SANS EMPLOI DEPUIS UN AN: La détresse des pêcheurs des bancs

Depuis 2011 de nombreux pêcheurs de bancs sont au chômage. Ils n’arrivent plus à trouver du travail auprès des compagnies de pêche mauriciennes qui préfèrent embaucher des Malgaches. Une situation que dénonce le Syndicat des pêcheurs depuis longtemps. Des discussions avec les autorités compétentes n’ont rien donné à ce jour. Entre-temps, des drames humains se jouent dans les familles concernées. Faute d’argent, les jeunes ne vont pas à l’école. Dans d’autres cas, la mère a préféré partir avec les enfants. Autant de douleurs qui se lisent sur le visage de ces pêcheurs qui font le va-et-vient entre le ministère de la Pêche et celui du Travail depuis plus d’une semaine…
Le visage fermé, des documents sous le bras, François Victor quitte une nouvelle fois le bureau du ministre du Travail, Shakeel Mohamed, sans l’aide sociale qu’il est venue réclamer pour lui et ses amis. Ils sont une centaine de pêcheurs au chômage depuis un an. En attendant des jours meilleurs, ils vivent de petits boulots à gauche et à droite. Mais le mois de janvier a été particulièrement difficile. Malgré toute leur bonne volonté, ils n’arrivent pas à trouver du travail. « Il y a une chose que nous voulons bien faire comprendre : nous ne sommes pas en train de réclamer de l’argent. Nous voulons simplement trouver du travail mais les bateaux refusent de nous prendre. Nous avons demandé une aide sociale pour janvier car nous n’avons pas travaillé. Comment allons-nous nourrir nos familles ? » lance François Victor.
Les pêcheurs de bancs sont amers. Ils disent avoir été abandonnés alors qu’ils ont tant contribué à l’économie du pays. Il y a dix ans ils étaient des milliers… De nos jours il n’en reste que quelque 200. Beaucoup ont préféré se tourner vers un autre secteur. Pour certains, ce n’est pas aussi évident.
François Victor est pêcheur depuis l’âge de 18 ans. Il en a aujourd’hui 43. Après 25 ans à travailler en mer, il se voit mal faire une reconversion. « La pêche est mon métier. C’est ce que j’ai toujours fait. Est-ce maintenant, à 43 ans, que je vais apprendre un autre métier ? Je suis prêt à repartir en mer à n’importe quel moment ! »
Dignité
C’est aussi pour une question de dignité que les pêcheurs se battent. Même si leur lutte est quelque peu désorganisée elle est, dans le fond, justifiée. « Pendant des années, nous avons contribué à l’économie du pays. Maintenant on nous rejette pour engager d’autres… »
Le métier de pêcheur de bancs est très exigeant mais beaucoup s’y accrochent encore car, disent-ils, c’est tout ce qu’ils ont toujours appris. « Généralement, lorsqu’on part pour une campagne de pêche, nous restons en mer pendant deux mois. Puis, nous retournons à Maurice, avant de repartir dans un mois ou un mois et demi. » Ces voyages s’effectuent uniquement sur les « grands » bateaux. Les « petits » partent quant à eux pour des campagnes de 15 jours et ne vont pas plus loin que Saint-Brandon. Généralement, un pêcheur doit avoir travaillé sur un « petit » bateau, avant de monter sur un « grand ».
François Victor révèle que pendant toutes ces années, les pêcheurs de bancs ont travaillé sans conditions. « Il n’y avait pas de contrat. On nous lisait que quelques règlements. Nous avons toujours demandé une copie du document, mais nous n’avons rien eu. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui on peut se débarrasser de nous aussi facilement. Il n’y a pas de justice dans ce secteur. »
« Injustices »
Déclarations que confirme Judex Ramphul, président du Syndicat des pêcheurs. Il souligne d’ailleurs l’existence d’un Remuneration Order pour les pêcheurs de bancs datant de 1997, mais qui « n’est pas respecté ».
Pour protester contre ces « injustices », François Victor et un autre pêcheur Mustapha Mohamed, aussi connu comme Gandhi, ont récemment fait une grève de la faim. « Nous l’avons fait pour qu’on prenne nos droits en considération. » Après six et dix-sept jours de grève respectivement, ils ont mis fin « temporairement » à leur mouvement, le Premier ministre Navin Ramgoolam ayant délégué Shakeel Mohamed à s’occuper de leur cas.
Le ministre du Travail a institué une consultation tripartite réunissant des représentants du gouvernement, des pêcheurs et des compagnies de pêche pour tenter de trouver une solution. Les pêcheurs de bancs, se réjouit Judex Ramphul, auront ainsi pour la première fois droit à une telle consultation. Outre le président du Syndicat des pêcheurs, Ashok Subron, qui agira comme négociateur des pêcheurs, participera à la réunion.
En attendant les consultations et négociations, des drames se jouent dans des familles affectées par cette situation. François Victor confie que ses enfants ne peuvent aller à l’école régulièrement par manque d’argent. « Comment pouvez-vous obliger à vos enfants à y aller quand vous n’avez pas de pain ou un peu de jus à leur donner ? » Quelques fois, c’est la grand-mère ou les voisins qui leur offrent à manger. Et d’autres fois, il n’y a rien…
Pour certains pêcheurs, la détresse est d’autant plus grande. Lorsqu’il est rentré chez lui la semaine dernière après les différentes démarches à Port-Louis, l’un d’eux a constaté que sa femme était partie avec les enfants… Alors que ses collègues racontent sa peine, l’homme baisse la tête, les yeux rougis et n’ose prononcer un seul mot.
Comme François Victor, Stenion Samoisy est sans emploi depuis bientôt un an. Il a regardé impuissant des Malgaches s’embarquer sur un bateau de pêche. Pour lui, comme pour ses amis, il n’y a qu’une explication à cet état des choses : les compagnies préfèrent la main-d’oeuvre bon marché.
Stenion Samoisy également trouve injuste qu’on se débarrasse du jour au lendemain de ceux qui ont tant contribué au secteur de la pêche. « J’ai travaillé sur des bateaux pendant 20 ans. Aujourd’hui on refuse de m’engager. J’ai des enfants qui doivent aller à l’école. La NHDC a menacé de saisir ma maison. »
En attendant un consensus, les pêcheurs ne demandent qu’à pouvoir nourrir leurs familles. Même si ce métier comporte de nombreux risques, ils sont déterminés à continuer à en faire leur gagne-pain.

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