Après le décès d’Olivier Rozar lors d’un trail : Laura Venkatasamy, sur les sentiers de la reconstruction

Enceinte de 5 mois, Laura Venkatasamy attendait son fiancé sur la ligne d’arrivée du Moka Trail quand Olivier Rozar, 38 ans, fut pris d’un malaise à 400m de là. Les secours ne purent le sauver. Le 1er octobre 2016, ce fut aussi brutalement qu’elle devint « veuve » à 36 ans. Depuis, elle continue son processus de reconstruction tout en élevant son fils comme ils l’auraient fait à deux. Jacques Achille

 « Mon nom, c’est mon papa qui l’a choisi », dit le garçonnet de 4 ans. Olivier Rozar souhaitait un fils. Face à son impatience, le gynécologue lui avait indiqué le sexe du fœtus sur un bout de papier. Laura Venkatasamy avait décidé qu’elle se réserverait la surprise jusqu’au terme de sa grossesse. Un prénom unisexe original avait été décidé. Ce prénom, Mayeul n’a jamais entendu son père le prononcer. « Mon papa est mort », répond-il à ceux qui le questionnent sur ce dernier, nous explique sa mère. « Papa est-il dans le ciel ? » lui demande-t-il  lorsqu’il comprend que la conversation du jour tourne autour d’Olivier. « Je te l’ai déjà dit, on ne le sait pas », lui répond-elle avant de nous expliquer qu’elle l’a élevé « sans tabou » sur ce sujet.

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« Il a grandi avec la mort. Il a connu la mort quand il était encore dans mon ventre. Je lui ai appris que cela fait partie de la vie. » Il arrive à Laura de perdre un peu de cette maîtrise qui lui fait garder la posture droite et le regard franc. Sa voix se casse, des larmes lui montent aux yeux. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre. Il y a des choses qui sont encore difficiles à accepter. Comme cette réflexion qu’elle avait eue le 1er octobre 2016 : « On ne meurt pas à 38 ans. On ne devient pas veuve à 36 ans. Ce n’est pas dans l’ordre des choses de perdre son mari ou sa femme aussi tôt.»

Olivier Rozar et Laura Venkatasamy

Cela fait longtemps qu’elle n’aime plus cette question : «Pourquoi me demander ce que je compte faire à l’avenir ? J’ai appris qu’il fallait vivre le moment présent. Les choses sont si incertaines. » Ce 1er octobre Olivier Rozar avait perdu conscience à 400 mètres de l’arrivée à La Laura. Laura Venkatasamy qui l’attendait sur la ligne d’arrivée du Moka Trail s’était aussitôt rendue sur les lieux pour voir les secouristes l’emporter. À la clinique, elle avait refusé de se voir projeter dans un de ces scénarios dramatiques qui ne pouvaient exister qu’au cinéma. Non, cela ne devrait être un petit problème de glycémie puisqu’ils avaient arrêté le sucre. Leur enfant arrivait dans quatre mois, plusieurs projets avaient déjà été discutés, des voyages les attendaient, d’autres saisons de trails étaient à courir ensemble. Non, ce ne devait être qu’un léger malaise. Il avait perdu du poids, il était méticuleux au sujet de sa santé et avait adopté une hygiène de vie stricte, scientifique. Et puis non, les belles histoires d’amour sont faites pour être vécues. La leur avait des allures d’un beau conte.

Ils s’étaient découverts quelques mois auparavant, ils s’étaient aimés sans retenue puisqu’ils se savaient faits l’un pour l’autre. « Nous savions ce que nous voulions, ce que nous ne voulions pas. C’est pourquoi la relation a progressé rapidement. Olivier disait toujours : quand on sait, on sait. »Tout s’était mis en place naturellement pour qu’ils démarrent une nouvelle vie en couple. « J’étais heureuse comme pas possible d’avoir trouvé la personne qui me convenait. » Bientôt ils se marieraient.

« C’est quand je suis rentrée à la maison pour récupérer ses affaires pour les procédures que j’ai pris conscience qu’il ne traverserait plus jamais le pas de notre porte. J’ai ressenti le vide. » Le matin, il était sorti tôt tandis qu’elle dormait encore, et il était convenu qu’ils se voient à La Laura. Lorsqu’elle l’avait vu allongé dans une pièce des urgences, elle avait refusé que le médecin lui annonce la nouvelle. Les parents d’Olivier étaient en route. Elle avait attendu qu’ils soient là pour entendre.

Au bout des 15 kilomètres du trail, bien qu’il se soit convenablement entraîné, son cœur avait lâché. Sa vie à elle avait pris un tournant. Une foule avait assisté à ses funérailles à Albion le lendemain, ancien du Lycée Labourdonnais, tableur, engagé dans différentes activités et surtout personnage très populaire Olivier Rozar avait été salué pour sa vie exemplaire. Laura lui avait rendu un vibrant hommage. Aussi profonde que fût la douleur, elle avait aussi compris qu’il fallait continuer à vivre pour continuer leurs rêves. Il ne l’a finalement jamais quittée.

« Dans toutes mes décisions, surtout quand il s’agit de Mayeul, j’essaie de deviner comment il aurait pensé. Qu’aurait-il fait s’il avait été là ? Je pense à lui et je me demande si je prends les bonnes décisions », dit Laura Venkatasamy. Professionnelle de la communication, femme indépendante et épanouie, elle a depuis pris de grandes décisions qui ont dessiné les contours de sa nouvelle vie et qui ont placé les jalons de la vie de son fils. « Je n’ai pas choisi la voie facile, j’ai choisi de faire ce que je crois être le mieux. Je l’élève comme nous l’aurions fait à deux. »

De ses yeux clairs qu’il a hérités de son père, Mayeul observe sa mère parler. Il veut comprendre les raisons de la conversation et ses réactions. « Est-ce que tu pleures pour de vrai ? », lui demande-t-il. Quand il pose des questions, Laura lui explique tout et le laisse prendre ses espaces en lui rappelant les règles de la bienséance lorsque son impatience prend le dessus. Dans la maison où ils vivent désormais à Albion il n’y a pas de télé, pas d’écran pour jouer. Il y a une piscine, des jeux, des jouets et beaucoup de temps à passer l’un avec l’autre. Ce qui fait d’elle cette mère forte et lumineuse et de lui cet enfant plaisant, dégourdi et curieux de tout.

À sa naissance en février 2017, sa mère et ses grands-parents étaient déchirés entre le bonheur de cette arrivée et le poids de l’absence d’Olivier. Laura Venkatasamy avait été au-delà de ses forces pour reprendre sa vie le plus rapidement. Elle était de retour à son bureau trois jours après les funérailles. Depuis que Mayeul est là, elle s’est mise en tête qu’elle continuerait la route seule. Ou plutôt en étant accompagnée des souvenirs que lui avait laissés Olivier. Sa mère était restée à ses côtés deux à trois semaines après l’accouchement : « J’ai ensuite voulu continuer de moi-même. » Certes, les grands-parents, sa sœur et autres proches sont d’un soutien permanent qui ont permis à Laura de se construire de nouvelles bases et mener ses combats.

Puisqu’elle avait choisi un sentier non balisé, la traileuse a souvent été confrontée à plusieurs embûches. Mais la vie et les épreuves lui ont conféré de l’endurance. Il lui a fallu de la détermination et une vraie force de caractère pour lancer les démarches afin que Mayeul porte le nom de famille de son père. Initialement, Olivier n’étant plus là et ses parents n’ayant pas eu le temps de se marier, Mayeul avait été déclaré par sa mère conformément à la loi. « C’est la raison pour laquelle j’avais attendu le dernier moment pour le déclarer. C’était quelque chose que je ne pouvais accepter. Je ne pouvais me résoudre qu’il ait un acte de naissance où son père serait absent. Il avait bel et bien un père. »

Cependant, l’univers sait conspirer en faveur de ceux qui le méritent. Parmi les nombreux messages qu’elle recevait, elle découvrit un jour un mot que lui avait envoyé une certaine Valérie qu’elle ne connaissait pas. Cette dernière était aussi devenue veuve tôt, et était en bonne position pour comprendre Laura qui accepta de la rencontrer. Le courant passa bien, et Valérie lui expliqua qu’une procédure pouvait existait afin que le père de l’enfant soit reconnu après sa mort. Les précédents avis légaux recherchés n’avaient pu éclairer Laura Venkatasamy qui, avec le soutien de ses beaux-parents, explora cette autre voie légale. Cela prit plusieurs longs mois, il fallut faire venir témoigner les amis et les parents en Cour. Un an plus tard, elle fut informée que le jugement était tombé en sa faveur. Quand toutes les démarches avaient abouti et que le nom d’Olivier apparaissait enfin sur l’acte de naissance de Mayeul Rozar – qui avait alors 2 ans – « ce fut une belle fête ce soir-là. »

Laura Venkatasamy et son fils habitent une agréable maison où la vie a repris son cours après qu’elle ait décidé de vendre celle où elle vivait avec Olivier Rozar à Beau-Bassin. La décision de ce changement avait été difficile. « Là-bas, j’avais des images de lui rentrant du travail, je le revoyais tel qu’il était dans les différentes pièces de la maison. J’y avais nos souvenirs. Mais, c’était une décision qu’il me fallait prendre. » Pour garder la mémoire d’Olivier vivante, Laura se plaît à écouter ses beaux-parents parler de leur fils, et le découvre encore à travers les souvenirs que lui racontent souvent ses amis. « Il était quelqu’un de formidable, de très brillant, qui a beaucoup fait en très peu de temps. Il disait toujours qu’il n’avait pas de souci puisqu’il avait toujours les solutions. Il m’a aidée à m’améliorer. » C’est pour qu’Olivier soit fier d’elle qu’elle avait tout organisé pour son dernier voyage.  « Je ne voulais pas qu’il ait des funérailles comme les autres. Il est entré et sorti de l’église sur les airs de When Jesus says yes, et ceux présents avaient applaudi après mon témoignage. J’avais voulu qu’il ait des funérailles à son allure, lui qui avait vécu à 1000 à l’heure. »

Laura Venkatasamy et Olivier Rozar n’ont pas vécu très éloignés durant leur adolescence à Beau-Bassin. Mais ils ne s’étaient jamais croisés. Leurs premières conversations eurent lieu lors des trails auxquels ils participaient. C’est dans ce cadre que leur histoire est née moins d’une année avant le décès d’Olivier. « Nous n’avons pas été ensemble pendant longtemps. Mais nous avons fait beaucoup de choses. Nous nous sommes installés sous le même toit, nous avons fait un voyage en Afrique du Sud, nous nous sommes fiancés, nous avons fait un enfant. Nous n’avons juste pas eu le temps de nous marier comme nous avions prévu de le faire. »

Des messages de sympathies lui parviennent encore de temps à autre. Quand elle dit qu’elle est veuve, les tons deviennent compatissants. Tout cela elle l’aborde désormais autrement. Laura Venkatasamy se sent cependant liée à ceux touchés par les mêmes drames. Elle sait précisément comment écouter, quoi dire pour réconforter. Elle comprend, « Parce que ces situations, je les ai vécues. Souvent, j’approche ceux qui sont touchés par des deuils pour tenter de leur apporter un soutien.» Il lui est primordial, le sent-elle, de pouvoir partager son vécu, ses craintes, ses combats, ses espoirs à ceux qui ont besoin d’être accompagnés. C’est un soutien mutuel, comme le fut sa rencontre avec Valérie. « C’est pourquoi j’envisage de raconter mon expérience dans un livre et éventuellement mettre sur pied un groupe de soutien et d’accompagnement. »

D’aucuns lui demandent souvent si elle a refait sa vie. « Je ne peux pas refaire ma vie. Cela voudrait dire qu’il faudrait recommencer la même chose.  Mais il n’est plus là. Ma vie, je la continue. » Malgré les difficultés imposées par les confinements elle a aussi poursuivi ses études et décroché un Masters tout en s’occupant de son fils.  Mayeul est une de ses grandes priorités et elle s’attelle pour que tout aille pour lui mieux pour son épanouissement. « Parfois il me dit qu’il est triste que son papa ne soit pas là ou qu’il aurait voulu le connaître. Ce sont, pour moi, comme de petits coups de poignard. »

Ceux qui l’ont vue se relever la saluent souvent pour son courage. « Je leur réponds que n’est pas comme-ci j’avais eu le choix. Je ne me suis pas remariée. Je n’ai personne dans ma vie. Je ressens souvent l’envie de lui parler, j’ai toujours le réflexe de prendre mon téléphone pour l’informer quand il m’arrive quelque chose. Je sens son absence tous les jours, je ne souhaite à personne de connaître cette solitude. Elle est lourde à porter. »

Laura Venkatasamy a un beau sourire qui lui illumine son visage. Elle a aussi le regard franc des survivants qui malgré les coups durs continuent d’avancer, et ses yeux s’emplissent de tendresse quand elle les porte sur son fils. « Malgré tout, la vie est belle. J’ai appris à avancer jour après jour. Je le fais pour moi, pour mon fils et pour Olivier. »

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