Vaincre le mal par le bien

Taka, Joorawon, De Souza, Chummun, Andrews, Maujean. Ces six jockeys ont échappé soit à une grave blessure, soit à la mort. Ils ont échappé à un véritable attentat. Oui, il s’agit bien d’un attentat. Le mot qui est le plus souvent associé à des actes terroristes est défini par Le Petit Robert comme « une tentative criminelle contre une personne ou un groupe ».

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Les armes utilisées en la circonstance, de fabrication artisanale, étaient des pièges fabriqués avec du fil de fer attaché à deux pitons, des étriers en fer de construction et environ 3 000 vis réparties à même le sol dans l’herbe. Ces pièges visaient à faire chuter des chevaux d’environ 500 kg à pleine vitesse dans la descente avec sur le dos des jockeys de 55 kg.

Nous vous laissons imaginer le carnage que cela aurait pu causer aux chevaux et aux jockeys si le terrain miné n’avait pas été inspecté et nettoyé par les hommes de MTCSL et passé au crible par le détecteur de métaux de la Special Mobile Force. Quand nous avons appris cette nouvelle samedi, les images à jamais gravées dans notre mémoire de la chute mortelle de Nooresh Juglall ont ressurgi.

Quel était le but ultime de cette tentative d’attentat déjoué, mais programmé pour être perpétré sur d’innocents jockeys et chevaux ? Qui sont ceux qui l’ont imaginé, préparé et exécuté ? Qui est ou sont le(s) commanditaire(s) ? Voilà les questions fondamentales que devraient se poser les autorités policières qui mènent l’enquête et les instances judiciaires qui poursuivront les auteurs et le(s) commanditaire(s), ceux qui a (ont) fourni le matériel et donné les ordres.

Au vu de l’enquête policière à ce stade, les grandes interrogations sur les motivations réelles derrière cette affaire ne sont pas encore à la hauteur de l’enjeu. Mais attendons de voir la suite pour savoir dans quelle direction s’orienteront les enquêtes de ceux qui ont la mission et le devoir, dans l’intérêt public, de faire toute la lumière sur cette affaire qui a choqué le pays tout entier, mais aussi la communauté internationale. À cet effet, le Premier ministre et ministre de l’Intérieur, qui à chacune de ses sorties publiques commente les hauts faits de l’actualité et a montré ces derniers temps un intérêt majeur pour les courses, n’a jusqu’ici pas pipé mot sur cette ténébreuse affaire. Il le fera sans doute sou peu…

Pire, les autorités hippiques brillent par leur silence, la Horse Racing Division (HRD), la Gambling Regulatory Authority (GRA) et la COIREC, gérant du Champ de Mars, n’ont pas montré un signe public d’émotion pour ce qui aurait pu être un carnage. Chacun se souviendra que Dev Beekhary, qui est à l’étranger pour le compte du Duty Free Paradise, dont il est aussi le président, s’était montré très critique envers le MTC lors de la chute mortelle de Nooresh Juglall, pour laquelle au moins trois instances étatiques avaient été mobilisées pour établir une quelconque culpabilité de l’organisateur des courses dans cette triste affaire.

Pour l’heure, la police a très rapidement interpellé deux suspects qui ont été identifiés par les caméras de surveillance. Le premier, âgé de 32 ans, arrêté dès samedi, présenté par la police comme un gardien de sécurité de PTP, a été formellement identifié par un témoin qui a reçu des menaces à son domicile à cause de son témoignage incriminant. Le deuxième a été arrêté lundi, mais jusqu’ici rien n’a transpiré sur son identité. Tous deux ont été présentés à la cour et ont été inculpés de la charge provisoire d’ « attempt at harming animals ». Ce qui ne tient pas du tout en compte du harm qui aurait pu être causé aux humains qui pilotent ces animaux.

Mais la police, qui a également identifié à travers son réseau CCTV deux véhicules pénétrant dans l’enceinte de l’hippodrome vers 2h du matin, le jour de la découverte des pièges mortels du samedi 1er octobre, a pris l’initiative de solliciter les images de surveillance de PTP pour en savoir plus sur les faits et raisons de ces déplacements suspects de véhicules à cette heure de la nuit, non loin du paddock de PTP, aux abords des lieux où les pièges ont été retrouvés. Grande fut la surprise des enquêteurs de constater que les images qui leur ont été fournies par le nouvel organisateur des courses étaient incomplètes. Une descente des lieux a montré que les heures cruciales où les pièges avaient été posés n’avaient pas été filmées — ou éventuellement effacées —, parce que, selon son CEO, cela serait dû à l’application stricte d’un ordre de la cour de ne pas filmer les jours où le MTCSL organise les courses. Or, selon nos informations, cet ordre concernait les caméras placées à la rue Eugène Laurent et non celles placées dans la plaine.

Tous ces faits à ce stade préliminaire de l’enquête ne permettent absolument pas de donner d’indication de qui pourrait être derrière cette sombre affaire qui, par le hasard des événements, a été renvoyée au deuxième plan de l’actualité, comme l’accident qui a impliqué la voiture du PM, par l’énième saisie spectaculaire de drogue qui a été déclenchée au moment opportun.

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour tenter de comprendre qui aurait été l’ultimate victim si une telle atrocité s’était produite. Bien sûr, il y aurait eu l’annulation pure et simple du Maiden. Et outre les jockeys, ou l’un des six jockeys pour une raison personnelle inconnue, il semblerait que la victime expiatoire aurait été le Mauritius Turf Club, accusé de négligence criminelle qui, du coup, aurait vu sa licence d’organisateur des courses résiliée avec effet immédiat, sans compter les poursuites judiciaires. À qui pourrait profiter une telle occurrence ? Pour l’instant, au sein de leur cellule policière, ceux qui sont soupçonnés d’avoir piégé la piste du Champ de Mars au milieu de la nuit de vendredi à samedi sont, comme l’écrit Maxime Fermine dans son livre Le palais des ombres : « Enfermé dans un lit à barreaux de fer, près d’une lampe à ombres chinoises, je voyais tourbillonner sur le mur des silhouettes inquiétantes. »

En tout cas, avant que la police ne démêle les écheveaux de ce qui est au bout du compte un acte de bas étage, de petitesse d’esprits machiavéliques, de mauvais perdants, le public a lui donné son verdict dimanche lorsqu’il s’est rendu en masse aux courses pour assister à la Medine Maiden Cup, bien que d’autres obstacles aient été érigés pour l’en décourager. Et il a eu des émotions à la hauteur, sinon plus, de ses attentes.

D’abord parce que la journée était festive, les courses étaient âprement disputées, et surtout il a eu droit à un Maiden d’anthologie comme on en demandait. La course principale fut de toute beauté et il est bien dommage que le grandissime favori, Alshibaa, qui visait un triplé historique, ait été diminué par une blessure et n’ait pu défendre ses chances. Mais il était écrit que Twist Of Fate allait avoir sa revanche sur une épreuve mythique que ce véritable champion aurait dû déjà avoir dans son escarcelle l’année dernière si le cheval n’avait pas été poussé vers l’extérieur par un adversaire pour des raisons inconnues, d’où la grosse colère de Vincent Allet.

Cette fois, c’est grand sourire et ému aux anges que Vincent Allet s’est légitimement rendu sur la piste à la rencontre de son petit champion qui avait donné un coup de reins magistral dans la ligne droite finale après que son jockey l’a déporté vers la corde pour remonter son seul adversaire du jour, The Gatekeeper, sur lequel le jockey Maujean a tout donné mais a peut-être fait preuve d’une légère impatience, si ce n’est de l’angoisse peu avant la dernière courbe. Autrement, nous ne voyons aucune faute susceptible de lui valoir une mise à pied. Il est possible que sa deuxième ligne au départ l’ait plus desservi, ayant eu à rester à la corde alors que sa treizième ligne originelle lui aurait permis une course en one-off.

Twist Of Fate, bousculé en quelques occasions, a finalement musardé la majorité de la course en dernière position, au point où son propriétaire, Druvnath Damry, et son épouse n’y croyaient plus à 1000 mètres de l’arrivée, encore plus à 400 mètres, alors que tout s’ouvrait devant lui et qu’il n’avait fourni aucun effort. Il faut dire qu’il avait sur le dos un Rye Joorawon des grands jours, calme, imperturbable et doté d’une patience à toute épreuve. Il a monté à cette occasion l’une des plus belles victoires de sa carrière.

Joorawon est l’un des plus grands jockeys mauriciens et aurait dû être vu et reconnu comme tel — ce qu’il est en fait sur son palmarès chiffré, mais aussi sur les épreuves classiques remportées ici à Maurice —, mais eu égard à quelques écarts de conduite, il est souvent mis sur la touche, accusé de certains maux. Il est dommage qu’il n’ait pas eu la chance d’exercer durablement à l’étranger. En tout cas, nous lui disons un grand bravo, de même qu’à Vincent Allet et son entourage, tous les professionnels de courses qui l’entourant et enfin au propriétaire de Twist Of Fate, Druvnath Damry, qui méritait une victoire classique de l’envergure du Maiden. Bravo à eux, bravo au MTC et surtout au public pour cette journée mémorable ! Ce Maiden nous aura au moins rappelé ce que nos parents nous ont transmis comme valeur, à savoir qu’il ne faut pas rendre le mal pour le mal, mais bien plutôt surmonter le mal par le bien !

 

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