Satish Faugoo, membre du Parti travailliste : « Les institutions utilisées non pas pour le pays mais au profit du MSM »

Dans le cadre de la campagne électorale « Le Mauricien » a rencontré cette semaine Satish Faugoo, membre du Parti travailliste et candidat de l’Alliance Nationale dans la circonscription no 7, Piton/Rivière du Rempart. Il considère que le gouvernement a utilisé les institutions non pas pour l’avancement du pays « mais au profit du MSM ». Notre interlocuteur estime, par ailleurs, qu’on aurait pu s’inspirer des pratiques en cours en Grande Bretagne ou en Inde s’agissant de la date des élections générales. Un Premier ministre  ne peut décider de convoquer les élections générales en cachette…

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Nous sommes entrés de plain-pied dans la campagne électorale avec l’enregistrement des candidats cette semaine. Quelle est la particularité des législatives 2019 ?

Je pense que les élections générales 2019 ne se dérouleront pas sur une base équitable et juste. Il est évident que le gouvernement a déjoué les principes démocratiques. L’organisation des élections générales doit être un exercice démocratique et qui accorde de l’espace à tous les partis afin de se préparer, de présenter leurs programmes et se faire accepter par la population. Or ici, on a constaté que Pravind Jugnauth a opéré comme leader du MSM, et non comme Premier ministre et comme un ministre responsable des Finances pendant près des six mois. Il travaillait surtout pour le MSM et pas pour le pays. Durant toute cette période, il était en campagne et s’est engagé dans une opération de “koup riban”. Lorsqu’il a annoncé la date des élections, il était évident qu’il était prêt depuis très longtemps. Il avait même déjà préparé le slogan de son alliance et avait déjà imprimé les t-shirts aux couleurs de son parti et avait déjà commandé les oriflammes.

D’autre part, alors que le “writing was on the wall” et que tout le monde savait que le parlement serait dissous automatiquement le 21 décembre, il avait donné l’impression qu’il disposait de pouvoirs pour organiser les élections le plus tard possible, soit dans le courant de l’année 2020. On dirait même qu’il pouvait tenir les élections en 2021. Ce qui avait suscité des mises en garde de l’opposition. Il a, de plus, prétendu et affirmé avec force que l’élection partielle aura bien lieu dans la circonscription No 7. Tout d’un coup, pour des raisons que l’on connaît, il a annoncé la dissolution du parlement un dimanche. Il a de toute évidence trompé la population. On peut même parler d’escroquerie. On dirait que tous les moyens sont bons pour faire de la politique et se maintenir au poste de Premier ministre dans l’intérêt de la famille Jugnauth. Il a bien préparé son cheval sans révéler la date des courses et donner le départ alors que les chevaux des autres écuries étaient encore dans les paddocks. On a l’impression que s’il n’y avait pas de règlements constitutionnels concernant l’organisation des élections, il aurait donné seulement une semaine de campagne avant les élections. Les questions qui se posent sont : est-ce bon pour la démocratie ? Cela reflète-t-il l’esprit du “fair-play” nécessaire à la démocratie parlementaire ? Les autres disposeront-ils de temps nécessaire pour présenter leurs candidats et leurs programmes électoraux ?

On a vu que les Travaillistes étaient également sur le terrain avant la dissolution du Parlement…

Le Parti Travailliste a toujours été sur le terrain. Dans une démocratie parlementaire comme Maurice, il y a toujours eu une convention non écrite concernant l’agenda des élections. Comment se fait-il que le Premier ministre organise les élections dans une période qui coïncide avec la date des examens du School Certificate et du Higher School Certificate ? Il est connu de tous et encore plus du gouvernement que les élèves de Form V et du HSC seront dans les salles d’examens à partir du mois d’octobre, et ce jusqu’au 7 novembre. Un enfant fait des sacrifices pendant cinq ans pour le SC et sept ans pour le HSC. Nous savons qu’il y a une culture de l’éducation à Maurice, la seule voie ouverte pour la promotion sociale à Maurice. Au terme de leurs études, les parents sont en congé pour les aider à faire leurs révisions, les soutenir pendant les examens et les protéger de toutes les perturbations, y compris la télévision. C’est un sacrifice extraordinaire pour les parents mais ils le font pour le bien-être de leurs enfants. Pensez-vous que le Premier ministre du pays, qui se présente comme le père de toute la population, se soucie de l’intérêt des enfants ? On dirait que non. Il semble que son intérêt politique prend le dessus sur tous les autres. Il se moque des perturbations qui sont inhérentes aux campagnes électorales avec les meetings et réunions nocturnes. Rien ne l’empêchait d’organiser les élections avant ou après cette période délicate. Quel message envoie-t-il aux jeunes ? On dirait qu’il se moque des examens des enfants et, ce qui retient le plus son attention, c’est son examen de Premier ministre. D’un côté, il manifeste constamment sa considération pour les personnes âgées et, de l’autre, il ignore l’intérêt des jeunes. Par ailleurs, je constate qu’il n’organise pas les élections en tenant compte son bilan, mais en faisant de fausses promesses.

Expliquez-vous ?

En premier lieu, il utilise les institutions que son gouvernement a rendues partisanes. Il peut dire ce qu’il veut dans les médias mais tout le monde constate quotidiennement ce qu’est devenue la MBC. Je reconnais que tout gouvernement a pu faire un usage abusif de la MBC. Mais, cette fois-ci, le gouvernement a dépassé toutes les limites. Je constate que le MSM a conclu une alliance avec la MBC, la police, l’ICAC, et la Banque de Maurice. La dette publique a connu une hausse astronomique. Il puise dans les réserves de la BoM pour montrer que sa gestion de l’économie et des finances est bonne et qu’il n’y a aucun problème dans le pays. Toutes ces institutions ont été à l’évidence utilisées non pas pour l’avancement du pays mais pour venir en aide au MSM. Elles ont été « at the beck and call » de Pravind Jugnauth. Tel est également le cas pour l’ICAC qui a fait d’incroyables choses…

Avez-vous l’impression que les partis politiques ont été pris de court par l’annonce de la date des élections ainsi que par la durée de la campagne ?

La réponse est oui pour toutes les raisons que j’ai avancées plus tôt. Le Parti travailliste était sur le terrain depuis longtemps. Mais avec sa manière de faire certains partis ont été décontenancés.

Est-ce la raison pour laquelle certains partis ont eu des difficultés pour finaliser la liste des candidats?

Absolument. J’ai l’impression que le Premier ministre a été pris à son propre piège. On dirait qu’il avait tout préparé pour s’orienter vers les élections et prendre par surprise les autres partis. Mais il a lui-même rencontré des problèmes avec ses propres candidats avec la mise à l’écart de 19 ministres et députés, qui n’ont pas eu d’investiture. Il avait pensé que cela sera à son avantage mais il a négligé la dimension sociale. Comment expliquer qu’un candidat du MSM arrive dans une réunion en ignorant le nom du Premier ministre lui-même. C’est revealing. Ce qui est indicatif du fait qu’il a, lui aussi, été « taken aback » et a eu un problème avec la nomination des candidats qui a été faite à la hâte. On a affirmé qu’il est un Premier ministre qui est entré par l’imposte. Voilà qu’un de ses propres candidats ne connaît pas son nom. Le candidat désigné a été limogé instantanément alors que 19 autres ministres et députés ont été tolérés durant cinq ans jusqu’à la dissolution du parlement.

La décision de tenir les élections après seulement deux semaines de campagne est-elle raisonnable?

À mon avis, il aurait pu avoir annoncé auparavant que les élections auront lieu au mois de novembre au terme d’une courte campagne. En Grande Bretagne, le Premier ministre n’a pas le droit de dissoudre le parlement avant la fin de son mandat de cinq ans. Si le Premier ministre veut convoquer les élections il doit présenter une motion au parlement pour qu’elle soit adoptée. Une personne ne peut décider en cachette de convoquer les élections avant la fin de son mandat. Vous n’avez qu’à suivre actuellement ce qui se passe au House of Commons alors que Boris Johnson veut convoquer les élections pour le 12 décembre avant la fin du mandat de cinq ans du parlement. Si le Premier ministre perd sa majorité lors d’une motion de censure  c’est autre chose. En Inde, la date des élections est fixée par la Commission électorale. La date des élections est connue d’avance. En vérité, le Premier ministre veut déjouer le jeu démocratique. Ce n’est pas correct pour la démocratie parlementaire.

N’avez-vous pas l’impression que les législatives ont pris la forme d’un scrutin premierministériel?

La façon de faire du Premier ministre mauricien tend à confirmer ce que vous dites. Depuis six mois, les téléspectateurs n’ont vu que Pravind Jugnauth sur  l’écran de la MBC. Il est le seul qui coupe les rubans, à se mettre de l’avant. Les autres ministres et parlementaires importaient peu.

On entend que des organisations socioreligieuses demandent aux électeurs de bien choisir les candidats pour lesquels ils souhaitent voter. Qu’en pensez-vous? 

Comment les électeurs pourront faire cela en deux semaines? Personnellement je prône que les électeurs s’alignent sur le parti de leur choix. Il ne faut pas par la suite qu’il y ait un hung parliament surtout que nous sommes engagés dans une lutte à trois. Déjà la situation politique et sociale est instable. Un hung parliament risque d’entretenir cette instabilité. En tant que candidat du Parti travailliste, je suis certain que l’Alliance nationale a aligné des candidats valables dans le cadre d’une équipe compétente et tout le monde connaît les valeurs travaillistes.

Je ne peux en dire autant pour le MSM. Je crains que cette fois le ballon ait éclaté dans cette élection et le MSM court le risque d’être réduit à sa juste valeur. À voir les alliances qu’ils ont conclues, ils pensent être au courant de la situation. Je constate qu’ils ont fait une alliance avec Ivan Collendavelloo, Steven Obeegadoo et Alan Ganoo. Il s’agit d’une alliance hétéroclite comme en 2014. Obeegadoo s’est mis dans l’étoffe d’un leader mais que représente-t-il au plan national? La même question se pose pour les autres. On dirait que le MSM a conclu de petits arrangements politiques au niveau de certaines circonscriptions. Ceux qui ont vu la présentation des candidats de l’Alliance Morisien m’ont demandé où se trouvait le MSM dans le front bench qui constitue la vitrine de cette alliance.  J’ai vu des personnes qui se présentent bien mais je n’ai pu me demander où se trouvaient Nando Bodha et les autres. C’est un paravent qui a été présenté. La population peut-elle faire confiance à une telle équipe? Comment expliquer que des politiciens ayant 20 ans ou 40 ans de carrière dans le MMM – qui ont consacré leur carrière à dénoncer le deal « Papa Piti », « li mem aste li mem vande », « le bâtiment de la honte », « la dynastie et l’empire Jugnauth » – se retrouvent subitement aux côtés de la famille Jugnauth. N’est-ce pas uniquement un arrangement électoral? Est-ce qu’il amènera la stabilité politique? À mon humble avis, ce ne sera pas le cas; bien au contraire, c’est le niveau politique même qui a baissé et met en péril la confiance de la population dans les politiques en donnant l’impression que tout est possible en politique. Si vous regardez le front bench de l’Alliance Nationale, on peut voir clairement l’alliance Ptr-PMSD avec des gens qui sont ancrés dans leurs partis, qui ont épousé le principe de leurs partis. Ils sont là pour défendre leurs valeurs respectives. De l’autre côté, ils se sont associés juste pour le pouvoir. Ce sont des pouvoiristes. C’est une alliance à court terme!

Vous vous êtes présentés dans plusieurs circonscriptions avant d’atterrir au no 7 pour les prochaines élections. Est-ce vous qui avez choisi cette circonscription?

Oui. J’ai fait deux mandats comme député pour la circonscription no 5. Je me suis également présenté au no 6 la dernière fois et cette fois c’est le no 7. Mes adversaires me reprochent ces différents déplacements. C’est la seule critique qu’ils peuvent faire contre moi. Cela ne me gêne pas parce que lorsqu’on est député ou ministre on travaille pour la population dans sa globalité. J’ai aussi l’opportunité de découvrir différentes régions. En arrivant dans cette circonscription j’ai été étonné de voir qu’elle n’a connu aucun développement malgré le fait que c’était la circonscription du Premier ministre du pays pendant des années. Une petite agglomération comme Lallmatie ou Bon Accueil au no 9 est beaucoup plus avancée que Piton/Rivière du Rempart.

Une circonscription difficile pour vous?

Cette circonscription symbolise la crise qui a prévalu au sein du gouvernement durant les cinq dernières années. Ni SAJ, ni Vishnu Lutchmeenaraidoo ou encore Ravi Rutna n’ont été vraiment présents dans cette circonscription; ce sont Prakash Maunthrooa et Ravi Yerrigadoo qui les ont représentés pendant toutes ces années. Les deux derniers, comme vous le savez, sont impliqués dans des affaires en Cour. Il se trouve encore qu’indépendamment des candidats présentés par L’Alliance Morisien, mes adversaires dans cette circonscription sont toujours Ravi Yerrigadoo et Prakash Maunthrooa, qui sont responsables de la campagne de l’AM, et Prakash Meenowa qui vient de quitter le MMM – qui l’avait fait élire dans cette circonscription. Quelle confiance peut-on leur faire?

Vous êtes dans la politique depuis plus de 20 ans. La mentalité des électeurs a-t-elle changé?

Elle a évolué d’une certaine façon et à un certain degré mais à la base, elle n’a pas changé. La mentalité a évolué en tant que Mauriciens mais pas celle des électeurs. Ce sont deux choses séparées. Le mauricianisme a fait beaucoup de progrès mais il est malheureux que tous les cinq ans le démon communal se réveille. Cela est-il bon pour le développement de Maurice? Est-ce bon pour le développement de la société mauricienne ou s’agit-il d’une démarche rétrograde? Malheureusement, c’est encouragé par la politique. Il faut reconnaître toutefois qu’il y a une clientèle. C’est une question relevant de l’offre et de la demande. Mais je pense que ce n’est pas trop bon que j’en parle dans ce contexte électoral (rires). C’est un constat que je fais en tant que citoyen et c’est malheureux que cela soit ainsi. Il faut engager une réflexion pour faire évoluer les mentalités.

La question de la déclinaison de l’appartenance ethnique a été portée devant la Cour suprême par Rezistans ek Alternativ parce que le gouvernement a choisi de ne pas présenter un mini-amendement constitutionnel. Qu’en pensez-vous ?

Il est triste que le MSM n’ait pas réussi à faire adopter une législation sur la réforme électorale et sur la façon d’organiser les élections dans la réalité, sur le terrain et dans la forme. Même le mini-amendement constitutionnel n’a pas été mis en avant. Ils ont présenté un projet de loi sur la réforme électorale pour la forme mais pas pour apporter un changement réel. Puisqu’il n’y avait pas une majorité nécessaire au parlement, il fallait faire une table ronde pour rechercher un consensus. Il ne fallait pas s’inscrire dans un projet qui soit dans l’intérêt du MSM uniquement. Encore une fois on constate qu’ils opèrent comme un parti et pas comme un gouvernement responsable. En fin de compte, le texte de loi a été présenté juste pour dire qu’ils ont fait l’effort mais n’ont pas obtenu le soutien de l’Opposition.

Maintenant ils ont baptisé leur formation l’Alliance Morisien. Où est le mauricianisme si tous les candidats doivent décliner leur appartenance ethnique? Quel message envoient-ils? Ils ne savaient même pas que le règlement promulgué en 2014 était encore en vigueur et ont dû en quatrième vitesse demander au président par intérim d’émettre un décret pour signifier que les candidats ont l’obligation de déclarer le groupe ethnique. Comment peut-on être aussi rétrograde?

Tout cela démontre que le MSM n’a pas de vision pour le pays mais un plan pour promouvoir les intérêts de la famille Jugnauth. D’ailleurs, contrairement à toute convention, Anerood Jugnauth a quitté la présidence pour redescendre dans l’arène politique dans le but de propulser son fils à la tête du gouvernement. Il avait essayé d’utiliser Paul Bérenger pour le faire en 2005 mais la population l’avait rejeté.

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