SERVICES ESSENTIELS — POMPIERS: Un métier qui part en fumée

Le service des pompiers est mis à rude épreuve ces jours-ci. Comme en témoigne l’immense incendie samedi dernier dans le Nord, mobilisant de nombreuses unités des soldats de feu. Et pour cause. Dorsamy Ayacouty, Divisional Fire Officer, confirme que « la période de septembre à novembre est habituellement cruciale pour nos services car c’est pendant ces mois-là qu’on enregistre surtout le plus d’incendies dans les champs ». Et, hormis ces feux, les pompiers doivent également intervenir dans de très nombreuses situations au jour le jour ; allant des inondations jusqu’à secourir les chats qui ont grimpé dans les arbres et qui ne peuvent en redescendre. Ce n’est pas un cliché ! Pour corser les choses, les nouvelles recrues ne se bousculent pas aux portes des casernes…
Dorsamy Ayacouty, Divisional Fire Officer, compte une trentaine d’années de service. Parmi ses principaux collaborateurs, José Chung-Foo, Senior Station Officer, affecté dans le Nord, et Ashoklall Ramdheean, Divisional Officer pour la région Sud, sont également des pompiers de carrière : « C’est plus qu’un métier. C’est un engagement à vie ; une vocation », notent-ils d’une même voix.
José Chung-Foo relate comment il a démarré dans le métier : « C’était en 1975. Le 26 octobre, je m’en souviens très bien ; comme si c’était hier… » La raison de ce souvenir aussi précis : « J’effectuais mon baptême de feu… aux côtés de mon père, qui était aussi pompier. » Un incendie de grande envergure ravageait la région de Bonne-Espérance. « Mon père est tombé, ce jour-là, sur le champ de bataille… », décline d’un ton sobre, José Chung-Foo. Triste souvenir. Triste manière de commencer un nouveau métier. Mais ce n’est pas pour autant que José Chung-Foo a baissé les armes… Au contraire.
« Ce sont les risques du métier. Mon père est mort, asphyxié. L’épaisse fumée noire a eu raison de lui. Ce sont des risques que nous, pompiers, devons encourir quand nous acceptons de faire ce métier », élabore-t-il. Dorsamy Ayacouty et Ashoklall Ramdheean le rejoignent dans ses propos : « Être pompier, ce n’est pas un métier comme les autres. Quand on a décidé de prendre cette voie, il faut savoir dans quoi on s’engage… » A. Ramdheean explicite : « Souvent, je vois de nouvelles recrues qui tombent dans les pommes à la seule vue du sang. Et encore, dans le cadre d’une simulation ou d’une préparation pour une éventuelle intervention ! » Pour José Chung-Foo, « il faut être bien armé pour faire ce travail. Physiquement et psychologiquement ».
Corps déchiquetés
Le Divisional Officer pour le Sud revient à la charge, rappelant comment, « dernièrement, quand il y a eu un grand accident de la route qui a fait plusieurs morts, les pompiers qui étaient présents sur les lieux pour prodiguer les premiers soins aux victimes avaient été sérieusement affectés par l’expérience. » Et J. Chung Foo de compléter : « C’était, en effet, une expérience très traumatisante. De voir des corps déchiquetés, démembrés… Le sang qui se répandait. De telles vues ne sont pas soutenables à tout un chacun. Pourtant, un pompier doit avoir le coeur et l’estomac solides pour y faire face… » De ce fait, souligne M. Ramdheean, « cette équipe de pompiers avait dû être momentanément transférée. Ils avaient été mis au repos, temporairement, le temps qu’ils récupèrent de cet épisode, avant de pouvoir être prêts à reprendre du service ».
Ainsi, soulignent J. Chung Foo et A. Ramdheean, « nous bénéficions certes d’un suivi médical régulier ». Et D. Ayacouty d’ajouter : « Cela fait partie du règlement. Nous devons ponctuellement nous soumettre à des tests et bilans de santé, afin de déterminer si nous ne développons pas des infections ou autres pathologies. Nous devons être en parfaite santé pour accomplir notre devoir. » A. Ramdheean rappelle qu’« il ne faut pas oublier que nous sommes très exposés. Il y a certainement la fumée, à laquelle nous sommes plus exposés que les autres personnes ». Mais, renchérit J. Chung Foo, « il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des gaz toxiques et autres substances émanant de divers produits qui prennent feu. Parfois, ce sont des produits très nocifs. On ne sait à quel point ils affectent notre organisme ».
Néanmoins, regrettent nos trois interlocuteurs : « Nous ne bénéficions d’aucun suivi psychologique. S’agissant des expériences traumatisantes que nous sommes souvent amenés à vivre, nous n’avons aucun débriefing permettant d’extérioriser ce que l’on a ressenti et emmagasiné. »
“Worst case scenario”
Ce qui amène ces trois responsables des services de pompiers à relever que « de manière générale, notre métier n’est pas suffisamment valorisé. Le gouvernement ne nous accorde pas suffisamment d’importance ; du moins, pas au même titre que les autres services essentiels. Ce qui explique que, d’une certaine manière, que peu de personnes s’y engagent ». Les trois hommes ajoutent que « nous devons reconnaître que, de tout temps, seul le défunt ministre James Burty David avait compris les enjeux qui nous concernent et accordait l’importance qu’il fallait au service des pompiers ».
De fait, le dernier exercice de recrutement dans ce secteur remonte à 2007…
Actuellement, à la caserne de Coromandel, ils sont une trentaine à y effectuer leur formation en vue de devenir soldats du feu… « Nous essuyons régulièrement les critiques du public, reconnaît D. Ayacouty. Nous pouvons comprendre. Mais ce que le public ignore, ce sont les conditions dans lesquelles nous travaillons ! Les équipements souvent vétustes et inefficaces… »
D. Ayacouty, J. Chung Foo et A. Ramdheean ne se voilent pas la face : « Peu de jeunes s’y engagent, cela ne représentant pas une perspective attirante. D’emblée, c’est un métier pour lequel il faut être très costaud, moralement et physiquement. On doit être toujours prêt à faire face au pire. »
De ce fait, estime D. Ayacouty : « Une manière d’appréhender ce métier, c’est d’envisager le “worst case scenario”. » Il élabore : « En ce qui me concerne, je dois me préparer à cela en permanence. Je dois m’attendre à ce que le stock d’huile et d’essence sur le port prenne feu et je dois constamment mettre en place des stratégies et les améliorer afin que si jamais une telle catastrophe arrivait à se produire, je puisse savoir comment m’y prendre. » Le Divisional Fire Officer et ses deux collègues complètent : « C’est à cela que les pompiers, quand ils ne sont pas appelés à la rescousse sur le terrain, s’attellent ! Les gens pensent peut-être que l’on reste à la caserne sans rien faire. C’est faux. Cela fait partie de notre Scheme of Duty, d’élaborer des stratégies théoriques, d’étudier les différentes façons d’appréhender et de circonscrire un feu dans des cas spécifiques. »

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