauricien en le réformant et le rehaussant. Ensuite, il faut explorer de nouveaux marchés. Nous avons un grand continent africain avec des gens qui sont extrêmement riches, des gens qui dépensent énormément en faisant du shopping. Cette catégorie de touristes est bloquée et ne peut aller en Europe ou sur des destinations traditionnelles à cause du Covid-19. Nous aurions dû leur offrir la possibilité de venir dépenser leur argent à Maurice. Est-ce que le ministre du Tourisme a une stratégie touristique pour le marché africain ?

Cela fait des années qu’on parle de stratégie mauricienne pour l’Afrique…

Voilà des années qu’on présente Maurice comme un Gateway to Africa. Demandez à n’importe quel membre du Parlement de donner le nom des chefs d’Etat de cinq pays africains ou des capitales de cinq pays africains ou quelle est la langue parlée au Mozambique ou Angola. Je suis curieux de savoir combien auront la bonne réponse. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelque temps, le Deputy Speaker avait fait une protestation officielle contre le fait qu’il est envoyé en mission uniquement en Afrique.

Combien de fois, le président de la République ou le Premier ministre ont assisté à un sommet important de chefs d’Etat  en Afrique? Si nous voulons conquérir le marché africain, il faudra voir comment cultiver cette relation.

Lorsque nous étions aux Nations unies et que nous luttions pour la reconnaissance de la souveraineté de Maurice, qui étaient ceux qui étaient à nos côtés ? Ce sont les États-membres de l’Union africaine dont nous faisons partie. Combien de fois avons-nous entendu le Premier ministre parler de Maurice comme un pays africain ? Combien de fois avons-nous entendu le Premier ministre féliciter les chefs d’Etat africain et dire sa fierté que Maurice est un pays africain ?

Dans votre intervention sur le budget, vous vous êtes insurgé contre la façon dont l’Africa Fund est utilisé. Que vouliez-vous dire ?

L’Africa Fund avait été créé pour aider les Mauriciens qui auraient souhaité investir en Afrique. Non seulement ce fonds n’est pas utilisé et on ne favorise pas l’investissement des Mauriciens en Afrique, voilà qu’aujourd’hui le ministre des Finances nous informe que ce fonds sera utilisé dans l’immobilier. Lorsqu’on lui a demandé dans quel pays africain, il a répondu que Maurice fait partie de l’Afrique. Il a démontré que ce gouvernement n’a aucune stratégie pour l’Afrique, qu’il n’est pas intéressé par l’Afrique.

De la même façon que nous recevons beaucoup d’aides de nos pays de peuplement, soit la Chine, la Grande-Bretagne, la France, l’Inde, pourquoi ne pas entretenir une relation avec l’Afrique d’autant plus qu’un tiers de notre population vient d’Afrique ? Or l’Afrique représente une mine d’or. L’Afrique est la terre du futur, la terre d’opportunité.

Je suis un fervent croyant que l’avenir de Maurice est lié à celui du continent africain. Les importateurs se plaignent que le fret est très cher alors que des navires qui sortent de Chine ne s’arrêtent pas à Port-Louis et vont directement vers l’Afrique du Sud avant de se rendre au Sri-Lanka. C’est après cette escale qu’ils retournent à Maurice.

C’est une occasion ratée. Nous aurions dû devenir le centre de transbordement pour la région africaine comme le fait Singapour pour la région du Sud-Est asiatique. Tous les gros navires en provenance de Chine auraient dû pouvoir débarquer leurs marchandises à Maurice avant de les distribuer vers les pays de la région et en Afrique avec une liaison maritime qui aurait pu être développée. J’ai l’impression que ce gouvernement n’est pas intéressé par le développement économique et l’avenir à long terme de Maurice. Ils n’ont qu’une vision à court terme.

Le développement d’un Education Hub ne tient-il pas en compte les pays africains ?

Que faisons-nous pour attirer les étudiants africains ? Déjà, il y a une partie d’étudiants africains qui viennent à Maurice, à la Middlesex University ou sur d’autres campus. Ce n’est pas suffisant parce que j’aurais aimé savoir ce que la ministre Dookun a mis sur pied pour faire la promotion de l’Education Hub. Croit-elle que les étudiants viendront comme cela déposer leurs bagages chez nous ?

Nous sommes en compétition avec des universités internationales. Oublions l’université de Maurice dont le Ranking est aberrant lorsqu’on tient en ligne de compte les milliards de roupies investies dans l’éducation pour former nos enfants. L’UoM reçoit la crème de nos enfants. Que faisons-nous pour améliorer le niveau de l’enseignement supérieur ?

Le ministre des Finances insiste sur l’éventualité d’une croissance de 9% pour l’année prochaine. Est-ce que cela vous choque ?

Nous voudrions savoir très humblement d’où viendra cette croissance. Est-ce que ce sera de l’industrie cannière, de l’industrie manufacturière, du côté des services financiers ? Il se base sur l’arrivée de 650 000 touristes. Qui nous dit que les touristes seront intéressés à venir à Maurice lorsque les frontières seront rouvertes ? Nous aurions souhaité connaître une forte croissance.

La Banque mondiale, le FMI et la MCB misent sur une croissance de l’ordre de 5%. Nous avons vu ce qui s’est passé la semaine dernière. Statistics Mauritius annonce que ses prévisions de croissance seront de 4,4% et deux jours plus tard cette même croissance passe à 5,4%. Une semaine plus tard, le président du Board de Statistics Mauritius démissionne. Quel est le message que ce gouvernement envoie ?

Aujourd’hui, nous avons une seule voix. C’est celle du gouvernement. Nous avons affaire à un gouvernement qui, non seulement s’ingère dans les affaires des institutions, mais qui fait croire que les institutions indépendantes sont sur la même longueur d’onde que lui. Nous l’avons vu à la Banque de Maurice. Il y a eu dans le passé des gouverneurs qui étaient à couteaux tirés avec le ministre des Finances dont Rama Sithanen ou Manou Bheenick. À cette époque, le Premier ministre donnait carte blanche au gouverneur de la Banque centrale pour qu’il travaille comme il faut. Cela a été le cas pour Basant Roi qui a travaillé en toute indépendance. Il y a eu des personnes qui, même si elles avaient été nommées par le gouvernement, ont agi comme des professionnels intègres. Leurs prestations étaient plus importantes que leur allégeance au gouvernement.

Avez-vous été surpris par la démission de Gilbert Gnany à la présidence du board de Statistics Mauritius ?

Je n’ai pas été surpris du tout, mais j’aurais souhaité qu’il vienne s’expliquer sur sa démission et nous dise qu’il y a ingérence ministérielle dans les affaires de Statistics Mauritius. Ce n’est pas la première fois qu’un professionnel démissionne en raison d’une ingérence gouvernementale. Je me souviens qu’il y a eu des démissions du board de l’EDB parce qu’ils ne voulaient pas cautionner Alvaro Sobrinho. Des gens intègres au sein de la Financial Services Commission (FSC) ont démissionné au lieu d’accepter la façon de faire du gouvernement.

La dépréciation de la roupie et la flambée des prix bouleversent la population en ce moment. Qu’en pensez-vous ?

Avant les élections, le ministre des Finances était intervenu pour prendre Rs 18 milliards du Special Fund de la Banque Centrale. J’avais critiqué cette décision en affirmant que la seule façon d’alimenter ce fonds était la dépréciation de la roupie. L’année dernière, le gouvernement est revenu à la charge pour puiser Rs 32 milliards de ce fonds. Il n’y a plus d’argent dans ce fonds.

Aujourd’hui, la Banque de Maurice aurait dû injecter de l’argent pour alimenter ses réserves. Il ne le fait pas parce que le gouvernement n’a pas les moyens de capitaliser la Banque Centrale. L’unique choix à sa disposition est la dépréciation de la roupie et ses réserves à la Banque Centrale augmentent. Je sympathise avec les consommateurs qui subissent une onde de choc lorsqu’ils se rendent au supermarché. Je ne parle pas des personnes qui doivent envoyer de l’argent à leurs enfants qui étudient à l’étranger.

Or, le ministre des Finances considère que le taux d’inflation est uniquement de 2%. Vous allez me faire croire que les prix des médicaments ont augmenté de seulement 2%. L’essence et le diesel ont-ils augmenté de seulement 2% ? Aujourd’hui, comme l’ont affirmé le ministre des Finances, Xavier Duval, et le leader du MMM, Paul Bérenger, les chiffres ont perdu leur valeur parce que le gouvernement et le ministre des Finances n’ont aucun respect pour les chiffres. Ils font fi de ce que disent les instances internationales, de ce que dit Moody’s. Ils vivent dans leur propre cocon.

Est-ce que l’adoption d’un Floating Regime par la Banque de Maurice est une bonne chose ?

Oui. Je suis de ceux qui pensent que l’avenir de Maurice est tourné vers l’exportation des produits et des services. Il faut donc un régime qui permette aux investisseurs d’investir en devises et de retirer leur argent en devises. Le problème n’est pas là. C’est la BoM qui, au lieu de défendre la roupie, a donné de l’argent au gouvernement.

Ne pensez-vous que la situation s’améliorera avec la réouverture des frontières ?

Il faudra que les touristes viennent au pays. Si c’est le cas, les choses vont s’améliorer. Or les choses ne s’améliorent pas en Europe où on pense déjà au prochain confinement.

Comment se portent les services financiers ?

Nous avons de la chance car en raison du Covid-19, beaucoup d’entreprises évitent de prendre des décisions drastiques afin de relocaliser leurs opérations parce qu’elles ont des problèmes financiers. Ce qui nous a aidés à atténuer le fait que nous soyons sur la liste grise du GAFI et de la liste noire de l’Union européenne. J’espère que nous sortirons de la liste grise le plus vite possible. D’autres défis nous attendent dont l’introduction de la taxe globale de 15%. Il y a des opportunités et je crois dans le secteur. Il faut que le gouvernement croie dans le secteur également. Il le fera le jour où il commencera à investir dans la promotion de Maurice comme un secteur financier et le jour où il commencera à mettre des personnes crédibles à la tête des institutions, à commencer par l’ICAC. Je pense que la promotion du secteur financier doit être faite non pas par l’Economic Development Board (EBD) mais par une agence spécialisée comme la Financial Services Promotion Authority (FSPA) qui existait dans le passé.

Pourquoi êtes-vous contre la reconduction de Navin Beekarry à la tête de l’ICAC ?

J’aurais souhaité connaître son bilan. Combien de cas ont fait la une des journaux et qui impliquent des ministres de ce gouvernement et de l’ancien gouvernement ? Et combien d’entre eux ont été poursuivis par l’ICAC ? Combien de cas de corruption ont été élucidés ? Aujourd’hui, nous sommes blâmés par le Financial Action Task Force à cause des faiblesses constatées dans nos Law Enforcement Agencies. Qui sont responsables de faire des enquêtes sur le blanchiment d’argent à Maurice ? Pourquoi le Premier ministre, non seulement nomme Navin Beekarry, mais le défend au Parlement ?

Lors des débats budgétaires, le Premier ministre a donné tous les détails concernant les salaires de ses conseillers et des présidents de conseil d’administration des corps para-étatiques, sauf ceux de Navin Beekarry. Un jour ou l’autre, la population devra savoir pourquoi Navin Beekarry a été reconduit à ses fonctions.

Le ministre des Finances insiste sur le fait de maintenir la Mauritius Investment Corporation Limited (MIC) sous l’égide de la Banque de Maurice malgré les recommandations du FMI. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons toujours pensé que la BoM n’a ni la vocation ni la compétence de gérer une institution comme la MIC. Nous aurions pu émuler Singapour où une agence d’investissements est en compétition avec d’autres agences. À Maurice, nous avons la SIC qui est un flop monumental. Et fait, la MIC fait exactement ce que la SIC aurait dû faire. Je suis d’accord qu’on aurait dû retirer la MIC de la BoM pour lui permettre d’opérer comme un fonds d’investissement avec des personnes compétentes à sa tête afin d’aider les grands groupes mais aussi les petites et moyennes entreprises.

Que peut-on attendre de la commission d’enquête sur Betamax ?

La commission d’enquête doit déterminer les circonstances dans lesquelles le contrat a été alloué à Betamax. Il faudrait voir si toutes les procédures ont été suivies. Il faudra déterminer si les prix pratiqués étaient dans l’intérêt public.

La commission d’enquête doit aussi avoir la responsabilité de déterminer les circonstances dans lesquelles le contrat a été résilié, si les conseils légaux ont été obtenus avant de le résilier. Est-ce qu’on a essayé d’explorer d’autres avenues comme, par exemple, les négociations avec les représentants de Betamax pour réviser les prix et les conditions ou était-ce une vendetta politique contre une entreprise perçue par le régime comme étant proche du PTr ?

J’espère qu’elle fasse aussi des recommandations afin qu’il n’y ait pas une réplique de Betamax. Si la commission d’enquête fait son travail comme il le faut, il y aura beaucoup de dégâts politiques. Les réponses parlementaires des ministres ont évolué en fonction des bords politiques où ils se trouvaient par rapport à Betamax. Certains ministres ont dû mentir en répondant aux questions parlementaires.

Propos recueillis par Jean Marc Poché

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