Sages-femmes et Femmes Sages

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On les oublie, trop souvent. Comme par inadvertance.

On les oublie, ces sages-femmes et ces femmes sages qui, toutes s’inscrivent dans l’histoire de l’humanité et continuent à accompagner la vie. Présentes et silencieuses, en plein mystère de la vie. C’est un hommage ici rendu à toutes ces inconnues, dont certaines parmi les femmes sages qui n’ont laissé que leurs prénoms, davantage symboles que marques d’une individualité hors du commun.

Le mot « sage » est dérivé de sapiens (la connaissance, l’expérience, source de sagesse). En Grèce antique, pour les sages-femmes, on parlait de maïeutique, ou « l’art d’accoucher ». Sous l’influence de Socrate, par métaphore, il a désigné un mode d’échange philosophique, l’accouchement des esprits.

Accouchement du corps et de l’esprit, c’est l’art d’accueillir, de faire advenir.

Pensez « Comité de Sages » et immédiatement, c’est l’image d’un groupe d’hommes qui prend corps. Quels sont ces mécanismes d’invisibilité qui régissent les savoirs des femmes, surtout en matière de connaissance, de sagesse ? Christophe André, psychiatre et Alexandre Jollien, philosophe, reconnaissent dans un podcast, « La sagesse en pratique », l’invisibilité des figures féminines.

Interdictions, condamnations morales pour inconvenance, honte, assignations au domaine du privé, déni de valeur, dénigrement, recours à la pathologie et à l’enfermement (folie, hystérie, névrose…), accusations de sorcellerie concourent à l’invisibilité des femmes sur ce chemin de la connaissance. Ce mouvement d’occultation s’accompagne en même temps d’une hyper-visibilité des corps féminins qui répondent à des normes de beauté et de séduction marchande,  à la prégnance des stéréotypes de genre (univers limité, sensibilité déconnectée de la rationalité…).  L’homme en recherche de sagesse peut être perçu au départ comme marginal mais comme pour toute marginalité choisie, cette différenciation très souvent est revendiquée comme marque d’individuation et reconnue socialement, valorisée même.

 »Les chefs étaient sans force en Israël, sans force, quand je me suis levée, moi Débora  ». Juge 5-7

Et pourtant, dans toutes les civilisations et cultures, les femmes ont été et sont présentes sur cette voie de l’intériorité, en participant activement au cheminement de l’esprit, à un renouvellement individuel et collectif.

En ce temps de carême chrétien, outre Anne, Marie, Marie Madeleine et autre personnages connus du Nouveau Testament, je me réfère ici à quelques figures moins connues de l’Ancien Testament :

1) Les femmes dans la vie de Moïse : les sages-femmes Shifra et Poua, sa mère Yokébed, sa soeur Myriam, qui prend son tambourin et invite les autres à entrer dans une danse de louange après la traversée de la mer Rouge (Exode 15.20-21), la fille du Pharaon, sa femme. Elles ont agi avec courage, ont pris des risques aux différentes étapes de la vie. Exode 1, 2, 4.24-25

 2) Débora : Prophétesse et juge d’Israël, sa foi donne naissance à l’espoir, la liberté. Son courage est communicatif : en voyant son zèle, les hommes d’Israël la suivent.

« Les chefs étaient sans force en Israël, sans force, quand je me suis levée, moi Débora ». Juges 5-7

3) Ruth : Moabite, malgré les tragédies de sa vie, malgré les influences négatives de son passé, elle a, par ses choix, complètement changé la trajectoire de sa vie, sa destinée et celle de sa famille.

4) Rahab : Prostituée à Jéricho, cette Cananéenne d’une grande beauté accueille les deux espions envoyés par Josué, les cache, et a la vie sauve lors de l’attaque et de la destruction de la ville.

Durable invisibilité des femmes sur le chemin de l’intériorité et de la sagesse ? Non. Telles les sages-femmes qui, dans le silence du mystère accueillent la vie, les femmes sages, mystiques (1) ou pas suscitent peu à peu un intérêt croissant. Elles ne sont plus désormais des parturientes mais des sages-femmes, accoucheuses de l’esprit. Il est révélateur que 514 de femmes mystiques (2) soient l’objet d’une recherche qui a mobilisé quatre-vingts spécialistes. Sur YouTube, on peut suivre « Femmes mystiques d’Orient et d’Occident – Les Racines du Ciel, Les femmes mystiques » avec Michel Cazenave, La mystique au féminin – KTO.

Les paroles de ces femmes tentent comme pour les hommes d’évoquer l’indicible et de dire le sacré dont le mystère ne peut être enfermé.

« Je contemplai alors dans le secret de Dieu, au cœur des espaces aériens du midi, une merveilleuse figure. Elle avait apparence humaine. La beauté, la clarté de son visage étaient telles que regarder le soleil eût été plus facile que regarder ce visage. Un large cercle d’or ceignait la tête”– Hildegard de Bingen, 1098-1179.

1) La mystique » est une notion occidentale, formalisée au XVIIe siècle, comme l’a montré Michel de Certeau

2) Audrey Fella (dir.) Les femmes mystiques. Histoire et dictionnaire.
Robert Laffont, coll. Bouquins, 2013, 1120 p.

L’écrasante majorité relève du christianisme pour des raisons culturelles.

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