L’égalité des chances

Après avoir déçu dans la Duchess of York Cup, Table Bay, le nouveau champion de l’entraînement Gujadhur, s’est brillamment racheté samedi dernier en remportant facilement la Barbé Cup 2018, complétant un quatrième succès consécutif dans cette épreuve pour le plus vieil établissement du pays et pour son entraîneur Ramapatee Gujadhur. Pour rappel, Bulsara en 2015, Kremlin Captain en 2016 et Tandragee en 2017 avaient remporté cette coupe où se sont aussi inscrits de prestigieux champions de la casaque bleu électrique tels qu’Il Saggiatore (2012), Hinterland (2004) et d’autres comme Bold Statement, Stormy Kestrel et Corban.

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Autant dire que la Barbé Cup a eu une saveur particulière pour les Gujadhur, qui ont savamment profité des nouvelles directives de la GRA pour inscrire cinq coursiers dans cette épreuve de 11 partants. Le train imposé par le valeureux et sacrifié Tandragee a été suffisamment sélectif pour favoriser les strong finishers de la course, et à ce jeu, c’est Table Bay, monté en grande confiance par le jockey australien Stackhouse, qui s’est avéré le plus percutant en fin de parcours, laissant sur place sans coup férir les Hard Day’s Night, Ten Gun Salute et Baritone, malheureux à la corde. La facilité de la victoire de Table Bay ne souffre d’aucune contestation et ce cheval devrait rapidement ajouter d’autres succès à son palmarès avant que le handicap ne vienne lui compliquer la tâche.

En tout cas, après un départ mitigé et l’aventure avortée du jockey américain Theriot, l’établissement Gujadhur semble prendre son envol à ce stade de la compétition et confirmer que les “découverts” de Rampatee Gujadhur ont été investis à bon escient puisque, outre Table Bay, on a sans doute vu l’éclosion d’un autre probable coursier de grande valeur avec St Tropez, qui a survolé la cinquième course. Nous devrions le revoir sur des parcours rallongés et le Maiden paraît un objectif tout à fait dans ses cordes. Il faut encourager les propriétaires qui importent des chevaux de cet acabit dans notre pays, car ce qui manque aux courses mauriciennes ces dernières années, ce sont des chevaux champions qui restent au sommet plus d’une saison et auxquels le public peut s’identifier. Et dans cette perspective, des règles qui le protègent, tant sur le plan sportif que sur le plan financier, sont la bienvenue, à condition que les autorités favorisent le level-playing field pour que la compétition soit la plus saine possible.

Si nous sommes convaincus que la Gambling Regulatory Authority (GRA) a outrepassé ses pouvoirs en imposant des directives, souvent sans fondement hippique — surtout sans en avoir préalablement discuté avec le Mauritius Turf Club (MTC) —, il est important que les courses mauriciennes soient modernisées et de plus en plus adaptées aux normes mondiales si nous avons l’ambition d’en faire une référence dans cette partie de la planète. Et ce, à un moment où l’hippisme sud-africain connaît de dangereux soubresauts avec la grève violente des palefreniers à l’égard des entraîneurs, leurs employeurs, au point où certaines grandes figures menacent de réduire drastiquement leurs effectifs.

Chacun connaît nos positions sur les directives de la GRA, comme celle limitant le nombre de partants et qui entraîne régulièrement l’annulation de certaines épreuves qui pénalisent les chevaux, condamnés à rester à l’écurie alors qu’ils ont été préparés, et les propriétaires, qui continuent à payer le keep sans avoir la chance de récupérer les allocations de ces épreuves. Le turfiste mauricien mérite mieux. Et dans cette perspective, permettre aux meilleurs chevaux de participer aux meilleures épreuves tombe a priori sous le bon sens. Reste qu’il y a un contexte et des habitudes. Et aussi l’obligation de donner la chance égale à tous de s’armer pour les nouvelles donnes et ne pas imposer un changement qui ne profite qu’à celui qui s’était déjà armé pour cette évolution que les autres n’ont pas vu venir.

Dans cette perspective, le judicial review, quoique très tardif, interjeté en Cour suprême par le MTC sur certaines directives est la bienvenue et permettra, nous l’espérons, un éclaircissement définitif sur les responsabilités des uns et des autres. Une meilleure interprétation de l’étendue des prérogatives de la GRA et du MTC, qui sont la cause de leurs relations souvent conflictuelles, permettrait enfin à ces deux organismes de voir dans la même direction et de parler d’une même voix, afin que règne l’égalité des chances dans le domaine hippique mauricien.

L’égalité des chances n’a pas toujours été une réalité du MTC lorsqu’il avait le contrôle total sur l’hippisme mauricien. Cet état de fait a été très critiqué dans ces colonnes et les archives peuvent en témoigner. À cet effet, les bras de fer du MTC avec l’État ont été nombreux, ce qui a finalement abouti à l’émergence d’une Turf Authority qui a été à l’origine de ce qui est devenu la GRA. Ces organismes n’ont jusqu’ici pas non plus favorisé l’émergence de l’égalité des chances. Ils se sont au contraire érigés en redresseurs de torts, pire, pour certains, en revanchards sectaires pour réécrire l’histoire des courses à travers des abus de pouvoir de puissants lobbies, qui veulent avoir la mainmise sur tout, partout.

Aucun organisme étatique n’a le droit d’agir ainsi. Dans le cadre de la Constitution et de la loi, la GRA a le devoir de veiller que l’égalité des chances soit une réalité dans le monde hippique et dans ses autres secteurs d’activités. Le MTC, même s’il est un club privé, doit en faire de même s’il se veut un partenaire crédible et durable, parce que les courses, elles, appartiennent à la nation. L’hippisme mauricien doit être fier de son histoire et glorifier tous ceux qui en ont fait sa grandeur et sa pérennité. Mais dans la situation actuelle, son avenir est sombre.

La guéguerre GRA/MTC a fait le nid à l’expansion de la mafia de la drogue, qui a infiltré tout le système hippique, au point où le doping s’est largement étendu et n’est pas du tout maîtrisé. Ni par les écuries dépassées par les événements ni par le MTC qui se contente du test généralisé du vendredi comme deterrent et ignore, malgré de nombreux avertissements, les examens inopinés, pour des raisons financières, alors qu’ils sont plus efficaces dans la lutte contre le doping… L’épisode des échantillons bloqués à Maurice pour des raisons fallacieuses par DHL Maurice et le peu d’entrain de la Police des Jeux pour tirer au clair cette scandaleuse affaire sont des exemples probants du système vicié dans lequel évolue l’hippisme mauricien.

Le dernier cas de doping en date, celui à l’EPO humain de League Of Legends, est symptomatique de cette situation de désarroi dans lequel se retrouve le MTC. Tétanisé au point où des entraîneurs profitent impunément du micro de la télévision nationale pour stigmatiser violemment l’instance suprême de contrôle des courses, tétanisé au point où des jockeys se permettent d’insulter voire d’injurier d’autres professionnels de courses avant de, subtilement, faire appel au bien commode hacking pour dire qu’ils ne sont pas responsables de leurs actes.

Il appartient à la GRA et au MTC d’arrêter le vilain jeu du chat et de la souris qui permet aux acteurs hippiques de faire tout et n’importe quoi. Il est temps qu’ils établissent des règles communes pour combattre la triche, le doping et le mauvais comportement des professionnels de courses. Il est grand temps que les sanctions frappent indistinctement les fautifs et que règne enfin au Champ de Mars l’égalité des chances…

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