(Rencontre) Frédérick Bréville : faire vivre la mémoire de Tristan Bréville et le musée

La rencontre a été provoquée par Scope au musée de la photographie, et ce, un peu moins d'un moins après le décès de son fondateur, Tristan Bréville. Sans langue de bois, comme ses parents, Frédérick Bréville, déplore le manque de soutien nécessaire pour préserver les reliques de l'Histoire du pays. De : Joël Achille.

« Un ami, Sean, m’a demandé comment je gérais mon deuil. Je lui ai répondu que c’était dur, mais que je n’ai pas de regret. Vraiment, c’était no regrets avec mon père ». Frédérick Bréville en est conscient : son père Tristan Bréville lègue un énorme héritage à cette île qu’il a tant adorée.

- Publicité -

L’homme a été un témoin privilégié de l’Histoire, immortalisant les évènements fondateurs, les époques oubliées, des visages pluriels. Il respirait la vie malgré son âge. « Papa n’était pas malade. C’était un gars de 76 ans qui grimpait aux manguiers pour couper des branches et cueillir des fruits. Il était plus en forme que moi ». Une subite maladie et des complications ont eu raison de ce franc-parleur qui, avec son épouse Marie-Noëlle, ont dédié leur vie à leur pays. Il s’est éteint le 19 mars « d’une sepsis, une infection généralisée qui attaque les organes un après l’autre ». 

« Nous étions très proches, confie Frédérick Bréville, installé sur une chaise au musée. Nous avions des clashs certes, mais la relation… Si aujourd’hui je gagne ma vie, c’est grâce à lui. Avec Papa, on était sur le terrain, on allait faire des photos. Une semaine avant qu’il soit admis en clinique, il m’avait accompagné en haut du Moulin de la Concorde pour que je fasse une photo pour un client. J’ai eu le privilège de le connaître pendant trente années et je n’ai vraiment aucun regret. On ne peut pas éviter la mort, c’est la seule chose dont on est sûr dans la vie ».

Archives de l’île en péril.

En fin d’année dernière, le directeur du musée de la photographie, fondé en 1966, confiait ses craintes. Un ultime appel au secteur public. Par manque de soutien du gouvernement et de la Mairie de Port-Louis, les collections accumulées durant toute une vie menacent de disparaître. L’aide de Rs 300 000 reçue du ministère du Patrimoine culturel en fin d’année dernière se révèle insuffisante.

La famille Bréville au musée de la photographie

« Cette somme a permis de sauver quelques négatifs, que papa a réussi à scanner », indique Frédérick Bréville. Le gros du travail demande cependant un investissement largement plus conséquent. Car même si les appareils photos « tiennent le coup », les documents et négatifs, eux, « se dégradent de jour en jour ». De fait, ce sont « les archives photographiques de l’île » qui disparaissent.

« Si demain le gouvernement nous donne les moyens de sauver le musée, nous accepterons son appui. Toutefois, avec le temps, on a appris que c’est peu probable qu’on obtienne une aide gouvernementale suffisante », se résout Frédérick Bréville. Faisant le tour du musée, il liste les équipements nécessaires pour préserver ce patrimoine géré désormais par sa mère, sa sœur Marie-Julie et lui-même. A savoir, entre autres, une chambre froide avec contrôle de l’humidité pour les négatifs. Et des équipements et l’expertise pour la numérisation. Sans omettre l’assurance et le gardiennage, parmi d’autres responsabilités qui auraient dû revenir à la Mairie de Port-Louis, selon un accord ratifié.

« On n’abandonne pas »

Le musée, aménagé à la Rue du Vieux Conseil depuis 1993, se retrouve aujourd’hui dans un triste état. Le toit laisse filtrer de l’eau et même des feuilles. Une fissure zèbre la largeur d’un mur porteur. Le carrelage s’est détaché du sol, sur lequel jonchent des cancrelats. L’état des collections inestimables retraçant le passé de l’île se détériore. Qu’adviendra-t-il de la première feuille imprimée à Maurice, d’une lettre de Louis XVI ainsi que du premier daguerréotype de l’île ?

« De son vivant papa a toujours nourri l’espoir qu’un jour le gouvernement allait enfin l’aider à préserver ce patrimoine que lui a sauvé ». Toutefois, pour ce « second souffle » souhaité pour le musée, il faut se rendre à l’évidence. « Notre espoir c’est avec le secteur privé. On a eu une ouverture auprès d’eux et on y place beaucoup d’attente. Depuis qu’on a des problèmes au musée, ce ne sont que les réunions avec le secteur privé qui aboutissent à quelque chose, même après toutes ces rencontres au ministère ».

Est-ce le franc-parler de ses directeurs qui froissent les dirigeants ? Une certitude subsiste : l’allocation annuelle ratifiée par la mairie n’est plus versée depuis 2009. Quant à l’assurance, des articles de presse datant de 2006 font état que seulement Rs 5.5 M auraient été déboursées par la mairie, au lieu des Rs 500 M requises.

Qu’importe, les Bréville savent avancer malgré les intempéries. L’héritage de celui qui s’est passionné pour la photographie dès l’âge de 13 ans vivra. « Comme je l’avais écrit à la mort de papa, le combat du musée de la photographie continue. On n’abandonne pas. C’est vraiment le moment de faire que ce musée ait une nouvelle vie, un second souffle ».


Il a dit…

Tristan Bréville (Photo prise par son fils, Frédérick Bréville)

En avance sur son temps, Tristan Bréville a eu des paroles intemporelles, qui pourraient qualifier les états actuels des choses. 

« Si le bonheur c’est d’accéder à ses rêves, je suis un homme heureux! Si en plus vous avez une femme qui épouse cette passion, le bonheur est doublé ».

« Je ne fais pas partie de ceux qui se taisent devant des faits ou qui dévient de leur idéologie ou principes ».

« Il y a des guillotines comme ça qui se cachent dans chaque ministère, chaque secteur ».

« A production médiocre, culture médiocre ».

« Il n’y a pas de mauvaise télévision ou mauvais cinéma, de mauvaise radio ou de mauvaise presse. Il y a des hommes médiocres incapables de comprendre qu’on ne joue pas avec ces jouets qu’on appelle médias ».

« L’image, c’est plusieurs éléments qui sont rassemblés pour donner un message ».

 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -