Squatteur : option préférentielle pour les pauvres et fait kreol !

OLIVIER PRÉCIEUX

- Publicité -

Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ;

j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ;

j’étais étranger, et vous m’avez recueilli (Matthieu 25 h 35)

Squatteur : mot qui résonne toujours depuis le confinement au sein des médias, dans nos échanges quotidiens et dans le silence de nos cœurs. La sagesse populaire veut que ce soit dans les problèmes qu’on reconnaisse les vrais amis. Du déracinement de leurs modestes maisons, les sans-logis ont découvert leurs vrais amis : l’Église et les Organisations non gouvernementales (ONG). Trois prêtres se sont distingués dans cette crise sociale : Jean-Claude Veder, Gérard Mongelard et Laurent Rivet. Leur liberté d’action a pu se faire grâce à la sagesse du Cardinal Piat qui donne à ses prêtres l’expression de leurs charismes respectifs. Mais la solidarité visible de ces prêtres aux côtés des sans-logis serait incompréhensible si cela n’était pas relié à la source profonde de l’Évangile du Christ et surtout de la Lettre pastorale de Monseigneur Piat de 2002, « Passer par la Porte de L’Option préférentielle pour les Pauvres ».

Cette lettre pastorale de 2002 découle d’une tradition de l’Église catholique qui est celle de l’écrit. Le Verbe a été au centre des discours des prélats de la curie romaine, et même de notre Église locale. Le Rerum Novarum du Pape Léon XIII donne le ton de la doctrine sociale de l’Église et inspire la Lettre pastorale de Carême 2002. Lequel document trouve sa racine aussi dans les cinq orientations du Synode diocésain (1997-2001). La troisième orientation du Synode est : « Rejoindre Jésus dans sa passion pour la cause des pauvres, en faisant notre tour l’option préférentielle pour les pauvres. »

« L’option préférentielle nous appelle à sortir de nous-mêmes, à rencontrer les pauvres, à entendre leur cri, à participer à leur lutte pour un développement plus humain, à prendre à cœur leur cause, qui est celle de la justice parce qu’elle est celle du respect de leurs droits humains fondamentaux (1) », mots lancés par le Cardinal Piat dans sa lettre pastorale de 2002. Dans le désastre des squatteurs, les Pères Véder, Mongelard et Rivet ont su sortir d’eux-mêmes pour aller à la rencontre des plus pauvres. Jean-Claude Veder a su par sa modernité interpeller les “Zom” et “Fam” de bonne volonté sur Facebook à aller vers les plus démunis. Quittant le virtuel, il a pu être sur le terrain pour aider les démunis. Le bouillant Gérard Mongelard, tel un Don Camillo, a été une voix forte, mais nécessaire des sans-voix à Curepipe. Ce dernier, après avoir constamment été aux côtés des Chagossiens dans leur combat, s’est trouvé naturellement aux côtés des squatteurs. Il a été accompagné dans ses démarches par le père Laurent Rivet. Lequel a su accorder la mélodie de l’amour du Christ avec la réalité des pauvres. Ces prêtres ont tout simplement été aux côtés des humains. Une incarnation réelle auprès des exclus sans discours pompeux. Être tout simplement là.

Le fait kreol. Il ne faut pas se voiler la face, la grosse majorité des squatteurs est issue de la communauté créole. Cet état de choses est le résultat d’un racisme systémique et d’une marginalisation des créoles depuis l’abolition de l’esclavage des sphères publiques et du système de l’État-Providence. Le rapport de la Commission Justice et Vérité a mis en lumière, avec des témoignages et documents, les causes profondes de cette exclusion.

Le Synode le dit clairement : si l’Église doit être « attentive aux cris particulièrement poignants de la communauté créole dans sa situation socio-économique actuelle », elle doit aussi « continuer à servir tous les pauvres », de quelque religion qu’ils soient (cf. Synode, No 70) (2). Cependant, comme le souligne la Dr Danielle Palmyre dans son livre, « Culture Créole et foi chrétienne », « lorsque l’affirmation identitaire, l’inculturation en monde créole ou l’ « option préférentielle pour les pauvres » sont débattues, les « élites » les interprètent souvent comme des menaces à l’unité de l’Église et avancent des définitions « boucliers » pour la protéger (3) ». Il faut se débarrasser des réflexes identitaires primaires au sein de notre Église et de notre société pour aborder le fait créole et la pauvreté dans sa vérité douloureuse, mais salvatrice. Une introspection nouvelle sans faux semblants et sans déni doit se faire pour pouvoir trouver des solutions de justice pour l’intégration des créoles qui sont touchés par la pauvreté au sein de l’Église et aussi dans notre République.

Cette intégration des créoles au sein de l’Église et de la société se passera aussi par une vraie dimension interculturelle. La Dr Palmyre le souligne si bien : « Pour beaucoup de Créoles, leur identité mauricienne est une évidence, parce qu’ils continuent à s’ouvrir aux influences multiples de toutes les composantes du peuple mauricien et parce qu’ils se reconnaissent enracinés dans la terre mauricienne sans arrière-pays (4) ». Et le Cardinal Piat de proposer une dimension additionnelle sur le rapport entre l’interculturel et la lutte contre la pauvreté : « L’option pour les pauvres prend sa source dans ce qu’il y a de plus noble, de plus gratuit, de plus profondément humain dans l’homme. C’est parce que nous sommes tous créés à l’image de Dieu que nous avons ainsi en nous comme une étincelle, un reflet de l’amour de Dieu pour les pauvres. C’est pour cette raison que la solidarité avec les pauvres peut réunir des hommes et des femmes de traditions si différentes dans un même élan (5) ». Mettre debout le pauvre se fera avec l’aide des autres religions.

Comme l’écrit si bien le Dr Jimmy Harmon dans son ouvrage, « L’Espérance Créole » paru en 2008, « espérer, au sens chrétien du terme, c’est toujours croire à l’impossible. C’est le refus de prendre le présent comme définitif. Quand l’espérance chrétienne rencontre l’espérance des créoles, elle donne la possibilité de préserver jusqu’à la fin ». L’espérance chrétienne surpasse la détresse temporaire pour atteindre les cimes d’un futur où les injustices seront abattues non pas par des bulldozers, mais bien l’amour fraternel. La fraternité réelle est la seule solution pour une République juste et égalitaire !

NOTES

1. Lettre pastorale 2002 – Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres, P. 8

2. Lettre pastorale 2002 – Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres, P. 33

3. Culture Créole et foi chrétienne, P. 214

4. Culture Créole et foi chrétienne, P. 214

5. Lettre pastorale 2002 – Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres, P. 31.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour