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La Nikita et Josianne Cassambo – Deux générations réunies par le séga

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La Nikita et Josianne Cassambo – Deux générations réunies par le séga

Elles sont fans l’une de l’autre. Pourtant jusqu’à la semaine dernière, Josianne Cassambo et La Nikita ne se connaissaient qu’à travers l’écran de la télévision ou des morceaux de leurs répertoires respectifs. Entre elle, le séga fait trait d’union. Un flambeau que La Nikita, 28 ans, a repris des mains de femmes comme Josianna Cassambo, 80 ans, qui est l’une des pionnières dans le domaine. La semaine dernière, Scope a provoqué la rencontre entre les deux chanteuses dans la célèbre cour des Cassambo à Petite Rivière. Quand Tangale s’accorde sur les notes de Mo zip desire la conversation est aussi colorée que rythmée.

“Ayo rantre fi. Guet kuma to zoli. Ankor plis ki lor televisyon”, dit joyeusement Josianne Cassambo en guise de bienvenue. De quoi détendre La Nikita, qui durant le trajet vers Petite Rivière, avait encore du mal à réaliser qu’elle s’apprêtait à rencontrer “cette grande dame du séga.” A peine se sont-elles enlacées et embrassées qu’une belle complicité envahit l’atmosphère de la charmante maison. Cinquante-deux ans les séparent. Mais comme deux “kousinn sek” qui ont l’habitude de se voir, elles commencent très vite à se parler.

Josianne Cassambo et La Nikita représentent l’histoire et l’avenir du séga. Bien avant cette toute première rencontre, mercredi dernier, elles ont eu l’occasion de se connaître et de s’apprécier jusqu’à devenir fans l’une de l’autre. Mais c’était uniquement à travers la télévision ou la radio. D’ailleurs l’octogénaire n’hésite pas à imiter son déhanché lorsqu’elle entend les paroles de Mo Zip desire de La Nikita. « Aussitôt que j’entends sa chanson je demande à mes enfants d’augmenter le volume. Sa musique, c’est ce que j’appelle du vrai séga. Je n’ai aucun doute que tu iras encore plus loin ma fille.”

Héritière d’une famille qui a grandement contribué à l’acceptation du séga à Maurice, Josianne Cassambo se revoit à ses débuts quand elle pense à La Nikita. A son époque, il fallait savoir affronter les regards et les préjugés pour s’affirmer et revendiquer fièrement son identité de “santez sega.” Une témérité qui a permis à d’autres femmes de prendre le relais par la suite. D’où la présence de La Nikita, qui est aussi animatrice de la MBC, dans ce paysage musical. “Je me sens prêtre à perpétuer cette tradition et à valoriser la contribution que Josianne Cassambo a eue dans l’émancipation du sega tipik. Grâce à elle, et à d’autres de sa génération, notre séga est aujourd’hui inscirt dans le patrimoine mondial de l’UNESCO”, dit la jeune femme.

Mo Tangalé

Devant cette figure et cette voix qui ont bercé son enfance, impossible pour La Nikita de ne pas sortir sa longue liste de questions. En premier lieu, l’habitante de Caroline veut en apprendre davantage sur Tangale, l’une des chansons les plus connues de Josianne Cassambo. Un morceau que la jeune chanteuse interprète à chaque fois que l’occasion se présente. “Si je ne me trompe pas c’est le premier sega tipik que j’ai chanté quand j’ai pris la décision de me lancer dans une carrière de chanteuse. Se enn sega amblematik. Tous les Mauriciens connaissent le refrain.”

Mais qui est donc ce mystérieux Tangale? Josianne Cassambo s’esclaffe. Le moment est venu pour elle de dire toute la vérité. Du moins de raconter une toute nouvelle version, car jusqu’à présent elle laissait comprendre qu’il était question de son mari. “Me se pa mo mari. Tangale est toujours vivant. Il est rentré à Maurice depuis un bout de temps déjà.”

Même si elle ne se souvient plus de l’année où elle a composé ce morceau, Josianne Cassambo n’oubliera jamais la raison qui a inspiré les paroles du texte. Ce “petit nom gâté” était sa manière de remercier cette personne qui avait cru en elle. En effet, suite à la participation de son groupe à un concours, la native de Petite Rivière s’était vue offrir un billet d’avion pour la France. Un parmi tant d’autres merveilleux souvenirs qu’elle chérit de sa longue et riche carrière. Pendant plus d’un mois, avec sa troupe familiale ainsi que d’autres artistes connus du séga, (Serge Lebrasse et Marie-Josée Clency) ils sillonnèrent l’Hexagone pour faire la promotion du séga. A son retour, la nièce de Loïs Cassambo s’était dit : “Il me faut chanter quelque chose pour cette personne parce qu’elle m’avait encouragée. Elle m’avait dit qu’elle ferait de son mieux pour que je sois reconnue. Les gens ont fini par me découvrir et me connaître. Cette personne avait aussi prédit que je réussirai et que ma voix m’emmènerait loin.”

Fier ena disan cholo.

Sur la route, raconte encore Josianne Cassambo, elle a vu “de trwa demann sove” parce que les parents des prétendants ne voyaient pas d’un bon œil une relation avec “enn titi Cassambo ki nek konn fer sega.” Il fallait de la détermination à Josianne Cassambo pour survoler un à un les obstacles afin de vivre à fond sa passion pour le séga. Hôtels, cabarets, soirées, concerts, émissions musicales, entre autres sa voix perçante a fait vibrer et danser plusieurs générations de Mauriciens, mais aussi des étrangers comme ce jour où débarqua un camion rempli de “Merikin nwar divan mo la port.”

Scotchée à chacune des paroles et autres anecdotes racontées par cette légende vivante du séga, La Nikita réalise à quel point les choses n’ont guère étaient faciles surtout pour une femme engagée dans le séga. Mais Josianne Cassambo s’empresse de la rassurer : “Quand on a reçu un don du ciel, il ne faut jamais baisser le bras. Less dimoun koze. Nous devons être fières de notre héritage. Nou bizin fier nou ena disan cholo. Gardes toujours les yeux droits devant, crois en toi et en ton talent. Et si tu mènes ta carrière honnêtement rien ne pourra t’empêcher de réussir.”

La naissance d’une nouvelle ségatière

Un conseil que Nikita Rose, 28 ans, promet de mettre en pratique. Surtout qu’elle est reconnaissante envers Josianne Cassambo pour avoir contribué à lui ouvrir la voie. “À son époque, il fallait vraiment se battre contre les préjugés. Grace à elle, les mentalités ont changé. J’ai aujourd’hui plus de chances et de facilités car cela ne dérange plus personne de voir une femme sur scène peu importe le style choisi. N’empêche, ce métier comporte toujours des difficultés. En tant que débutante, il me faut rester sur mes gardes.” C’est en remportant le concours Star 2012, dans la catégorie locale avec le titre Less nou viv trankil que La Nikita s’était sentie prête à franchir un nouveau pas.

Outre le circuit hôtelier comme tremplin, elle se révéla peu à peu au public en tant que choriste de Blakkayo et Solda Kaz Bad. Elle se retrouva sur la compilation Solda+Mwadka avant de sortir, en 2016, le titre Birthday Song et Pous dife lor baz avec Stelio. Un tube qui cartonna. C’est finalement son duo avec Lin accompagné d’Otentik Groove, sur San ou qui confirma son réel potentiel. La jeune femme commença alors à écrire des chansons avec plusieurs compositeurs dont Mathieu Sournois, tout en participant à plusieurs projets musicaux tel que Gros Sega never dies et Roul dan later. Sa popularité monta d’un cran quand elle rejoint le petit écran comme animatrice et présentatrice de Faya Vibes les dimanches à 20h30 sur la MBC 1; Glwar Dantan les samedis à 20h30 sur Senn kreol; et Groovin les vendredis à 20h30 sur la MBC 1.

Avekbenediksyon Josianne

2019 a été une année très riche pour La Nikita. D’abord avec Lape iniversel en hommage à Kaya, puis avec le titre Laflam Losean sorti dans le cadre des Jeux des Iles avant de finir en beauté avec Mo zip desire. Ce titre prend plus de la valeur à ses yeux depuis qu’elle sait que Josianne Cassambo ne se lasse jamais de l’écouter. Cela fait trois ans depuis que La Nikita confie travailler sur son album. “Après cette rencontre, je repars d’ici avec de nouvelles idées que je compte intégrer dans mon projet. D’avance je peux dire qu’il sera riche en surprises avec du séga et des morceaux de reggae ou zouk. Peut-être aussi vous me verrez dans des styles que les Mauriciens n’ont pas encore découverts. Me mo rasir zot, La Nikita pa pou devier de so kote ritme, kolore ek ansoleye. Le sega coule dans mon sang et j’espère l’emmener aussi loin que l’a fait Josianne Cassambo.”

Cette dernière, assise dans son fauteuil, acquise en signe d’approbation. Elle ne sait ni lire ni écrire. Tout son répertoire est enregistré dans sa tête. “Aujourd’hui les choses sont plus sophistiquées et modernes. Mais en même temps cela a quelque peu entaché le vrai sega tipik. Mais La Nikita a beaucoup en elle et dans sa voix. Ce sont des jeunes comme elle, avec des projets travaillés sérieusement qui apporteront à leur tour leur contribution à notre musique. Je continuerais à la suivre et à danser sur sa musique. »

Quelques photos souvenirs avec la famille Cassambo, un au revoir mais surtout la promesse de garder contact laisse sous-entendre que ces deux femmes ont encore d’autres énormément à se partager autour du séga.