Il n’est jamais trop tard

Les conclusions de l’enquête judiciaire sur l’affaire Kistnen viennent confirmer, comme déjà écrit dans ces colonnes, que dans plusieurs instances étatiques, dont la police et l’ICAC, il y a comme une main invisible qui pèse sur les épaules de leur responsable pour dévier, mystifier ou semer le doute dès qu’il y a une quelconque menace contre les puissants du jour, leurs amis, partenaires d’affaires louches ou financiers. Mais cette même puissance invisible est capable de décupler efficacité, magnanimité, perspicacité et imagination de ses organismes lorsqu’il s’agit d’enquêtes concernant leurs opposants qui, eux, sont immédiatement inquiétés, parfois broyés par un système qui a gangrené les institutions fondamentales de notre démocratie, surtout dans ses plus hautes sphères, par la corruption et l’incompétence.

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Heureusement qu’il y a encore de la résistance à ces dérives de plus en plus graves et inquiétantes. Il y a bien l’opposition officielle qui demeure le rempart au Parlement avec des PNQ et PQ plus percutantes et mieux travaillées ces derniers temps, mais qui, sur le terrain, se perd en conjectures avec d’éternels débats sur quelles alliances, quel prochain PM, etc., plutôt que de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire combattre, mettre un frein voire un terme aux dérives et de ramener le pays sur les fondamentaux de ses heures de gloire après l’indépendance.

Il y a aussi l’opposition extraparlementaire qui agit, enquête et évite la langue de bois et dit sans filet ce que les autres n’osent pas dire, mais qui a encore trop peu d’aura publique pour des raisons qui tiennent plus à un passé contesté de certains de ses animateurs que du présent qu’ils marquent par un courage de clairvoyance et persévérance utile et efficace aux débats.

Enfin, il y a la population. Celle qui décide finalement. De laquelle il faut exclure les affidés du pouvoir, mais aussi de profiteurs permanents du pouvoir, qui sauteront sur l’autre bord lorsque l’alternance se présente, comme les carapates changent de chien. Il y a surtout aussi les champions du monde râleurs qui se défoulent dans les salons et devant leur ordinateur et sur leurs téléphones portables sur les réseaux sociaux et vilipendent tout ce qui bouge. Mais qui comptent sur les autres pour descendre dans la rue pour que ça change…

Difficile dans ce schéma de prémunir le pays de la continuation du délitement politique et social, de la surmultiplication de la corruption, mais aussi d’un sentiment antipolitique grandissant, mais avec un slogan qui enfle chaque jour qui passe pour « bour zot tou deor » (BZTD). Les deux manifestations importantes et pacifiques de 2020 n’ont sur le fond rien changé, si ce n’est une intolérance à la critique des dieux qui nous gouvernent — à l’ego aussi gros que leur fortune amassée et proportionnelle à un accaparement du pouvoir à vie.

Chaque jour qui passe montre à quel point notre pays a dévié, comment il est plus divisé et comment les réflexes communautaristes reprennent petit à petit le dessus sur la consolidation de notre volonté, mais aussi notre obligation à vivre ensemble. Il n’est pas trop tard pour renverser la situation et reprendre la marche de notre histoire commune.

Tout ce qui précède est applicable aujourd’hui à notre monde hippique devenu un véritable champ de guerre. Le parallèle à l’affaire Kistnen est celui concernant l’attentat manqué de la piste du Champ de Mars promis à mort d’homme si une course s’était déroulée avec les pièges sur la piste. Certes, les vies humaines ont été épargnées, mais les auteurs et surtout les commanditaires continuent probablement de circuler librement dans les arcanes du Champ de Mars sans être inquiétés.

Quant à l’enquête policière qui a donné l’impression d’avoir démarré sur les chapeaux de roues avec l’arrestation de deux suspects, elle est déjà au point mort avec les mêmes syndromes des autres enquêtes policières qui iront gonfler les archives des cas non résolus. Parce que les 19 milliards de roupies dépensés dans les caméras CCTV ont été incapables de permettre l’identification des deux voitures, clés de l’énigme, dans les alentours du Champ de Mars, dont chaque voie d’accès est pourvue de plusieurs dizaines de caméras. Ces voitures, dont les spécifications, les conducteurs et les propriétaires inondent les réseaux sociaux, sont étrangement ignorées.

Pire, ce sont les silences des nouvelles institutions hippiques et du gouvernement qui parlent d’eux-mêmes. Imaginez une seconde si ce sabotage criminel avait été le fait d’une organisation d’opposants au régime. Non seulement les coupables auraient déjà été arrêtés, car quoi qu’on en pense, nos policiers sont plus efficaces qu’on le dit, mais c’est leur hiérarchie qui pollue à sa façon les enquêtes. Si une simple affaire comme celle-là ne peut être résolue, on a vraiment franchi une étape supplémentaire vers un rogue state. Non seulement il n’y a jamais eu de gros trafiquants de drogue condamnés, mais maintenant que des auteurs d’actes immondes comme l’assassinat de Kistnen, les profiteurs de procurement douteux, les trafiquants de drogue ou la tentative d’attentat contre des chevaux et jockeys circulent librement dans les rues à nos côtés.

Certains trouveront que le sabotage du Champ de Mars n’est pas comparable aux autres gravissimes crimes et déviances. Que le coup d’État contre le MTC au profit de PTP, à peine sorti de la cuisse de Jupiter, n’est pas grave. C’est une vision. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que tout cela s’inscrit dans le même état d’esprit que tout est faisable pour arriver à ses fins, que la vie des gens ou des adversaires, qui constituent un obstacle ou un danger aux affairistes ou aux politiques, ne compte pas et que, de toute façon, les liens, toujours très argentés, garantissent le cover-up !

Quand on ajoute à tout cela qu’un potentat du système qui a autant de pouvoirs alors qu’il n’est même pas un élu, Dev Bheekhary, représentant du PMO à la GRA, président de plusieurs instances parapubliques, dont le Duty Free, Airport of Rodrigues, etc., se permet de rechercher des explications auprès de la MBC quant à l’intervention de Ramapatee Gujadhur sur les ondes en direct d’une émission produite par le MTC, il y a vraiment de quoi s’inquiéter sur les dérives autocratiques et la censure du moment que les intérêts des puissants du jour sont dénoncés.

Pas étonnant dans ce contexte que la plus vieille écurie du turf ait annoncé son retrait pour la présente fin de saison. Il est clair qu’à certains égards, cette nouvelle n’est pas bonne pour le parti au pouvoir, car au sein de son électorat, il y a de nombreux supporters de l’écurie Gujadhur, qui ont exprimé leur solidarité et leurs regrets de la disparition annoncée d’un autre patrimoine des courses hippiques mauriciennes : la casaque bleu électrique et toque rouge. D’autres fermetures d’écuries, dont certaines ont pourtant franchi le Rubicon, sont également annoncées. On verra bien.

Dans ce contexte délétère, la saison hippique continue son petit bonhomme de chemin dans une ambiance où tout est bon pour accrocher des partisans et gagner en crédibilité. Mais il y a la réalité de la mondialisation qui reste incontournable. Faute d’avoir eu la reconnaissance des instances internationales, la HRD voit ses sanctions être seulement limitées au territoire mauricien. C’est ce qu’a confirmé le board d’appel de la GRA, longtemps au chômage technique et qui vient confirmer d’un trait de plume les 24 semaines de suspension du jockey Andrews, qui peut néanmoins monter normalement n’importe où ailleurs dans le monde, excepté à Maurice où, visiblement, il n’avait pas choisi le bon entraînement dans la conjoncture. Entre-temps, la HRD continue de cumuler les bourdes, la dernière en date est la sanction abusive contre une erreur de la part pour n’avoir pas comptabilisé les victoires du jockey Roy à l’étranger, ce qui lui donnait la faveur d’une décharge d’un kilo supplémentaire. Bizarrement, c’est le jockey qui est sanctionné pour ce qui est une faute partagée. Un avertissement aurait suffi et serait plus juste, ou encore que le cheval soit tout simplement disqualifié.

Enfin, il convient de dire qu’à la veille de l’assemblée générale du MTC qui allait débattre de leur expulsion du MTC, les président et vice-président de People’s Turf PLC, Rajkamal Taposeea et Henri Leblanc, ont emboîté le pas au « leader » de PTP en démissionnant comme membres du MTC, hier. Au moins viennent-ils confirmer leur vrai nouvel amour ! Ils pourront ce dimanche, par exemple, vivre le retour en compétition de Frosted Gold, après sa brillante victoire dans le Barbé, ternie par l’humiliation subie publiquement par leur nouveau boss, dont l’un des auteurs, puisqu’elle n’est pas la seule, a finalement été entendue par le comité disciplinaire du MTC dont on attend les findings incessamment. Sont aussi attendues les élections des nouveaux administrateurs du MTC et leur plan d’action. Ils ont vraiment du pain sur la planche pour tenter de sauver 210 ans d’existence dans un contexte où il l’adversité est on ne peut plus difficile ! Il faudra du courage… et méditer sur cette citation : « On ne peut certes pas changer le passé, mais il n’est jamais trop tard pour devenir meilleur ! »

 

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