-Le représentant du DPP haussant le ton : « He is casting aspersion on my integrity ! »
-L’ex-ministre du Commerce continue de jeter le blâme sur son frère Khoumada comme étant celui qui menaçait Kistnen malgré des extraits de messages attestant le contraire
L’ex-ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, s’est encore une fois montré peu loquace face aux questions posées par le représentant du Directeur des Poursuites publiques, Me Azam Neerooa, avec des approximations et des oublis. C’était lors de son audition, hier devant le tribunal de Moka au sujet de l’allocation de contrats à Soopramanien Kistnen et à des proches, dont des contrats sous l’Emergency Procurement, alors qu’il était ministre du Commerce ou encore membre du High Level Committee on COVID l’année dernière. Un comportement de l’ex-ministre qui a fini par provoquer la colère de Me Neerooa alors qu’il ne faisait que le confronter à des messages entre Kistnen et Khoumada Sawmynaden, que ce dernier a fait parvenir au tribunal pour les besoins de l’enquête judiciaire. Une tension qui s’est fait ressentir lorsque Yogida Sawmynaden a fait la remarque que le Senior Assistant DPP « défend Khoumada Sawmynaden ».
Me Neerooa a voulu confronter Yogida Sawmynaden à des approximations. Le représentant du DPP s’appuyait sur des documents à sa disposition, dont les déclarations de Yogida Sawmynaden à la Major Crime Investigation Team (MCIT) pour les besoins de l’enquête de police pour réclamer des éclaircissements. Yogida Sawmynaden n’était pas en mesure de répondre sur la période où son bureau a été transféré de Port-Louis à Ebène. Ou encore, sur la période où il continuait d’informer des proches du travail qu’effectuait Kistnen par le biais de sa compagnie afin qu’il puisse être embauché, malgré des reproches de certains qu’ils avaient eu des différends avec Kistnen sur son travail.
Le représentant du DPP voulait démontrer que, malgré certaines remarques vers juin-juillet 2020, cela n’avait pas empêché Yogida Sawmynaden de recommander Kaya Kistnen à Vinay Appanna, qu’il avait rencontré début juin 2020. Yogida Sawmynaden de répondre : « Si vous le dites. Je maintiens toutefois que je ne l’ai jamais recommandé à Vinay Appanna, j’informais uniquement. Kaya Kistnen m’appelait tout le temps après avoir envoyé sa cotation pour me demander si je peux toucher un mot en sa faveur. Je lui disais d’aller de l’avant. »
Me Neerooa (AN) : Mais il n’y avait pas eu de cotation dans le cas de M. Appanna. M. Bonomally a engagé Kistnen pour la construction de fondations pour des containers pour un contrat de plus de Rs 200 000, n’est-ce pas ?
Sawmynaden (YS) : Je ne suis pas au courant.
AN : Vous avez été informé lors de l’audience (d’hier) que Kistnen, par le biais de sa compagnie Final Cleaning Ltd, avait fait une offre pour le contrat de nettoyage qu’offrait la STC. Kistnen vous avait-il informé de cela ?
YS : Quand c’est un individu, Kistnen sait que je ferais le nécessaire, mais quand c’est une institution, il sait bien que c’est l’offre la plus basse qui l’emporte. Cela fait plus de six ans que nous nous connaissons, il sait qu’il ne doit pas m’appeler pour toucher un mot pour ces types de contrat, car il sait que je ne vais pas m’ingérer.
AN : Malgré le fait que vous soyez ministre ?
YS : Oui, lui-même me disait de ne rien faire qui me causera des problèmes.
Me Azam Neerooa devait par la suite confronter le colistier du Premier ministre, Pravind Jugnauth, du fait qu’il était membre du High-Level Committee on COVID en 2020 et que sous l’Emergency Procurement, Bo Digital Co. Ltd. de Bonomally et AV Techno World d’Appanna avaient décroché des contrats pour l’achat d’équipements médicaux.
Yogida Sawmynaden devait dans un premier temps soutenir qu’il ne souhaitait pas répondre à cette question, car ce sujet fait l’objet d’enquête à l’Independent Commission Against Corruption (ICAC). Après avoir avoué à la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath qu’il n’a pas encore été interrogé par l’ICAC à ce sujet, la magistrate lui a demandé de répondre aux questions dans les paramètres autorisés. Et Yogida Sawmynaden de répondre à Me Neerooa alors : « Beaucoup de compagnies ont obtenu des contrats, je ne peux savoir spécifiquement qui elles sont. »
AN : Étiez-vous au courant que Bo Digital Co Ltd avait obtenu des contrats de plus de Rs 300 millions ?
YS : Je suis au courant des contrats à Bo Digital Co Ltd mais je ne sais combien et quel montant.
Yogida Sawmynaden a aussi dû clarifier la période où Kaya Kistnen avait décroché un contrat avec Clear Ocean Hotel and Resort, dirigée par Rocky Boodhoo, qui lui-même avait déjà rencontré l’ex-ministre à son bureau pour discuter de son projet hôtelier alors qu’il était ministre des Sports. Il a expliqué qu’il avait dit à Rocky Boodhoo de s’adresser au ministère concerné et aussi qu’il n’a jamais recommandé Kistnen à Rocky Boodhoo pour un travail. « J’ai juste informé Kistnen qu’un appel d’offres allait être rendu public et que cela l’intéresserait sans doute de soumettre une cotation. Il a décroché le contrat sans doute parce qu’il a fait la meilleure offre à la satisfaction du consultant », déclare-t-il.
La magistrate s’en mêle aussi pour réclamer plus de clarifications.
Vidya Mungroo Jugurnath (VMJ) : Vous dites vous-même que Kistnen était proche de vous, honnête avec vous. Il ne vous a pas dit qu’il a décroché le contrat ?
YS : Il ne me le disait pas.
VMJ : Il ne vous confiait pas qu’il avait obtenu le contrat malgré sa situation financière difficile ?
YS : Non. Il se confiait à moi uniquement lorsqu’il n’obtenait pas le contrat pour que je touche un mot. Aussi, il ne me disait pas tout, comme le fait que Pooveden Subbaroyan était son partenaire sur ce projet.
Et à Me Neerooa de demander par la suite à Yogida Sawmynaden la raison pour laquelle l’adresse officielle de la compagnie Rainbow Construction est enregistrée à rue Mère Barthélemy, Port-Louis, où se situe un bâtiment dont l’ex-ministre est le propriétaire. Yogida Sawmynaden de répondre : « Je ne suis pas au courant de cela. » D’ajouter toutefois qu’il s’est rendu compte que Simla Kistnen utilise toujours cette adresse à Port-Louis sur sa carte BRN (Business Registration Number), qu’elle a utilisée pour s’enregistrer sous le Self-Employed Assistance Scheme.
Yogida Sawmynaden devait aussi ajouter que Simla Kistnen avait contracté un bail avec lui pour la location du rez-de-chaussée de son bâtiment, à Port-Louis, pour ouvrir un snack, mais que le bail n’a pas été renouvelé après un an, car Kaya Kistnen l’aurait informé qu’elle ne souhaitait pas y travailler. Le loyer était de Rs 15 000 mensuellement, avec une ardoise de Rs 180 000 à ce jour. Il devait toutefois insister qu’il n’était pas au courant que la compagnie de Kistnen, Rainbow Construction Ltd, avait comme adresse officielle cet immeuble à Port-Louis.
La question de la discorde
Me Neerooa est revenu sur les témoignages de Parsuramen Arian et Khoumada Sawmynaden, notamment au sujet de l’intention de Kaya Kistnen de porter plainte contre Yogida Sawmynaden à l’ICAC. Au sujet du montant de Rs 50 000 que Yogida Sawmynaden avait transmis à Kaya Kistnen, tout près d’un arrêt d’autobus à Bagatelle, Me Neerooa a présenté des extraits de messages entre Khoumada Sawmynaden et Kistnen, à ce sujet.
Yogida Sawmynaden s’est contenté d’avancer : « Kistnen me disait que Khoumada le menaçait en disant qu’il allait kidnapper son garçon ou lui faire porter le chapeau en plaçant de la drogue sur lui. » Me Neerooa lui a demandé d’interpréter un message de Khoumada à Kistnen le 16 octobre 2020, jour de sa disparition : « Inn ariv 11h45. To pou res atann mem. Al get Roshi, dir li ki finn ariv twa, dir li al asiste twa pou al denons li l’ICAC. »
Il a voulu savoir de Yogida Sawmynaden si ce message démontrait une menace ou un conseil. C’est là que Yogida Sawmynaden a répondu : « You are defending Khoumada Sawmynaden ! » À bout, Me Neerooa s’est mis à hausser la voix. Yogida Sawmynaden s’est même permis de lui demander de ne pas crier.
Exaspéré, Me Neerooa devait alors se tourner vers la magistrate pour déclarer : « He is casting aspersion on my reputation and integrity when he said I am defending someone. I will raise my voice now. I cannot tolerate this. » La magistrate devait alors demander à Yogida Sawmynaden de s’abstenir de faire de telles remarques au représentant du DPP et de répondre uniquement aux questions. Yogida Sawmynaden s’est alors adressé à la cour pour s’excuser, ajoutant qu’il regrette que ses propos aient pu l’offenser.
À la reprise de l’audition, Yogida Sawmynaden a soutenu que les messages de Khoumada demeuraient des menaces envers Kistnen. Il a aussi démenti le fait que Vinay Appanna était actif à ses côtés de la dernière campagne électorale ou encore qu’il avait utilisé une combine en disant à Kistnen de faire une offre trop forte pour un contrat de nettoyage afin que Vinay Appanna puisse décrocher le contrat et que lui soit engagé comme sous-contracteur.
Par ailleurs, Yogida Sawmynaden a soutenu qu’il ne connaissait aucun Ravi dans son entourage, encore moins ceux interrogés par la MCIT, dont un conseiller municipal du MSM à la mairie de Beau-Bassin/Rose-Hill.
L’audition de Yogida Sawmynaden au tribunal de Moka dans l’enquête sur le meurtre de Kaya Kistnen en octobre dernier a été ajournée à demain.
Séance houleuse
Mis à part la colère de Me Azam Neerooa, la séance fut aussi marquée par l’interaction tendue entre Me Narghis Bundhun, SC, avocate de Yogida Sawmynaden, et Me Rama Valayden. Ce dernier était assis du côté de l’assistance. Après un commentaire qui venait du public, Me Bundhun a bondi pour en faire part à la magistrate, pointant du doigt Me Rama Valayden comme l’auteur de ce commentaire. Me Valayden devait alors assurer qu’il n’en était pas l’auteur et s’est demandé si ce n’était pas une tentative de le faire expulser du tribunal. La magistrate a assuré à Me Bundhun qu’elle veillera au grain si jamais un commentaire non-approprié est entendu, avançant dans ce cas qu’elle a aussi entendu la remarque mais qu’elle n’a pu déceler qui l’a faite. Ce qui a créé ces discussions, le fait qu’un membre du public ait dit « carré » après que Yogida Sawmynaden a expliqué lors de son audition qu’il n’avait pas de « cercle d’amis ».