Plumer le pigeon !

S’il y avait encore des doutes, la piste a parlé et a consacré le représentant de l’établissement Rameshwar Gujadhur The Gatekeeper comme étant le meilleur cheval du moment sur le turf mauricien. Après sa balade dans le Derby, il a triomphé dans le duel des champions et surclassé à la régulière, sous la monte experte de Rye Joorawon, le valeureux Walls Of Dubrovnik, qui n’a eu aucun répit tout au long des 1500 mètres de la course. Dommage pour le spectacle et la rivalité que le duel des champions sur 1500 mètres The Gatekeeper/Walls Of Dubrovnik se soit déroulé sur un terrain vraiment à la limite du praticable, comme confirmé après cette épreuve, puisque le reste de la journée a été tout bonnement annulé. Toujours est-il que The Gatekeeper a fait preuve d’une maniabilité propre aux champions d’exception de pouvoir gagner sur 2400m et 1500 mètres consécutivement avec la même supériorité et autorité. Un grand bravo à tous ceux, amoureux de chevaux et des courses, qui ont su garder ce cheval à l’entraînement dans un contexte où d’autres ont, eux, abandonné ou été contraints de plier bagage dans un environnement hippique peu propice à l’épanouissement du sport, mais centralisé sur les paris, et dans leur sillage tous leurs travers et contraintes influencés par l’appétit insatiable de faire de l’argent au détriment d’autrui, c’est-à-dire plumer le pigeon.

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Que le sport des rois soit devenu racing for the people by the people peut paraître en soi noble et louable en essence. Malheureusement, ce qui n’est qu’un slogan trompeur dans la logique de faux bons samaritains ne vise en fait, sous le couvert de bonnes intentions, que l’objectif non-avoué, mais confirmé dans les faits, de plumer le même people qui est en fait le pigeon à qui on prend, avec la complicité des autorités, jusqu’au dernier sou, chaque semaine, en planifiant et manipulant les courses dans un environnement où même les juges des courses sont parties prenantes et les autorités, qui ne laissaient rien passer il y a encore peu, sont devenues aveugles et non-entendantes. Chaque semaine qui passe entraîne ses outrances, qui ne sont pas inédites sur le turf mauricien, mais la démesure de la triche le week-end hippique dernier est autrement plus outrancière, mais aussi plus subtile que la seule course grossière de Gemmaye Street le samedi 28 juin 2014. Le pire, c’est que les autorités hippiques mises sur pied pour prémunir les turfistes de ce passé déjà honteux pour l’hippisme mauricien, la Gambling Regulatory Authority et la Horse Racing Division, étêtée, donnent plus l’impression d’en être complices plutôt que de faire simplement la police. Ne parlons pas de la Police des Jeux, qui se contente uniquement de traquer de petits organisateurs de paris illégaux, mais qui ne s’intéressent pas à certaines grandes officines qui influencent les résultats.

Il ne faut pas imaginer un instant qu’à l’orée des élections qui pointent à l’horizon, le gouvernement actuel aura le courage d’un précédent pouvoir, qui a perdu les élections malgré cela, de mettre sur pied une nouvelle commission d’enquête sur les courses au vu de la démesure de la tricherie qui a lieu chaque semaine au Champ de Mars au vu et su de tous ceux qui veulent bien voir et entendre. Si les mêmes assesseurs de la commission d’enquête de 2014, avec comme acteurs Richard Parry, George Gunn et Paul Scotney, revenaient aujourd’hui à Maurice pour un exercice semblable, ils seraient sans doute choqués de la détérioration, sans conséquence des mœurs hippiques mauriciennes des années 2020, par rapport à celles déjà condamnables des années 2010. L’usage des conclusions et recommandations du rapport Parry, suivi d’un exercice d’implémentation du duo Gunn-Scotney, qui ont concédé à Dev Beekhary, sur l’autel des contraintes financières, à ce que la HRD soit une division de la GRA au lieu d’être totalement indépendante comme l’avait suggéré le rapport Parry, ont aujourd’hui fait le lit à une industrie hippique encore plus mafieuse où règne la pègre et des parrains, soutirée par les autorités qui profitent largement du financement occulte qui en découle.

À l’heure des réseaux sociaux, les informations qui circulaient dans le passé d’oreille en oreille sont aujourd’hui véhiculées presque en direct sous forme de communiqués sur Facebook ou les sites internet d’entités dont l’identité de leurs auteurs est connue, puisqu’ils sont publiés sous le nom de publications qui ont pignon sur rue et qui sont souvent proches de l’organisateur des courses et l’un des organisateurs de paris. Ces communiqués anodins et apparemment truffés de bonnes intentions visent, en fait, à dénoncer et déjouer instantanément des courses arrangées ou des missions express de certains partants et de leurs jockeys. Ces derniers ont parfois pour tâches spécifiques de gun down un adversaire pour favoriser les desseins des auteurs de ces articles. Le but est de déjouer des courses arrangées par la concurrence, d’influencer le petit parieur, ou encore de faire pression sur les jockeys qui finissent par déclarer forfait, afin de renoncer à leurs missions express et se protéger des sanctions éventuelles, souvent sous le couvert du bien commode medically indisposed pour mieux faire passer la pilule. Ce qui choque, c’est qu’à aucun moment ces informations de courses arrangées ne sont dénoncées directement aux autorités en place, que sont les stipes de la HRD ou la Police des Jeux.

L’autre méthode utilisée par les manipulateurs de courses est le retrait des partants, qui est devenu un sport favori dans le milieu hippique mauricien ces derniers temps. Le retrait des partants est aussi une arme redoutable dans le dispositif des courses arrangées. Tantôt on le fait le matin afin de rendre disponibles des jockeys qui ne l’étaient pas à l’ouverture des paris, tantôt on le fait juste avant le départ pour ne pas annuler les paris déjà effectués par ceux qui sont dans le secret des dieux. Certains spécialistes affirment sans coup férir que la non-alimentation supposée des chevaux le jour des courses est un moyen imparable pour convaincre les commissaires de course d’accepter un retrait quand aucune autre cause ne peut être invoquée. Il suffit, selon des spécialistes, d’augmenter la dose habituelle du cheval dans la mangeoire pour convaincre les autorités qu’il est en situation de off feed.

Enfin, dans les recettes de courses truquées, sont utilisées à la demande toute la panoplie connue et liée au déroulement des épreuves, comme les escorts, les carrosses de mariage, les al touye divan, le blocage d’adversaires dans un tiroir, des changements de mors, le ratage de départ, faire courir les chevaux sans fers, ou simplement le traditionnel dopage sous les formes connues mais aussi nouvelles et indétectables pour l’heure. Il n’y a rien de nouveau à ce chapitre, mais là où le bât blesse, c’est que les informations à ce sujet ne sont plus publiques, depuis qu’elles sont effectuées sous l’égide de la GRA, qui dit dépenser à cet item Rs 25 millions. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, mais on a du mal à imaginer que tous les chevaux qui foulent notre hippodrome soient drug-free. L’œil peut détecter des chevaux qui ne sont pas comme d’habitude et qui sont devenus tout à coup des loups qui ne tiennent pas en place.

Tout cela pour dire que le monde hippique mauricien vit ces temps-ci des heures sombres de son histoire qu’il a aussi connu dans le passé. Mais ce qui diffère fondamentalement, c’est la circulation d’information libre de toute propagande pour une partie au détriment d’autres partis adverses. L’État nous avait promis des courses propres, libérées de la mainmise d’une certaine mafia, mais force est de reconnaître qu’une autre mafia plus insidieuse, moins respectueuse de certains codes, s’est installée dans les arcanes du Champ de Mars. Comme dirait l’autre, les chiens ont changé, mais pas les carapates qui continuent à polluer davantage l’image et la réalité des courses mauriciennes qui n’ont jamais atteint un niveau aussi bas de décrépitude. Nous ne parlons pas de l’organisation des courses qui s’est améliorée au fil des semaines, même si de temps à autre il y a des bourdes inacceptables. Nous parlons surtout du betting et du déroulement des courses qui sont des insultes aux vrais turfistes et à l’hippisme noble.

Nous n’osons imaginer ce que seront les courses si, d’aventure, elles devaient être délocalisées jusqu’à la fin de l’année vers le centre privé de Petit Gamin, comme annoncé par des confrères, même si, apparemment, la visite de la HRD sur place a été plus une douche froide qu’une chaleureuse approbation et validation, car on prête à un officiel de l’organisme d’État de l’avoir trouvé far from ready. En tout cas, il n’y a, à ce stade, eu aucune communication officielle de l’organisme qui chapeaute les courses à Maurice. Toujours est-il que le maître des lieux, qui est aussi le big boss des courses aujourd’hui, qui a beaucoup investi personnellement en chevaux et infrastructures pour prolonger le cours de la vie hippique mauricienne, est aussi et surtout un organisateur de paris. Et qui dit organisateur de paris, surtout à cote fixe, comme les bookmakers, il est naturel de vouloir gagner à tout prix, et par ricochet faire perdurer les courses hippiques, dont il est pour l’heure le seul garant. Une criante vérité qui a aussi changé les mœurs hippiques mauriciennes, qui se sont dévoyées et qui roulent aujourd’hui sans le même code pour tous.

Les fins de saison sont toujours plus difficiles, car chacun des turfistes, des financiers, des propriétaires de chevaux et des organisateurs de paris veut se refaire une santé dans un environnement économique délétère, où la loi du plus fort, celui qui plume les pigeons et finance les faucons, est pour l’heure imbattable ! Voir le MTC reprendre l’organisation des courses dans ce nouvel état d’esprit sera plus qu’un défi, voire une utopie…

 

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