La démission de Nando Bodha, une indication qui ne trompe point…

KHAL TORABULLY

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La nouvelle est tombée ce 6 février. Dans un communiqué, Nando Bodha annonce sa démission de son poste de ministre des Affaires étrangères (remplacé par Alan Ganoo) et du MSM. Cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans un pays vivant une des pires heures de son histoire post-indépendance, en raison de la pandémie et des accusations récurrentes d’incompétence et de corruption que l’opposition et des citoyens relaient dans la presse et sur les réseaux sociaux et lors des marches impressionnantes dans les rues.

Relisons quelques éléments du communiqué de Bodha, ex-secrétaire-général du MSM, pour en percer quelques idées-clés.

La raison de cette démission suit un principe philosophique, à savoir que Bodha ne se retrouve plus dans les valeurs qui jadis l’attiraient au MSM : «… les idéaux et principes fondamentaux qui m’ont guidé depuis mon engagement avec Sir Anerood Jugnauth ne sont plus là », et ce « à ma grande déception ».

On n’a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce pilier du MSM dit haut et fort qu’il a entendu ce courant de profond mécontentement qui traverse le pays en ce moment. Notons que ce communiqué débute, sans précaution oratoire, par une affirmation fracassante, à savoir que : « La situation dans le pays est extrêmement grave, alors que nous faisons face à de graves défis. » Une entrée en la matière qui ressemble fort à un cinglant désaveu du gouvernement actuel. Très vite, le PM Pravind Jugnauth réagit : Paul Bérenger, leader du MMM l’aurait aguiché en lui promettant le poste de PM dans un futur gouvernement, tout comme il l’a fait pour M. Dulloo et A. Jugnauth. Et que Bodha aurait été sensible à cet argument séduisant.

Bérenger, dans une déclaration, n’a pas caché sa joie à cette démission, en déclarant, en substance, que « le début de la fin du régime Jugnauth vient d’être acté… ». Il est important de remarquer que Navin Ramgoolam, le leader du Parti Travailliste, vieux briscard de la politique, avait réagi à ce désaveu du MSM en ces termes : « Nando Bodha répète ce que nous disons depuis longtemps. Il constate que le MSM coule et il quitte le navire à temps. C’est le début de la fin du parti ». Pour lui, il faut quitter le bateau avant qu’il ne devienne le Titanic…

Je suis, pour ma part, assez surpris de cette démission, sachant que Bodha, qui était de tout temps un fervent soutien de Sir Anerood Jugnauth, était un pilier du MSM au pouvoir. Aussi, je ne dirai pas que c’est une décision précipitée, mais plutôt réfléchie.

Notons qu’Arvin Boolell laissait entendre que Bodha ne tarderait pas à claquer la porte quelques jours auparavant… Preuve que quelque chose couvait sous les braises depuis un certain temps.

Sans détenir une boule de Cristal, surtout dans les jeux des alliances politiques parfois imprévisibles qui ne manqueront pas de surgir, Bodha connote qu’il serait à l’écoute de nouvelles aspirations du peuple mauricien. Et qu’il bâtirait son projet de société selon cet appel de la rue mauricienne et des réseaux sociaux qui ne cessent de mettre en cause leur système politique, qu’ils considèrent comme dépassé, corrompu, en décalage avec les aspirations d’une nouvelle citoyenneté. Bodha parle d’une « nouvelle orientation » et d’un « projet de société », ajoutant qu’il y a « une nouvelle exigence » pour les Mauriciens.

Il ajoute : « Notre peuple est très en avance quant à ses attentes en matière de valeurs citoyennes, de bonne gouvernance et de démocratie moderne ».

Cela, me semble-t-il, est le combat que Bodha met en relief comme positionnement idéologique qu’il donnerait à son combat à venir. S’agirait-il de la création d’un nouveau parti politique ou d’une alliance avec des forces déjà en présentiel et en absentiel dans le landernau mauricien ? Je cite son désir de nouveauté : « nouvelle exigence », « nouveau combat ».

Donc, résolument, Bodha laisse entendre qu’il s’inscrit non seulement en rupture avec le MSM mais aussi avec une certaine manière de faire de la politique, en écho avec les « valeurs citoyennes », la « bonne gouvernance » et le désir de « démocratie moderne », trois revendications majeures des mouvements citoyens défiant le système depuis le Wakashio.

On aura aussi remarqué, que ce court texte, donne de grandes orientations à venir, un sens stratégique, tout en ne révélant pas les tactiques qui les mettront en œuvre, car il est peut-être trop tôt pour tirer des plans sur la comète… Des termes sont utilisés plusieurs fois : « nouveau, nouvelle, moderne ». La question en filigrane que l’on peut poser est : Bodha chercherait-il à rejoindre ou à incarner ce profond désir du peuple mauricien, à la recherche d’un nouveau consensus autour du fait politique, au-delà d’anciennes équations calculatrices des partis au pouvoir, pour une nouvelle citoyenneté et une démocratie en adéquation avec une génération numérique, qui chaque jour, avec force interventions et webinaires, tire à boulets rouges sur un pouvoir empêtré dans des scandales divers, et ce, au cœur d’une pandémie ?

C’est, pour moi, au moment actuel, la question que l’on peut se poser à quelques heures de ce communiqué, en attendant d’autres développements à venir…

D’ores et déjà, des rumeurs laissent entendre que d’autres membres du MSM au pouvoir pourraient lui emboîter le pas.

Ce qui ne manquerait pas de poser la question de la légitimité du pouvoir et d’élections anticipées…

À l’heure où je vous parle, déjà, quelque chose a changé dans le paysage politique mauricien. Il serait imprudent de ne pas le constater…

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