Tout sourire, l’espace d’un exploit, Gagarine

FRANCK HATTENBERGER

« Je vois les nuages, le site d’atterrissage… C’est magnifique ! Quelle beauté ! » Si les paroles ne sont pas passées à la postérité, leur auteur est désormais une icône au parfum d’éternité. Il demeure pour l’humanité, le premier à s’être affranchi de la gravité… Là-haut, dans le vide sidéral, sans bruit, sans air et sans vie, Youri Gagarine a projeté notre espèce sur les pistes de l’infini.

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Les duellistes du cosmos

Dès les années 50, l’espace est le nouveau terrain de conquête des humains. États-Unis et URSS s’y disputent les exploits, estimant que la supériorité technologique servira leur assise idéologique. Au-delà d’un simple prestige, celui qui enfourchera le destrier de la victoire, pourra s’auréoler des lauriers de la maîtrise et du savoir. La Guerre Froide est alors à son apogée. Après avoir successivement satellisé Laïka en 1957 et réussi le premier alunissage d’un objet automatisé en 1959, l’Union Soviétique entend continuer d’afficher au monde sa suprématie scientifique. L’objectif suivant est d’offrir à l’un de ses citoyens la primauté d’un vol orbital.

Fin 1960, le renseignement soviétique apprend que les Yankees ont programmé un vol habité pour le mois de mai suivant.  L’urgence n’est plus de briller sur un piédestal, mais de devancer l’Ouest dans la course aux étoiles. Malgré ses succès, la fusée Vostok manque de fiabilité. Toutefois, on préfère le risque d’un échec et la perte de l’un des siens, à celle de ce duel qui oppose la patrie socialiste à l’omnipotence des Américains.

Ultimes réglages

Parmi les 3000 candidats, on sélectionne un jeune pilote de chasse, apprécié pour sa modestie, son haut potentiel intellectuel et la pureté de son idéologie. Au matin du 12 avril 1961, Youri Gagarine s’apprête à décoller du cosmodrome de Baïkonour, avec un calme olympien. Sergueï Korolev, le patron du programme spatial, est inquiet. Il sait que le troisième étage du lanceur Vostok est la clef de voûte de cette mission, il n’est fiable qu’à 50%. En dépit des calculs des génies de l’astronautique, l’incertitude est totale en matière de précisions géographiques. On ignore où reviendra Vostok, si Vostok revient …

C’est ainsi que le KGB propose de doter la capsule d’un mécanisme d’autodestruction, pour éviter que la technologie ne tombe entre les mains d’une puissance ennemie. Idée rejetée à l’unanimité. On équipe Youri d’un revolver pour se défendre des bêtes sauvages et on orne le casque du CCCP peu de temps avant le décollage. Ce qui est supposé l’épargner d’être pris pour un espion, s’il atterrit dans les contrées reculées de l’Union.

Un vol pour l’éternité

À 9 h 07 Vostok s’arrache sans encombre des steppes du Kazakhstan et effectue une seule orbite autour de la Terre, faisant de son passager le premier homme d’une nouvelle ère. L’agence TASS attend 55 minutes, avant de révéler l’exploit tous azimuts. À son retour, Youri est accueilli par des paysans, loin des officiels qui l’attendaient au Kazakhstan. Deux jours plus tard, une gigantesque parade est organisée à Moscou, en présence de Nikita Khrouchtchev, qui fait du jeune pionnier son ambassadeur de la paix.

Youri Gagarine, fils de kolkhoziens et ayant subi enfant les affres de l’occupation nazie, incarne dès lors la toute-puissance de l’Homo sovieticus, libéré d’une longue aphasie. Exploité par la propagande, il est envoyé à travers le monde, rencontrer les plus grands et raconter son périple, ou du moins ce qu’il est autorisé à en divulguer. Il supporte mal cette popularité soudaine, en contradiction avec sa timidité naturelle.

Le ciel pour demeure

Un temps interdit de vol, Gagarine reprend l’entraînement, éteint et taciturne, mais n’ayant jamais oublié le souhait de Korolev de le voir un jour marcher sur la Lune. Le 27 mars 1968, il prend place sur un Mig-15 pour un vol de routine. On retrouvera les débris de son appareil et sa dépouille dans une forêt enneigée, éparpillés autour d’un cratère de huit mètres, indiquant que le jet a percuté le sol à pleine vitesse. Deux jours plus tard, son épouse recevra la lettre d’adieu écrite sept ans plus tôt, au cas où sa mission tournerait au fiasco. Les enquêtes, y compris celles menées après la déclassification des archives en 1991, ont toutes conclu à la thèse d’un accident.

60 ans après son exploit retentissant, il reste de Gagarine des images et un sourire, celui de cet enfant qui rêvait de voler et qui toucha le firmament.

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