Le message de la rue

La marche citoyenne qui a réuni à Port-Louis, samedi dernier, la plus grande foule de l’histoire du pays contestant un pouvoir en place, a envoyé un signal clair au Premier ministre — mais également à tous les autres dirigeants politiques sans exception — que la population mauricienne souhaite une rupture totale avec un système de gestion dépassée du pays qui n’a que trop duré. Cette révolution pacifique cristallise le rejet d’une perception de pratique politique qui favorise la division entre la population, le maintien du communautarisme, une corruption massive à tous les échelons, un système électoral injuste, de l’abus de pouvoir, du lèche-bottisme public et honteux vis-à-vis du chef, un musellement progressif des voix discordantes et de l’espace démocratique, mais aussi la nomination de petits copains ou de la famille et, enfin, le règne de potentats et d’une bande d’incompétents à la tête de certaines de nos institutions.

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Ces pratiques qui ont été la réalité des différents régimes qui se sont succédé ont, aujourd’hui, atteint un paroxysme intolérable qui pousse une majorité de Mauriciens à dire STOP ! Ce signal fort de la rue vise à être le catalyseur et concrétiser une unification de la population multiculturelle de Maurice long overdue. Nos concitoyens aspirent à être traités et reconnus comme MAURICIENS avant tout au sein d’un pays favorisant l’égalité des chances, 50 ans après l’indépendance du pays. Pour l’heure, notre État, notre constitution et nos institutions n’en prennent pas acte… Seul l’hymne national le chante… As one people, as one nation !

Cette revendication profonde qui émane surtout d’une jeunesse plus ouverte au monde et qui évolue plus vite que ceux qui choisissent leur destinée n’a, semble-t-il, pas ému plus que ça les dirigeants du pays qui — sur la base du discours télévisuel du PM, personnellement décrié lors de ces manifestations — continuent la glorification de leurs réalisations. C’est-à-dire faire ce dont pourquoi ils ont été élus et payés. Celles du devoir de répondre à la détresse humaine des victimes, malgré eux, de la Covid-19, du Wakashio et maintenant du Sir Gaëtan. Plus que jamais, l’heure n’est pas au populisme diviseur, mais à une démocratie rassembleuse, car contrairement à ce que veulent faire accroire ces jours-ci les incendiaires patentés, aucun ennemi n’a attaqué, ce sont seulement des frères qui veulent unir !

Si on veut un exemple de dysfonctionnement d’institution de l’État qui a nourri les ressentiments vis-à-vis du pouvoir, la Gambling Regulatory Authority (GRA) est parmi celles qui sont en pole position à l’instar de la MBC et de l’ICAC, entre autres. Au lieu d’être un régulateur qui favorise le développement de l’hippisme mauricien, elle s’est muée, depuis l’arrivée du conseiller de SAJ et du PM actuel et aujourd’hui du ministère des Finances, Dev Bheekary, en une institution qui pratique une politique de deux poids et deux mesures aussi bien vis-à-vis du MTC que vis-à-vis des organisateurs de paris. Dev Bheekary s’était fait connaître par la disparition du rapport intérimaire Parry. Quant

à la GRA, on peut citer à profusion les revers juridiques cinglants reçus concernant le traitement des opérateurs de paris sur le football ou sur les bookmakers off-course. Le gouvernement ne peut à ce sujet plaider l’ignorance puisqu’il a été jusqu’à utiliser le Finance Bill pour favoriser les desseins de son favori, SMSPariaz, au détriment des autres opérateurs dont les demandes ont pour la plupart fini dans la poubelle des boards de la GRA, où le one-man-show de Dev Bheekary est légendaire.

La GRA se signale aussi par des ingérences flagrantes dans les affaires du MTC, qui va jusqu’à retarder la mise à jour des Rules of Racing, décider sur le calendrier des courses hebdomadaires, s’approprier par le Finance Bill le board d’appel du MTC qui est toujours inopérant. Le pire, ce sont les directives émises par cette institution qui dépassent l’entendement et qui défient les règles internationales en la matière. L’île Maurice hippique se signale par le ridicule d’être le seul pays à interdire des courses de moins de six chevaux qui devient en ces temps de vaches maigres un casse-tête chinois pour les organisateurs des courses chaque semaine pour offrir au public un programme digne de ce nom. Chacun se rappellera de la vendetta personnelle de la GRA à l’encontre du jockey Ségeon et de ses décisions teintées de communautarisme à l’encontre d’entraînements ciblés.

Le président du MTC, Rajkamal Taposeea, qui se réjouissait d’avoir réussi le tour de force d’avoir amadoué la GRA, doit aujourd’hui se mordre les doigts d’avoir été instrumentalisé pour favoriser des relations plus cordiales entre le MTC et le magnat des paris et des jeux à Maurice, Jean Michel Lee Shim, qui a habilement convaincu tout son monde de sa bonne foi par une promesse de financement du MTC, par du sponsoring déguisé dans la période creuse de Covid. Maintenant que le poulain est dans l’écurie, la GRA a retrouvé sa verve destructive du MTC et des autres opérateurs de paris. Ne minimisons aussi pas les harcèlements subis par l’ex-CEO, Diva Ringadoo, et le directeur de l’intégrité Paul Beeby, poussés vers la porte de sortie, pour avoir contribué au dialogue constructif avec les partenaires de la GRA et d’avoir résisté aux passe-droits qu’on leur imposait.

En effet, la GRA a tiré de son chapeau magique une interprétation contraire du rapport BDO à celle approuvée par son board en 2018, concernant les redevances à être payées pour les outlets par les deux opérateurs de paris du Tote, au MTC, ce qui devrait favoriser davantage à l’avenir un concurrent patenté qui pratique, lui, le fixed-on betting. Samedi dernier aux courses, de simples officiers de la GRA ont pénétré les locaux du MTC, alors qu’aucun règlement ne le leur permet, pour vérifier, après coup, s’il y a bien eu changement de selle entre Rye Joorawon et le jockey Bheekary après l’incident intervenu avec Fools Gold.

Par ailleurs, alors que le board du MTC avait agréé à ce que le jockey Juglall monte dimanche, après une demande — généralement acquise pour des jockeys suspendus

de différer toute suspension bénigne quand il y a une épreuve classique —, la GRA a opposé un véto, inexplicable — peut-être parce qu’il devait monter le cheval Alshibaa de l’établissement Maingard dans le Golden Trophy. Désormais, selon la GRA, le MTC n’a plus le droit d’utiliser son pouvoir discrétionnaire, bien qu’il soit prévu dans les Rules Of Racing. Évidemment, en grand seigneur, seule la GRA peut utiliser la sienne, malheureusement toujours contre l’intérêt de la compétition. Priver le public de la monte experte d’un jockey de la trempe de Juglall dans la dernière course préparatoire au Maiden ne peut être l’œuvre que d’incompétents et de revanchards qui n’ont aucune considération pour l’hippisme, et pour les turfistes. Grand seigneur afin d’éviter au MTC une énième humiliation publique, le jockey Jugall s’est retiré de lui-même.

L’heure est grave au MTC, incapable de faire appliquer des règles pourtant approuvées par la GRA. Ceux qui ont retiré le procès contre cette instance et qui se sont désistés de la réunion urgente organisée par le MTC mais qui ont le temps de boire une tasse de thé avec le magnat des paris doivent assumer leurs responsabilités sur l’affaire Juglall. Il n’y a pas que dans les institutions publiques que l’insuffisance règne, mais de là à céder à tout champ à de l’abus d’autorité sans se battre, il est sans doute l’heure pour certains de lev paké allé. Ils auront au moins appris une chose, on ne compose pas avec des nominés politiques qui ont des agendas cachés.

Ce sont ce genre de personnages, veules et incapables eux-mêmes, que la population ne veut plus voir dans nos institutions. Non seulement ils contribuent largement à la dégradation de l’image et de la crédibilité de nos dirigeants politiques, mais ils font une utilisation abusive des leviers de pouvoir qui leur ont été confiés, plus que les élus eux-mêmes. La plupart des Mauriciens sont des démocrates et respectueux du verdict des urnes et personne ne souhaite la confisquer, mais ils s’attendent que l’Etat se ressaisisse et entende son message. À travers le monde ces jours-ci, des manifestations de rue répétitives et parfois violentes poussent nombre de gouvernements à recourir aux élections anticipées. Il serait souhaitable que nous n’en arrivions pas là !

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