Trump ou le triomphe de la défaite

UMAR TIMOL

Tout a été dit sur Trump. Des milliers, peut-être des millions, de pages ont été écrites à propos de ses travers, de ses excès. On l’a dénoncé, critiqué, conspué. Chomsky, le grand intellectuel américain, connu pour ses propos sobres, avance pour sa part que Trump est « le pire criminel dans l’histoire humaine ».

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Et cela dure depuis plus de quatre ans, un flot ininterrompu de mots, d’images qui ressassent sans cesse un mantra, la démesure de ce personnage.

On s’attendait donc à ce que l’électorat américain, lors de l’élection présidentielle, procède à la répudiation de Trump, qu’il le jette dans les poubelles de l’histoire, qu’il en fasse une anomalie historique. Après tout, les États-Unis se vantent d’être le pays du rêve, le fameux American Dream, un pays exceptionnel, hors normes, un modèle pour le monde. Mais plus de 50% de l’électorat a choisi de voter ouvertement pour lui, de le plébisciter. On pouvait, il y a quatre ans de cela, lorsque Trump a été élu, parler d’ignorance ou de naïveté mais cette fois-ci l’électorat a toutes les données en main; il sait tout de son parcours durant ces dernières années et cela ne l’empêche pas de lui accorder son soutien.

Le choix qu’un électeur effectue est loin d’être un phénomène simple. On évitera donc de caricaturer l’électorat Trump. Il y a de nombreuses études qui montrent que le vote Trump s’explique, entre autres, par le ressentiment du prolétariat, la manipulation médiatique ou encore l’échec du parti démocrate. Ce dernier, un parti dit de gauche, a une politique de droite; Obama, par exemple, n’a pas fait grand-chose pour les pauvres, l’électorat traditionnel démocrate. D’où le basculement vers la droite. Il faut, à ce sujet, lire Strangers in their own land, un livre lumineux de la sociologue américaine, Arlie Russell Hochschild. Elle a vécu, pendant un temps, avec les ‘redneck’, les inconditionnels de Trump, et elle dévoile, hors des raccourcis de l’esprit ou des stéréotypes, que leurs motivations sont complexes. Ainsi, la Identity Politics pèse lourd dans leurs décisions. Ils ne sont certainement pas des idiots ou des imbéciles, comme on semble le croire. Mais il est clair, en même temps, que le vote Trump est un choix conscient, ils votent pour Trump parce qu’il représente ce qu’ils sont, parce qu’il exprime le fond de leur pensée, ainsi son machisme, sa glorification de l’argent séduisent et fascinent, il incarne et réalise les rêves et les fantasmes de son électorat. Hochschild parle dans son livre de cette symbiose parfaite, entre Trump et sa base, qui s’opère lors de ces fameux meetings. Ils dégagent une énergie quasi religieuse.

La victoire de Biden est, pour reprendre les propos de l’éditorialiste de CNN, Van Jones, une victoire politique mais constitue une défaite morale. Elle sert à mettre en lumière le caractère illusoire du rêve américain, derrière les belles images hollywoodiennes, le destin manifeste, l’exceptionnalisme, la réussite, il y a la primauté du racisme, le règne de la suprématie blanche, les inégalités croissantes, l’impérialisme, l’économie de la guerre, un pays qui ne parvient pas à se débarrasser des chaînes de l’histoire, chaînes qui surgissent désormais avec d’autant plus de violence. On ne doit, cependant, tout ramener à Trump et à son électorat, par certains aspects, les États-Unis sont cette figure mi-ange, mi-démon, capables souvent du pire, l’histoire nous en donne de nombreux exemples, mais aussi capables du meilleur. Ainsi quand on vit là-bas on ressent souvent une invraisemblable énergie du dépassement. Ceci dit, le rêve américain n’a probablement jamais existé, c’est un mythe, mais il est encore possible de l’inventer. Des politiciens comme Ocasio-Cortez, Ilhan Omar ou l’activiste Linda Sarsour sont probablement les architectes de ce rêve à construire.

Le triomphe de Trump, et triomphe est le mot qui convient, va au-delà de sa personne. Il personnifie un mouvement de droitisation du monde, il est à la tête d’un collectif de potentats. Ils ont en commun un certain nombre de caractéristiques, parmi, des tendances fascistes, un nationalisme exacerbé, une doctrine hyper-capitaliste, l’instauration de régimes sécuritaires, la répression des droits de l’homme, les attaques contre la liberté de la presse. Et le comble de l’ironie c’est qu’ils ont le soutien de franges importantes de la population et arrivent, dans certains cas, à se faire élire facilement.

Son triomphe confronte tous ceux, intellectuels, activistes, mouvements réformateurs, partis de gauche, qui œuvrent pour une société différente, à plusieurs questions : quel cheminement vers une alternative politique quand on sait que les opprimés, ceux qui ont le plus à perdre, soutiennent éperdument ceux qui les oppriment ? Est-ce que tous les discours, tous les rêves, utopiques ou pas, toutes les manifestations, toutes les revendications ne butent pas finalement sur cette dure réalité, que l’idéalisme est le fait d’une minorité, qu’ils sont nombreux, pour des raisons complexes, à s’accommoder de fascistes, de dictateurs, de corrompus ? Quelle stratégie inventer quand on sait que l’axe du monde penche inéluctablement vers la droite, sinon l’extrême-droite ?

Trump a ouvert un gouffre dans le champ humain. Un gouffre engorgé d’obscurité qui met à nu ce qui se trame dans le cœur des êtres. Le spectacle n’est guère réjouissant. Il est même désespérant. Mais il nous contraint à la lucidité.

Il s’agit maintenant de savoir ce qu’on fera du gouffre. Le creuser ou tenter de le combler.

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