– « On ne peut rester fermés éternellement. C’est une catastrophe »
– « Nos propositions sont refusées, mais nos charges tombent chaque mois »
Une vingtaine de mois sans revenus. La crise pèse très lourd sur la situation financière des opérateurs dans le secteur du tourisme à Rodrigues, qui ne voient toujours pas le bout du tunnel. Beaucoup d’entre eux ont peur d’exprimer leur colère à visage découvert, craignant des représailles. Alain Colas, d’origine française et détenteur de la nationalité mauricienne, est directeur marketing de Rod Fishing Club, une entreprise de pêche au gros dirigée par son fils, Yann Colas. Et il pousse un véritable cri du cœur. «Il faudra bien s’habituer au Covid. On ne peut pas rester fermés éternellement. Ce n’est pas possible. C’est une catastrophe », dit-il. Après 19 mois de fermeture, les opérateurs sont littéralement au bout du rouleau.
Une énième date de réouverture a été annoncée pour le 8 janvier, mais les opérateurs n’y croient plus tellement. Ces dernières semaines ont été en dents de scie, avec des espoirs de réouverture, puis rien. « On parle du 8 janvier. Ce serait du bonheur, car nous avions déjà annulé nos clients en octobre, novembre et décembre. Et là, nous avons tout annulé pour début janvier aussi. Si les frontières rouvrent, ce serait une bonne nouvelle. Maintenant, on est comme Saint Thomas ! On attend de voir si c’est bien vrai, car nous avons eu trop de déceptions », lâche Alain Colas.
L’entreprise de Yann Colas, Rod Fishing Club, fonctionne à 98% avec des clients internationaux passionnés de pêche au gros. Mais depuis mars 2020, elle subit de plein fouet la fermeture prolongée des frontières, soit depuis plus de 19 mois. « Comment survivre si longtemps sans activité ? L’ouverture des frontières est importante pour Rodrigues. En septembre dernier, quand on nous a dit qu’on rouvrirait, nous étions soulagés. Mais jusqu’à l’heure, nous sommes dans l’attente », explique Alain Colas.
Il souligne également que les opérateurs de Rodrigues sont confrontés à des informations contradictoires sur divers sujets, comme le nombre de respirateurs disponibles dans l’île, le pourcentage de vaccinés, etc. « Nous entendons tout et son contraire. On ne sait pas combien de personnes sont vaccinées dans l’île. Il n’y a pas d’explications, et un manque de transparence », affirme-t-il. « Si ce n’était pas tragique, cela pourrait être risible… Ce n’est pas une très bonne communication, ni une très bonne gestion du système. Nous ne pouvons qu’espérer que tout rentrera dans l’ordre rapidement. »
Bloqué à Maurice
Pour corser les choses, Alain Colas est actuellement bloqué à Maurice avec son épouse, et ne sait toujours pas quand il pourra regagner Rodrigues. Venu à Maurice en août dernier, accompagné de sa femme, pour subir une intervention chirurgicale délicate, le couple devrait repartir le 1er octobre, mais il attend toujours un vol de rapatriement…
« Comment cela se décide ? Qui fait la liste des personnes à être rapatriées ? Combien de places sont disponibles ? On ne fait que nous dire d’attendre et qu’on nous appellera. On nous dit qu’il y a 300 étudiants à rapatrier, et nous comprenons parfaitement, mais le gouvernement devrait mettre davantage de vols de rapatriement. Car pour ceux qui n’ont pas de famille à Maurice, cela implique de grands frais pour le logement et la nourriture, et surtout, c’est difficile à vivre. »
Entre-temps, le Rod Fishing Club est aux abois, comme toutes les entreprises touristiques de l’île. « Heureusement, nous avons pu bénéficier du soutien de l’État avec le travail alternatif, mais les employeurs ont des charges plus lourdes. Le gouvernement régional aide les employés, mais pas les employeurs », lance Alain Colas.
Il poursuit : « on pense que les employeurs sont des vaches à lait qu’il suffit de traire. Mais si la vache n’est pas nourrie, elle ne donnera plus de lait ! Nous ne pourrons pas éternellement continuer de payer. Nous n’avons pas le droit de licencier, mais nous n’avons plus de recettes depuis 19 mois, et c’est le cas pour tous ceux qui vivent du tourisme à Rodrigues. »
Clients échaudés
Devant l’ampleur des dégâts, les Colas ont dû fermer leur magasin à Rodrigues, pour ne conserver que leur entreprise de pêche au gros. Le Rod Fishing Club opère avec une unité, le Black Marlin. Avant la pandémie, ce bateau de pêche faisait des sorties en mer de quatre jours/trois nuits. Il est équipé de couchettes. Le Rod Fishing Club offre l’avantage aux passionnés de pêche de pouvoir pêcher tout en restant sur le même bateau. « Quand nous partons sur les bancs à l’ouest et à l’est de Rodrigues, nous partons plusieurs jours et les gens dorment à bord, prennent leur douche à bord. Il y a le skipper, deux marins, et nous prenons un maximum de cinq pêcheurs », explique notre interlocuteur.
Avant la pandémie, le business marchait bien, avec des réservations pour six à huit mois à l’avance. Pour tenter de trouver de l’aide auprès des autorités, le Rod Fishing Club a fait une demande pour bénéficier du tarif commercial du CEB pendant la période de crise de Covid, mais cela lui a été refusé.
« Toutes nos propositions sont refusées, mais nos charges tombent chaque mois. Il faudrait une prise de conscience. A force de pomper l’argent des opérateurs, bientôt, il n’y en aura plus. Par ailleurs, la réouverture a tellement été reportée que les clients sont échaudés. On leur a dit octobre, puis novembre, puis décembre, et maintenant janvier. »