TELFAIR SAGA — Enquête sur le meurtre de Kaya Kistnen : Vinay Appanna « ti zwe kanet » avec l’ex-ministre Yogida Sawmynaden

  • L’homme d’affaires de La Louise soutient avoir rencontré Soopramanien Kistnen à deux reprises en juin 2020 pour un contrat dans le cadre de la construction d’abribus
  • Deepak Bonomally confronté à des pratiques douteuses, notamment d’« émettre une facture au nom de la compagnie pour paiement sans aucun travail effectué »

L’audition de Vinay Appanna, actionnaire et directeur notamment d’AV Techno World Co Ltd, qui avait décroché un contrat de Rs 77 M du ministère du Commerce pendant la crise sanitaire pour l’achat d’équipement médical, très attendue au tribunal de Moka, a confirmé les différents niveaux du Bid Rigging Network mis en place. Ce témoin devait jusqu’à l’heure faire part de sa bonne relation avec l’ancien ministre du Commerce du MSM, avec qui « nou ti pe zoue kanet ansam » au primaire, et le fait d’avoir rencontré Soopramanien Kistnen à deux reprises dans le cadre d’une affaire de construction d’abribus, qui n’a pas abouti. Deepak Bonomally, qui fait l’objet d’une enquête de police pour faux témoignage sous serment, a été confronté lors de l’audience d’hier à des pratiques douteuses, notamment du fait que des factures soient émises pour être payées sans avoir un travail à fournir ou encore sur des réunions pour décider qui décrochera quel contrat.
L’audition de Vinay Appanna bat son plein devant le tribunal de Moka. Si sa première audition, menée par le représentant de l’Office du Directeur des Poursuites publiques, Me Azam Neerooa, a permis d’établir qu’il était proche de Yogida Sawmynaden et qu’il connaissait Soopramanien Kistnen, en plus de son lien de parenté avec l’ex-General Manager de la State Trading Corporation, Jonathan Ramasamy, plus de détails sont attendus sur son implication dans les contrats fournis par la STC et le ministère du Commerce, avec déjà le besoin de rapporter des documents sur ses compagnies afin d’y voir plus clair.

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Au sujet de ses relations avec Soopramanien Kistnen, Vinay Appanna n’a eu qu’à confirmer qu’il le connaissait et l’avait rencontré à deux reprises en juin 2020. La première fois en présence de Deepak Bonomally, qui était son ex-employé, mais aussi consultant pour sa compagnie Rental Express. Il avance que sa rencontre avec le défunt s’était déroulée de manière inopinée, car il avait cru comprendre que Soopramanien Kistnen était intéressé par le projet de construction d’abribus. Il avait alors fixé rendez-vous à Soopramanien Kistnen et lui avait demandé de revenir avec des documents sur sa compagnie. Il explique que lorsque Soopramanien Kistnen est revenu au bureau, quelques jours plus tard, pour fournir tous ses documents, c’est Deepak Bonomally qui s’était chargé d’en prendre possession. Il dit ainsi en avoir parlé avec Deepak Bonomally, mais que le projet de construction d’abribus avec Soopramanien Kistnen « ne s’est finalement pas matérialisé ». Des propos qui ont permis à Me Neerooa de rebondir !

AN : Donc, vous êtes très méticuleux en ce qu’il s’agit de faire affaire avec des personnes lorsqu’il y a un contrat en jeu ?
VA : Oui.
AN : Mais quand vous avez décidé d’acheter du bois avec Neetee Selec, vous n’étiez pas vraiment méticuleux, n’est-ce pas ?
VA : Je l’ai été. J’ai reçu toutes les informations sur Neetee Selec par mon Service Provider, soit la compagnie d’Ashwin Poonyth.
AN : Est-ce que votre Service Provider est un expert en bois ?
VA : Non, mais je lui fais confiance.

Interrogé sur ce “deal” a Rs 2,1 M avec Neetee Selec pour l’achat de bois, Vinay Appanna expliquera ainsi que c’est Ashwin Poonyth qui lui avait recommandé cette compagnie. Il ajoute qu’il connaissait Neeta Nuckched. « Je l’ai reconnue en voyant sa photo dans les journaux. (…) Je connais Neeta, mais je ne la connaissais pas sous le surnom de Nuckched. » Et d’expliquer avoir vu des dépliants de la compagnie dans lesquels il était mentionné qu’elle était engagée dans la fourniture de bois.

Après quoi, dit-il, il aurait échangé des e-mails avec Neetee Selec pour confirmer la transaction d’importation de bois en vue de la construction de sa maison, près de Bagatelle. Toutefois, reprend-il, il n’a pas encore pris possession du bois, « car la construction a été mise en suspens ». Vinay Appanna devait également permettre d’établir le lien avec Jonathan Ramasamy, soit du fait que sa sœur, Reena Appanna Ramasamy, actionnaire dans certaines de ses compagnies, est l’épouse de l’ex-General Manager de la STC.

Concernant sa relation avec l’ancien ministre du Commerce Yogida Sawmynaden, Vinay Appanna devait confirmer le cotôyer depuis l’école primaire. « Nou ti pe zoue kanet ansam » à l’école Beau-Séjour. Puis ils se seraient revus au collège Saint-Esprit, sans compter qu’ils pratiquaient des activités communes, comme le jeu d’échecs.
Vinay Appanna a alors expliqué qu’après le collège, ce n’est que vers 2015-2016 que l’ancien ministre et lui se sont revus, en l’occurrence lors d’une rencontre des “Old Boys” du collège. Il a par ailleurs été appelé à fournir plus de détails sur ses compagnies par le biais de documents. De même, un Judge’s Order a été recommandé par Me Azam Neerooa afin d’obtenir de Mauritius Telecom les relevés téléphoniques d’un numéro de téléphone utilisé par Vinay Appanna.

Quant à sa relation avec Deepak Bonomally, Vinay Appanna a expliqué que ce dernier était employé dans certaines de ses compagnies depuis 2012 comme Marketing Manager. Et d’expliquer que Deepak Bonomally avait cessé de travailler pour lui depuis février 2020, mais continuait néanmoins d’agir en tant que consultant.

Salaire payé par erreur

Si Vinay Appanna et Deepak Bonomally se sont entendus pour dire que le second n’était plus employé du premier depuis février 2020, Me Mooroongapillay devait cependant confronter ce dernier au fait qu’il était toujours sur le Payroll de Rental Express de Vinay Appanna et avait continué de percevoir un salaire de Rs 60 000 en mars, avril et mai 2020. Deepak Bonomally devait alors répondre que ces mois de salaire « ont été payés par erreur », mais qu’il avait des “dealings” avec Vinay Appanna, qui lui devait encore de l’argent, ajoutant que ce dernier lui avait demandé de conserver l’argent reçu. Me Mooroongapillay devait alors lui lancer : « Ou ti enn pretnom pou M. Appanna, non ? ». Et Deepak Bonomally de répondre fermement par la négative.

Me Mooroongapillay lui a ensuite fait part du fait qu’il « décrochait des contrats avec la STC à Rs 300 millions, avec un paiement en anticipation, alors que Vinay Appanna n’a reçu uniquement que Rs 77 millions, alors que vous fournissez le même produit ». Et de poursuivre : « C’est parce que Jonathan Ramasamy est le beau-frère de Vinay Appanna, c’est ça ? » Et Deepak Bonomally d’avancer ne pas être en possibilité de répondre. Me Mooroongapillay a alors poursuivi : «  Soopramanien Kistnen était au courant de tout cela ? » Ce à quoi Deepak Bonomally répondra tout simplement : « Je ne sais pas. »

Deepak Bonomally a aussi été confronté à plusieurs noms gravitant autour de Yogida Sawmynaden et Vinay Appanna. À commencer par le dénommé Lalldev Mahadia, plus connu sous le nom de Roland, et qui serait « la main droite » d’Appanna. Ou encore un dénommé Balloo, directeur d’une compagnie de panneaux publicitaires, et qui avait obtenu le Work Access Permit (WAP) pour Neetee Selec, alors qu’il ne travaillait pas pour cette compagnie. Et plus encore, Archana Chummun, que « Yogida Sawmynaden ti dir ou transfer kass pou li ». Ce à quoi Deepak Bonomally a répondu par la négative.

Me Mooroongapillay devait alors lui lancer : « Il y a eu une rencontre à La Louise concernant les contrats que la STC donnait aux compagnies. Il y avait vous, Soopramanien Kistnen, Vinay Appanna, Yogida Sawmynaden, Bassoo (Bassoodeo Seetaram, NdlR) et Roland. Vous décidiez de qui allait recevoir quel contrat… »
Deepak Bonomally répondra juste : « C’est faux ! »
Me Mooroongapillay au témoin : « Si le DPP vous accorde la protection, vous direz la vérité ? »
Deepak Bonomally : « Je dis déjà la vérité ! »

De son côté, Me Roshi Bhadain devait au départ confirmer que Bo Digital Co Ltd possédait un compte bancaire à la MCB, mais aussi à la Bank of Baroda, tout comme Neetee Selec. De même qu’un transfert de Rs 38 M de Bo Digital à AV Techno World, dont Deepak Bonomally a indiqué que cela concernait une transaction. Me Bhadain devait alors revenir sur les Rs 225 000 que Deepak Bonomally avait payées au défunt pour la construction de marchepieds et de plaques en béton pour abribus et ce, dans le cadre d’un contrat octroyé par le CEB (travaux que Soopramanien Kistnen n’a jamais entrepris), ajoutant que « pour tout cela, c’est Appanna qui vous a dit de payer Soopramanien Kistnen, tout comme les Rs 600 000 à Neetee Selec pour l’achat de conteneurs ».

Et de poursuivre : « N’est-il pas vrai de dire que vous êtes un employé d’Appanna, que vous faites tout ce qu’il vous dit de faire, comme des paiements quand Yogida Sawmynaden demande de faire des paiements ? Que vous exécutez les instructions ? »
Deepak Bonomally : « Non. Je ne suis pas un exécutant. J’ai mes responsabilités. »

Me Bhadain est également revenu sur le mystérieux “Ravi”, qui aurait rencontré le défunt dans un 4×4 blanc le 15 octobre, soit la veille de sa disparition, pour lui demander de sortir une facture au nom de sa compagnie, Rainbow Construction Ltd, faisant état alors d’une pratique de « tir faktir pou fer paiman alor ki oken travay pa fer ». Et Deepak Bonomally de dire qu’il n’est « pas au courant de telles pratiques ».


Recadrages en série

Nouvelle audience, nouvelles déclarations qui ont requis l’intervention de la magistrate siégeant au tribunal de Moka, Vidya Mungroo-Jugurnath. À commencer par Me Ganessen Mooneesawmy, Watching Brief de Deepak Bonomally, qui a rappelé encore une fois que son client ne peut répondre à des questions tentant à empiéter sur l’enquête de l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) au sujet de son client. Se permettant alors de lancer que si la charge provisoire est retirée, son client pourra alors répondre « à toutes les questions ». La magistrate a alors mis les points sur les i en lançant à l’avocat : « Are you hearing what you are saying ? » Puis d’expliquer que son client ne bénéficie d’aucune « blanket protection for some questions not to be asked ».
Puis, au début de l’audition de Me Sailesh Seebaruth, ce fut au tour de ce dernier de vouloir mettre les points sur les i, en rappelant la responsabilité première de l’enquête judiciaire, soit que des questions sont posées à son client sur les circonstances entourant la cause du décès de Soopramanien Kistnen et de veiller que ses droits  constitutionnels soient respectés.
La magistrate devait lui faire part du fait qu’une enquête judiciaire « n’est pas un procès » et que ses droits n’ont pas le même effet. Elle a toutefois dit prendre note de ces remarques et s’assurer que les questions posées soient pertinentes et ne s’aventurent pas « in areas in connection with the criminal case ».

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