TERRES | Expropriation : Les travaux pour la restitution butent sur la prescription de 30 ans

– L’article 2262 du Code civil mauricien demeure un obstacle, en dépit d’une nouvelle Acquisitive Prescription Act en 2018

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Les travaux en vue d’aider les victimes d’expropriation à retrouver leurs terres ont démarré avec la mise sur pied de la Land Division de la Cour suprême. C’est la Land Research and Monitoring Unit du ministère des Terres qui enquête et prépare les dossiers, avant de les référer à la cour. Toutefois, ceux qui ont été appelés jusqu’ici se disent très découragés, car ils ont appris que l’article 2262 du Code civil mauricien (CCM) sur la prescription de 30 ans demeure un obstacle. Cela, en dépit du fait qu’il y a une nouvelle loi sur la prescription depuis 2018. Car cet article mentionne, entre autres, que si quelqu’un a recours à la prescription sous un délai de 30 ans, « on ne peut lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. » En d’autres mots, la mauvaise foi du possesseur ne le pénalise aucunement.

« We want to see justice restored in the cases of dispossession of land, highlighted before the Truth and Justice Commission. To this end, I am pleased to announce that a Land Research and Monitoring Unit and a Special Fund will be set up under the Ministry of Housing and Lands. An amount of Rs 50 million has been earmarked for that Fund. » C’est en ces termes que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, également ministre des Finances à l’époque, annonçait la création d’une Land Research and Monitoring Unit (LRMU) dans le budget 2019-2020. Cette unité a recruté récemment des avoués et arpenteurs du privé pour travailler sur les différents cas, particulièrement avec la création d’une Land Division à la Cour suprême, comme le recommandent la Commission Justice et Vérité et la Law Reform Commission.

Cependant, ceux qui ont été appelés à ce jour, se disent déçus car ils ont l’impression de retourner à la case départ. « On nous a dit qu’avec l’article 2262 du Code civil mauricien, nous risquons de perdre tous les cas. La loi devra être amendée en urgence ; autrement, tous les efforts consentis jusqu’ici, y compris par le gouvernement, tomberont à l’eau », disent ces plaignants qui espéraient voir le bout du tunnel avec la mise sur pied de la Land Division de la Cour suprême. En outre, concernant les dispositions sur la prescription acquisitive, l’article 2261 du CCM mentionne : « Le délai de prescription acquisitive est de trente ans, s’il n’en est autrement fixé par la loi. » Et l’article 2262 précise : « Celui qui allègue la prescription trentenaire n’est pas obligé d’en rapporter un titre. On ne peut lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Autrement dit, il sera très difficile pour les victimes – même si pour beaucoup, la Commission Justice et Vérité a déjà démontré dans son rapport que leurs terrains sont occupés illégalement –, de se battre en cour. Car la loi elle-même mentionne que le possesseur « ne peut être pénalisé pour mauvaise foi. » De plus, les plaignants se disent également découragés d’avoir appris qu’ils devront faire de nouveaux papiers, à leurs frais, alors que des dossiers complets ont déjà été soumis. « Où trouver de l’argent pour cela, alors qu’on a dépensé beaucoup d’argent ? Sans compter que certaines victimes n’ont pas les moyens. D’autres voulaient simplement une médiation, mais ce n’est pas possible. De plus, à quoi serviront les Rs 50 M que le gouvernement a votées ? », se demandent-ils.

Pourtant, parmi ces plaignants, il y a des cas qui sont passés par la Commission Justice et Vérité, qui a déjà donné des rapports encourageants. C’est le cas d’Emmanuel Babylone, qui se démène depuis des années pour retrouver les terrains de ses ancêtres, la famille Vally, à Albion. Selon le plan qu’il a présenté, deux portions de terrain, dont un en triangle, se trouvant à Albion, appartiennent à sa famille. Toutefois, ceux-ci ont été inclus dans un rapport d’arpentage de la sucrerie Médine. Cette affaire a été portée devant la Commission Justice et Vérité. Toutefois, la compagnie réfute et affirme en être le propriétaire (voir encadré).

En dépit de tous les documents légaux que détient Emmanuel Babylone, la situation s’annonce compliquée pour sa famille. « Un avoué de la LRMU m’a dit que si Médine détient le titre de propriété, cela ne va pas être facile de faire un Case. » Selon les documents disponibles, la compagnie sucrière aurait acheté ces terrains en 1949. De qui ? D’un certain Ange Balou. Le rapport de la Commission Justice et Vérité mentionne un Survey Report, réalisé par feu Maurice Dumazel, le 30 mars 1948, mentionnant un terrain de cinq arpents 36, en forme triangulaire et appartenant à « Monsieur Ange Balou par occupation. » Mention est aussi faite d’un « adjoining plot of 9 Arpents 49 marked at one corner as “ancient cimetière Vally” ». Par la suite, en octobre 1989, le terrain a été vendu par Ange Balou à la propriété sucrière de Médine pour Rs 300 000. L’acte notarié a été rédigé par Jean Jacques Montocchio.

Se basant sur ces faits et les documents produits, la Commission Justice et Vérité a été catégorique : ce terrain appartient à Clémentine Bretonage, épouse de François Vally. Et de préciser dans le rapport : « Neither Ange Balou, nor Médine Sugar Estate has a clear title to the said portion. » La famille d’Emmanuel Babylone a également produit devant la Commission des coupures de journaux montrant que le terrain abrite également les tombes de François Vally et de Joseph Favre, entre autres. En dépit de tout cela, le dossier Babylone n’avance pas. Le plaignant s’est également entendu dire qu’il devra entreprendre des démarches, à ses frais, pour produire d’autres papiers légaux.

Les victimes d’expropriation des terres lancent ainsi un appel au Premier ministre, Pravind Jugnauth, pour qu’il s’intéresse personnellement à ce dossier, afin de faire bouger les choses. « La volonté politique est là. À l’Assemblée, on a vu l’Attorney General, Maneesh Gobin, parler avec son cœur mais malheureusement, ça bloque, on n’avance pas. »

Troublantes coïncidences

Des circonstances troublantes et préoccupantes se sont produites dans le cas d’Emmanuel Babylone et qui invite à réfléchir. Le plaignant avait été convoqué par la LRMU le 13 novembre. Or, la veille, soit le 12 novembre, il a reçu une lettre de la propriété sucrière de Médine, en réponse à une requête qu’il avait faite en… 2017. Drôle de coïncidence qu’un plaignant reçoive une réponse trois ans après et à la veille même où il doit se présenter devant la LRMU. Certains se demandent ainsi s’il y aurait une taupe à cette unité placée sous le ministère des Terres !

Pour revenir à la lettre, signée Patrick Boullé, General Manager de Médine, elle répond à celle d’Emmanuel Babylone, datée du 19 juillet 2017, dans laquelle il revendique la propriété du terrain Vally. Il est ainsi indiqué : « After careful analysis of information available, Médine is the lawful owner. »

Emmanuel Babylone ne baisse pas les bras pour autant. Il souhaite que les dispositions prises par le gouvernement puissent l’aider à avancer sur ce dossier.

Clency Harmon réclame le départ de Ricardo Ramiah

Clency Harmon, une des victimes d’expropriation des terres, a écrit officiellement au ministre Steven Obeegadoo, pour réclamer le départ de l’arpenteur Ricardo Ramiah. Ce dernier a été recruté, en même temps que d’autres arpenteurs et avoués, pour travailler à la LRMU. Il précise dans sa lettre que ce dernier serait « en conflit d’intérêts » car il a « rédigé par le passé, des rapports d’arpentage pour les propriétés sucrières. » Par la même occasion, Clency Harmon demande au Premier ministre de publier le rapport de la Commission Justice et Vérité dans son intégralité.

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