Le défi de la gratuité

Des habitants de Chemin-Grenier sont descendus dans la rue à la veille de 2019 pour protester contre la pénurie d’eau qui a frappé leur région. C’est le genre de spectacle que l’on croyait ne plus voir. D’autant qu’une des promesses de campagne de Lalians Lepep en 2014 était une fourniture d’eau 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. On est encore très loin du compte, quatre ans après.

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Malgré le coûteux barrage de Bagatelle qui totalisera les Rs 7 milliards contre les Rs 3 milliards prévus et qui était censé soulager les zones les plus sinistrées en terme de distribution d’eau, les progrès restent modestes. Le barrage ne peut encore être utilisé parce que la station de traitement n’est pas prête. C’est un peu comme aménager des conduits d’eau et de ne pas installer le robinet qui permet d’y accéder.

S’il y a une promesse de campagne non tenue ici, il y a quand même une compensation ailleurs. Les étudiants au tertiaire ne paieront plus rien à partir de ce mois. Le bribe, puisque c’est bien de cela qu’ils s’agit, est venu avec un peu d’avance. Bien avant les traditionnelles promesses de campagne électorale. Et il est peut-être le début d’une longue série de cadeaux que le gouvernement entend faire à l’électorat en vue d’obtenir ces votes qui lui permettront de faire bonne figure au prochain scrutin qui pourrait se dérouler plus tôt que prévu.

Pourquoi pas après un budget plus “la bouche doux” que jamais et après un verdict favorable du Privy Council? Pravind Jugnauth s’empressant de faire oublier qu’il a accédé au poste de Premier ministre par “l’imposte” et ainsi tentant de légitimer une fonction qu’il a héritée de son papa. Il faudra néanmoins un jour poser la question de savoir ce qu’un gouvernement est autorisé à faire en période pré-électorale. L’ultime interrogation devant être la suivante: peut-on utiliser l’argent des contribuables pour acheter des votes et essayer d’acquérir l’adhésion des électeurs?

Avec la mesure annoncée par le Pm dans son allocution du début d’année, c’est le cycle tout entier de l’éducation qui devient accessible au plus grand nombre après la gratuité du primaire et celle du secondaire introduite en 1977 et annoncée par Sir Seewoosagur Ramgoolam lors de la campagne électorale  de 1976. Un bribe électoral qui n’avait pas suffi pour endiguer la lente mais sûre débâcle du régime travailliste.

Si la gratuité sera sans aucun doute d’un avantage certain pour les familles les plus modestes, il n’en demeure pas moins que le contenu sera le véritable enjeu de cette mesure. La démocratisation ne devrait pas être, comme on a pu malheureusement le constater ailleurs, synonyme de “médiocratisation” accélérée, la quantité supplantant la qualité.

Nous avons été témoins, ces dernières années, celles de Rajesh Jeetah surtout, d’un véritable scandale au niveau du tertiaire avec un business d’universités les unes plus fantaisistes que les autres. Dont avaient été victimes de nombreux enfants de familles modestes. Leurs permis avaient dû être annulés par la Tertiary Education Commission.

Lorsqu’on sait que le régulateur lui-même est souvent secoué par des scandales au point de devoir instituer des Fact Finding Committees sur les conditions dans lesquelles certains opérateurs ont obtenu leur licence, il y a urgence à réformer et à améliorer le système avant de le rendre accessible à tous. C’est le grand défi de la gratuité.

L’école publique attire de moins en moins parce que la recherche de l’excellence n’y est pas. N’y est plus. Ceux qui sont dans le système vont se parfaire dans le privé, c’est ce qui explique le business extrêmement florissant des leçons particulières, la vraie tare de l’enseignement public. Les parents mauriciens se tournent de plus en plus vers le privé et sont prêts à d’énormes sacrifices pour offrir une éducation de qualité à leurs enfants. Les statistiques le confirment, le nombre d’établissements privés et payants est passé de 26 à 44 ces sept dernières années.

Il y a, d’ailleurs, en cette rentrée 2019, un nouvel stablissement dans le secondaire qui se situera à Hermitage. L’initiateur de ce projet, Rajcoomar Baichoo, qui a une longue carrière dans l’éducation pré-primaire, a fait appel à Jacques Malié, l’ancien recteur du collège du St Esprit, pour diriger l’établissement. Ces écoles sont prisées parce qu’elles offrent une vraie alternative à l’instruction publique. Moins d’élèves par classe, donc plus d’attention et d’encadrement personnalisés pour les apprenants.

Le tout académique qui est la marque même de l’école publique est rejeté au profit d’activités extra-scolaires, sport, environnement, apprentissage à la vraie vie, le but ultime étant de former des personnalités indépendantes, pensantes et logiques, plutôt que des singes savants qui ont tout appris par cœur et qui ne sont finalement pas armés pour affronter les réalités du quotidien.

Des questions sont légitimement posées sur le financement de la gratuité du tertiaire. Certaines estimations chiffrent cette mesure entre Rs 600 millions et Rs 1 milliard. Qu’on se le dise, c’est l’argent du contribuable qui sera utilisé pour mettre à exécution ce projet. Pas celui de l’alliance MSM/ML ou du Sun Trust.

Pravind Jugnauth peut même dans le Budget 2019/2020 mettre la pension universelle au même niveau que le salaire minimal, soit Rs 9,180 et, comme beaucoup de sexagénaires travaillent encore, ce sera autant d’argent que l’État récupérera sous forme de taxes mais aussi au titre de la TVA, un pouvoir d’achat amélioré signifiant aussi une consommation en hausse et des revenus supplémentaires pour la trésorerie publique. Il ne faut pas oublier que les taxes rapportent déjà quelque Rs 115 milliards annuels et qu’un petit milliard pour la gratuité du tertiaire n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des revenus de l’État. Ce sont là quelques vérités à rappeler.

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